
Une fresque décore désormais le mur de l’ex hôtel du port situé sur le boulevard de la Marina à Cotonou. L’œuvre qui porte la signature du muraliste de renom et artiste plasticien brésilien Eduardo Kobra, a été dévoilée mercredi 3 mai. Elle montre 12 personnes chacune représentant différentes religions, pour symboliser le dialogue interreligieux, l’unité, l’amour, l’acceptation de l’autre et la paix. Cette fresque est devenue réalité grâce à un mécène, une amoureuse de l’art, la première dame Claudine Talon.
Par Raymond FALADE
L’œuvre murale de l’artiste Eduardo Kobra porte un message à dimension universelle à partir du Bénin. En témoigne le globe terrestre avec la carte du Bénin fortement mise en valeur. Les deux mains qui se croisent dans le vert-jaune-rouge sont la métaphore de la tolérance dans la diversité des croyances.
Toutes les religions existantes dans le monde y ont leurs symboles distinctifs : la croix ou encore l’Ichtus (poisson) du christianisme, la lune avec étoile qui renvoie à l’islam ; le Taiji du Taoïsme symbolisant l’interaction Yīn et Yáng et l’étoile de David dans le Judaïsme. Quelle que soit la nation, les diverses sensibilités ont besoin de cohabiter dans le respect mutuel.
Daagbo Hounon Hounan II, chef spirituel suprême du Vodun. Roger Houngbédji, archevêque de Cotonou. Kponjesu Amos Hounsa, président de l’Église protestante méthodiste du Bénin (Epmb)…Des imams, dignitaires de l’Église du Christianisme Céleste et d’Églises évangéliques reconnaissables à leurs accoutrements. Autant de figures majeures incarnant diverses confessions religieuses se prennent en photo de famille, main dans la main, aux côtés d’autorités politiques. En fond, un tableau artistique symbolique.
La fresque est réalisée sur un mur de 13m de hauteur et d’une largeur qui permet d’avoir un total de plus de 500 m2. « C’est symbolique car, il y a 12 états [départements, ndlr] dans le pays », explique l’artiste. Les 12 personnes ont le dos tourné et regardent toutes le ciel en se tenant les unes les autres. « Et c’est ainsi que cela doit être », soutient le muraliste qui estime que les peuples doivent marcher « ensemble parce que c’est la seule façon d’avoir un monde meilleur ».
L’œuvre intègre un des projets de l’artiste dénommé « Coexistence ». Le projet traite un thème « important » pour l’auteur : « la liberté religieuse ; le respect des croyances les plus diverses, la nécessité d’une coexistence pacifique et harmonieuse entre les membres de différentes églises, chacune avec sa foi ».
Le Bénin est une terre de paix, une terre d’entente entre les communautés, les religions ainsi que les catégories socio professionnelles. « Il n’y a pas de quartiers ghetto chez nous au Bénin. Vous pouvez avoir dans nos quartiers les plus riches et les plus modestes sans que tout cela ne suscite aucune difficulté particulière », relève le ministre du Tourisme, de la culture et des arts, Jean Michel Abimbola.
« On ne peut pas être d’une religion et professé autre chose que l’amour, la paix, l’unité », soutient l’archevêque de Cotonou, Monseigneur Roger Houngbédji. Le prélat insiste qu’il faut tout faire pour sauvegarder cet amour, cette paix, cette unité « quoiqu’il en soit, quelles que soient les situations que nous traversons, quelles que soient nos différences, nos provenances ». Cela est d’autant plus important aujourd’hui au Bénin « et dans toute l’Afrique qui souffre véritablement de cette paix ».
Destination Bénin, l’autre priorité
Le mur du port de Cotonou qui s’étend sur 4 kilomètres, est déjà couvert à moitié par des artistes, des grapheurs ainsi que des plasticiens majeurs, étrangers comme béninois. Il a vocation d’être « le mur de graffiti le plus long au monde », ce qui permettra de positionner le Bénin sur la scène artistique et culturelle mondiale.
A ce titre, la fresque de l’artiste Eduardo Kobra sera désormais la nouvelle attraction des Béninois et étrangers amoureux de l’art. Un nouveau pôle d’attraction qui s’inscrit dans la vision du gouvernement de révéler le Bénin par le tourisme. « Je suis persuadé qu’après l’Amazone, le mur de l’hôtel du port va devenir un point névralgique de destination à Cotonou », reste convaincu le ministre Jean Michel Abimbola.
Le Bénin et le Brésil partagent un lien historique fort. Tous ces projets réalisés à Cotonou, à Ouidah et à Porto-Novo « permettra le tourisme mémorielle ». « Cela permettra à nos frères afro descendants, de la diaspora de revenir sur leur terre d’origine pour venir redécouvrir ce Bénin révélé et reprendre de l’énergie, de la force, de l’inspiration et de l’aspiration pour leur vie et pour leurs réalisations, pour leur projet », a ajouté le ministre.
L’art et le dialogue interreligieux au Bénin
Le dialogue interreligieux au Bénin n’est pas un vain mot et ne doit pas l’être. La fresque murale de l’artiste Eduardo Kobra célèbre l’idéal de la liberté religieuse. Son inauguration a donné l’occasion de l’illustrer. « On a démontré que le dialogue interreligieux est une réalité chez nous, malgré la multiplicité des croyances et culte qui nous caractérisent si bien », déclare, admirative, la journaliste critique d’art Inès Fèliho.
Avant le brésilien, la thématique est omniprésente chez les artistes béninois. Tel ‘’Épiphanie des initiés’’, peinture à travers laquelle Julien Sinzogan organise dans une majestueuse cathédrale, une messe particulière en présence de Vodunsi, d’évêque et surtout d’éléments cultuels endogènes qui cohabitent avec la bible et l’Eucharistie. Œuvre à la fois déroutante et révolutionnaire au regard de la dichotomie Vodun=satanisme et Christianisme=Salut laissée dans les consciences par les missionnaires et ethnologues européens.
L‘’Épiphanie des initiés’’ assez audacieuse, est de la trempe de celles de Dominique Zinkpè qui conçoit par exemple la Croix du Christ à base de figurine de Hoxo (jumeaux), métaphore de la rencontre du Christianisme avec le Vodun.
Dans la réalité, il persiste des écarts de langage en matière de cohabitation religieuse notamment à propos du Vodun. « Lorsqu’on parle de Lègba, on parle du diable, lorsqu’on parle du Vodun on parle de fétiche [feitiço, en portugais, signifiant chose futile, superstitieux, animiste, anthropophage, ndlr], lorsqu’on parle du Bokonon on parle de charlatan, tout comme si le charlatan n’existait pas dans toutes les autres corporations », déplorait le professeur Mahougnon Kakpo lors d’une émission sur Radio immaculée conception (Ric).
Stéréotypes péjoratifs que le gouvernement entend déconstruire à travers l’élaboration de l’abécédaire du vodun pour le Musée international du Vodun à Porto-Novo.