
Dans cette réflexion, le sociologue de la criminalité expose les facteurs de l’émergence et de l’explosion du phénomène du djihadisme au Bénin. Il invite à l’autoprotection, vieille instinct de sécurité encore utile aujourd’hui. « Nous appelons autoprotection l’ensemble des mesures non violentes prises par tout un chacun en vue d’échapper aux actes criminels. La définition englobe les actions prises délibérément par des gens afin de se prémunir contre le crime, l’exclusion des gestes dont l’impact éventuel sur le crime est involontaire », écrit-il.
Processus de radicalisation de l’acteur et visage du criminel au nord du Bénin
- Naissance et émergence du Djihadisme au Bénin
Au Bénin, les premières alertes de la présence des djihadistes ont été données dans la partie septentrionale du pays notamment dans le Parc Pendjari avec l’assassinat d’un guide touristique du nom de Fiacre Gbédji, le 04 mai 2019). Depuis lors, la menace terroriste n’a cessé de couler des ancres dans les zones frontalières du pays où les djihadistes y sont installés pour frapper dans le rang des soldats et des populations. Ainsi, plusieurs fois déjà depuis 2018, il est enregistré des explosions de kamikazes qui font des morts et des blessés graves dans le rang des forces armées béninoises. Des commissariats de police des zones frontalières du pays ont été brulés et des policiers attaqués et tués. De paisibles populations ont été égorgées vives et des enlèvements fréquemment perpétrés. De toute évidence, le phénomène prend de l’ampleur et devient de plus en plus inquiétant. Il est incontestablement important d’apporter une analyse des éléments ayant provoqué l’explosion de cette violence et les conditions de son enracinement progressif dans le secteur. Au-delà des idées reçues, nous pensons qu’il faut s’interroger sur l’hypothèse selon laquelle l’agent causal de la montée de l’islamisme et de la radicalisation de l’insurrection s’expliquent par plusieurs facteurs : la position géostratégique de la région du Nord-Bénin avec plusieurs pays où le Djihadisme sévit (Burkina Faso, Nigéria, Niger), faciliterait l’intrusion et la circulation des Groupes Armés terroristes venant de ces pays limitrophes ; l’insuffisante présence de l’État béninois en terme d’infrastructure sociocommunautaire dans la région couplé d’un sous-développement, voire d’une misère ambiante des populations locales. Cette situation fera le terreau à un terrain favorable pour les organisations criminelles, faisant passer, ainsi, la région d’une zone autrefois relativement stable à l’une des zones les plus dangereuses du pays, où l’insécurité constitue la première préoccupation des populations locales bien avant qu’elle ne soit celle de l’État. La situation est devenue suffisamment inquiétante pour que les autorités béninoises prennent les précautions idoines. De toute évidence, le mouvement se développe et se répand sur toute la région du Nord, et plusieurs thèses confirment le recrutement de jeunes dans le rang des groupes armés terroristes favorisant ainsi l’expansion du phénomène. Mais la réelle difficulté aujourd’hui réside dans l’identification du processus de recrutement de ces jeunes et la façon dont le mouvement opère. Comment s’opère donc la transformation des jeunes et leur entrée dans les groupes armés terroristes au Nord du pays et comment reconnait-on le visage du criminel ?
- Trajectoires des acteurs en présence
Au Nord du Bénin, de jeunes béninois ont bien été recrutés: le mouvement propose beaucoup de moyens attirant les jeunes tels que des emprunts d’investissement aux jeunes qui souhaitent s’investir dans de petits commerces ou s’acquérir des motos, des sommes d’argent à l’engagement, des promesses de salaires ou de motocyclettes et des promesses d’investissements financiers à l’occasion des mariages. En particulier, ce dernier point séduit considérablement les jeunes, parce que, pour eux, dans le contexte culturel local, le mariage est un élément essentiel pour le construit identitaire. Par recrutement pour le terrorisme il faut entendre le fait de solliciter des personnes en vus de commettre des infractions terroristes, individuellement ou collectivement, que ce soit en commettant directement ces infractions ou en participant ou en contribuant à leur commission ; Le recrutement des jeunes obéit à un certain nombre de facteurs favorables tels que : la pauvreté, l’oisiveté des jeunes, l’adhésion idéologique radicale, l’opposition aux autorités sur certains sujets, la colère et les frustrations, etc.
- Qui appelle-t-on criminel dans ce contexte ?
Généralement, la transformation d’un individu normal à un extrémiste violent passe par plusieurs étapes. L’individu à l’état initial souvent jeune, pauvre et ou désœuvré et ou peu ou pas instruit entre en contact avec des personnes déjà endoctrinées avec des promesses de tout genre. Il commencera par perdre le repère, c’est déjà le début du processus d’endoctrinement. L’individu se socialise dans son nouveau groupe (il reçoit fréquemment la pression du leader) La personne devient timide et nerveuse à chaque instant Il commence par s’isoler et déteste progressivement le fonctionnement de sa société originelle. L’usage de cure-dent dévient fréquent chez lui et il se donne à la vente des parfums et des dattes. Il intègre ainsi le groupe de révolte et dévient hostile au système et à l’ordre social. C’est la radicalisation et l’extrémisme violent dont le contrôle social demeure l’ultime solution.
- Contrôle social comme l’ultime solution
Le contrôle social ou la régulation sociale est l’ensemble des moyens mis en œuvre par les membres d’une société dans le but spécifique de contenir ou de faire reculer le nombre et la gravité des délits. Il n’est donc pas évident que le niveau actuel de la persistance des actes terroristes soit une manifestation de l’absence des contrôles sociaux. Il vaut mieux laisser la question ouverte sans préjuger de l’efficacité ou de l’inefficacité des contrôles sociaux. Partant de l’ensemble des contrôles sociaux, le criminologue discerne dans toute société trois lignes de défense contre le crime, différentes par leurs acteurs, leur logique et leurs sites. Il est important de savoir que tout habitant participe peu ou prou à l’effort commun pour contenir ou mieux réduire l’intensification des actes criminels, ne serait-ce qu’en prenant quelques précautions pour pallier au pire Le contrôle social s’exerce par des actions privées qui permettent de lutter contre le crime. Cette lutte ne relève pas seulement des forces de l’ordre, de l’institution judiciaire et de la politique criminelle définie par l’État. Tous prennent un minimum de précautions pour se prémunir contre les agressions : serrures, verrous, vigilance, méfiance, etc. Ce sont là des mesures spécifiques permettant de réduire la probabilité ou la gravité de la victimisation. Le contrôle social a pour but de contenir la criminalité et donc d’aboutir à la prévention situationnelle.
- Prévention situationnelle
La notion de prévention situationnelle sert à désigner les mesures non-pénales ayant pour but d’empêcher le passage à l’acte en modifiant les circonstances particulières dans lesquelles des délits semblables sont commis ou pourraient l’être. Des formes spontanées et intuitives de prévention situationnelle ont été pratiquées depuis toujours. Nos ancêtres construisaient des murs autour de leur maison ou de leur village ; ils installaient des verrous à leurs portes ; ils avaient des chiens de garde ; ils voyageaient armés et avec une escorte. Aujourd’hui encore, l’auto- protection fait partie intégrante de nos habitudes quotidiennes. Tout être humain, sauf s’il est détaché de tout, s’efforce de limiter ses risques de victimisation. Il est donc évident que chaque citoyen doit savoir comment s’auto protéger. Nous appelons autoprotection l’ensemble des mesures non violentes prises par tout un chacun en vue d’échapper aux actes criminels. La définition englobe les actions prises délibérément par des gens afin de se prémunir contre le crime, l’exclusion des gestes dont l’impact éventuel sur le crime est involontaire. L’autoprotection doit être distinguée de l’autodéfense qui est l’usage de la force pour repousser un agresseur (Lopez et Tzitzis, 2004).
Dr Abdoulaye OUMONROU, sociologue de la criminalité
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