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Dossier Hêhomey : « La Cour a pris le contre-pied des interprétations les mieux bâties »

Hervé Hêhomey

Allant dans le sens du rapport de Sylvain Messan Nouwatin, la Cour constitutionnelle a autorisé l’ex ministre des Infrastructures et transports, Hervé Hêhomey à reprendre son siège à l’Assemblée nationale.

Par Sêmèvo B. AGBON

La Dcc 23-168 du 11 mai 2023 casse la lettre n°0232/An/Pt/Sp-C du 25 avril dans laquelle le chef du parlement, Louis Vlavonou déboutait le requérant Hervé Hêhomey de sa demande de retourner au palais des gouverneurs. Elle est déclarée contraire à l’article 92 de la Constitution, qui dispose que « Tout député nommé à une fonction publique nationale ou appelé à une mission nationale ou internationale incompatible avec l’exercice de son mandat parlementaire suspend d’office celui-ci. Sa suppléance cesse à sa demande ».

La Cour écarte toute « interprétation littérale » de cet article « opposant démission et suspension ». Selon elle, « le constituant n’a donc pas entendu organiser une occupation définitive du siège du député qui n’est appelé à cesser ses fonctions que provisoirement ».

Cette délibération fâche le juriste spécialiste des questions de la démocratie Landry Angelo Adélakoun. Hervé Hêhomey « ne remplit aucune des conditions posées à l’article 149 al.2 du code électoral. Par conséquent, sa demande de reprise de son mandat de parlementaire ne pourra prospérer », avait-il prédit.

La Dcc 23-168 du 11 mai 2023 relève d’une « magie interprétative », réagit-il. Selon lui, « la Cour a pris le contre-pied des interprétations les mieux bâties qui ont été données par de nombreux Juristes et autres analystes ». Pire, critique-t-il, la haute juridiction « semble maitriser les textes adoptés par le législateur plus que le législateur lui-même. Si les deux sont vraiment de bonne foi, cela voudrait dire qu’il y a un acteur qui a mal fait son travail ».

Une boite de pandore est maintenant ouverte, prévient Landry Angelo Adélakoun. Ceux qui doivent s’inquiéter en premier, ce sont les députés suppléants. A l’instar de Janvier Yahouédéou éjecté par la Dcc 23-168 du 11 mai 2023, ils « doivent tirer les conclusions dès à présent. La Cour a le mérite de rappeler à chaque suppléant qu’il est plus précaire qu’on ne le croit ».

 

La Cour a pris le contre-pied des interprétations les mieux bâties

Par Landry Angelo Adélakoun

 

Fortement contestée par d’aucuns parce que contestable, et fièrement applaudie par d’autres parce que profitable, la décision Dcc 23-168 du 11 mai 2023 de la Cour constitutionnelle du Bénin peut être lourde de conséquences. D’abord, la Cour a pris le contre-pied des interprétations les mieux bâties qui ont été données par de nombreux Juristes et autres analystes. En revanche, la Cour de Ganhi a confirmé non seulement l’analyse d’une autre partie des Juristes, mais elle a confirmé la lecture de nombreux fins observateurs de la vie politique qui voyait en l’action de l’ancien Hervé Hêhomey une formalité pour la validation d’un plan bien ficelé.

Quoique maitre légitime de l’interprétation de la Constitution et des dispositions du code électoral soumises à son appropriation, la Cour constitutionnelle a désavoué le Président de l’Assemblée nationale et le Président de la Commission des lois. Cette situation est paradoxale et inquiétante à divers niveaux.

Primo, la Cour semble maitriser les textes adoptés par le législateur plus que le législateur lui-même. Si les deux sont vraiment de bonne foi, cela voudrait dire qu’il y a un acteur qui a mal fait son travail. L’on a déjà vu le législateur aller demander le sens des dispositions du code électoral au juge constitutionnel et à la Commission Electorale Nationale Autonome.

Secundo, la Cour se fondant sur le fait d’avoir perçu l’esprit des textes en l’occurrence l’article 92 de la Constitution, prend démission et suspension pour des synonymes. Il s’agit ni plus ni moins de la jurisprudence suspension égal démission. Cette magie interprétative n’est pas nouvelle. Dans une décision portant sur la prestation des membres de la Cour, la Cour avait déjà rendu une décision qu’il convient d’appeler jurisprudence dedans égal devant. Le requérant avait demandé à la Cour constater et déclarer contraire à la Constitution le fait que le serment des membres de la Cour qui doit être reçu par le Président de la République devant les membres du bureau de l’Assemblée nationale ne l’a été qu’avec ceux-ci dans la salle.

Tertio, la Cour constitutionnelle trouve qu’il n’y a aucune chronologie à prendre en compte dans la prise en compte de la prise d’effet des articles 92 de la Constitution et 149 du code électoral. C’est surprenant. Pour la Cour ces dispositions régissent même des situations dans lesquels le député élu était déjà appelé à une haute fonction incompatible avec son mandat de député avant son élection. Le Cour semble avoir lu de travers les régimes d’incompatibilité posées tant dans la Constitution que le code électoral. Inutile de revenir sur cela puisque la Cour a reçu une requête qui aurait pu l’aider si elle voulait rester dans le juridique.

Quarto, le 27 avril 2023 la Cour a été saisie d’une requête de moi-même Landry Angelo Adelakoun et les collègues Romaric Zinsou, Fréjus Attindoglo, Conaïde Akouedenoudje et Miguèle Houeto aux fins de déclarer contraires à la demande du Ministre Hehomey à reprendre son mandat parlementaire et toutes les interprétations visant à faire croire qu’un membre du gouvernement élu député et ayant démissionné de l’Assemblée nationale peut toujours reprendre son mandat parlementaire est contraire à la Constitution et aux dispositions du code électoral. C’est donc dire que c’est au moins une semaine après que le ministre a saisi la Cour. Pour qui connait la facilité habituelle à faire des jonctions de procédures, il est surprenant que cette fois-ci la Cour a préféré traiter les dossiers pas à pas. Tout ceci semble corroborer une thèse.

Avec la décision de la Cour constitutionnelle, les députés suppléants qui se retrouvent dans le cas de l’ancien député Yahouedehou [suppléant de Hervé Hêhomey, ndlr] doivent tirer les conclusions dès à présent. La Cour a le mérite de rappeler à chaque suppléant qu’il est plus précaire qu’on ne le croit.

Une dernière leçon que la décision de la Cour inspire, c’est la mauvaise rédaction des lois depuis peu au Bénin. Peut-être que la Cour elle-même ne s’en rend pas compte.

Enfin, cette décision crée un climat de peur chez certains et renforce la crainte chez beaucoup d’autres quant à l’interprétation de la Constitution par la Cour pour les échéances qui s’annoncent.

 

Téléchargez la décision Dcc 23-168 du 11 mai 2023 Hêhomey

 

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