Vous êtes ici
Accueil > Actualité > Dossier sur la radicalisation et l’extrémisme violent (V)/Espaces frontaliers : l’État absent, les normes religieuses puissantes

Dossier sur la radicalisation et l’extrémisme violent (V)/Espaces frontaliers : l’État absent, les normes religieuses puissantes

Cinquième partie du dossier consacré à la radicalisation et l’extrémisme violent au Bénin. Il est question cette fois-ci des conséquences de la longue absence de l’Etat dans les espaces frontaliers à la lumière de l’« Étude sur les risques et les facteurs potentiels de radicalisation et d’extrémisme violent en république du Bénin » menée dans le cadre du « Programme de prévention de l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest et dans le bassin du lac Tchad –(Pprev-Ue II) ».

Présenté par Sêmèvo Bonaventure AGBON

Au bout de leurs investigations, les rédacteurs du Rapport ont découvert qu’au détriment de l’autorité de l’État, les normes religieuses sont sérieusement enracinées dans les habitudes et les comportements des citoyens des espaces frontaliers. Et ce n’est pas risques à redouter. « La régulation des rapports sociaux est essentiellement régie par les normes islamiques dans les sites investigués. Ceci génère une désaffection vis-à-vis de l’État qui perd toute sa légitimité dans ses fonctions régaliennes de régulation sociale », lit-on. Par exemple, au nord-Bénin où les écoles islamiques pullulent, la non-reconnaissance des diplômes arabes obtenus par les nouvelles élites est très mal vu par les concernés. De même que le mariage exigé à l’âge de la maturité, 18 ans.

« Ici la religion musulmane et le gouvernement s’opposent dans un bras de fer par rapport au mariage de nos filles. Chez nous les musulmans, et suivant les prescriptions du Saint Coran, une fille après trois menstrues doit quitter la maison de ses parents au grand risque de lui apporter malheur. Nous référant à cette prescription islamique, nous marions nos jeunes filles en âge de puberté. Mais, cela n’est pas du goût de l’État pour qui, il faut attendre au moins 18 ans pour marier les enfants. Nous n’approuvons pas cette décision parce que nos enfants sont sexuellement actives déjà à la puberté. Quand elles vont à l’école occidentale, elles se retrouvent dans un environnement où elles se donnent aux petits délinquants et c’est pour contracter des grossesses avec tous les corolaires qui s’en suivent. C’est dommage pour l’État qui ne comprend pas la logique dans laquelle nous agissons. Nous poursuivons tous le même objectif qui reste le bien-être de l’enfant. C’est l’enfant même qui choisit librement son homme. L’homme ne lui est plus imposé. Au lieu que l’État nous accompagne, il se donne même la possibilité de poursuivre et d’enfermer ses parents. Quel monde ! Les gouvernants ne nous donnent pas la possibilité d’en discuter au sein d’un creuset malgré l’interpellation à plusieurs reprises du comité islamique. Les politiques veulent à tout prix faire passer leurs lois au détriment des prescriptions coraniques » (Propos d’un Imam à Djougou, page 45-46).

Rejet de l’État et de ses symboles

L’Etude observe que ces frustrations amènent les populations à rejeter l’État et ses symboles, à travers le refus d’inscrire les enfants à l’école publique au Bénin et la préférence donnée aux écoles coraniques ou franco-arabes ; le rejet de la monnaie officielle de l’État (Fcfa) et préférence pour le Naira ; le refus de dédouaner les moyens roulants (motos, véhicules) ou opposition au paiement de toutes taxes douanières au Bénin, etc.

« Dans leur conception, il faut d’abord étudier le coran avant quoi que ce soit. La religion passe avant l’école, et cela s’est matérialisé par le constat amer au CEP 2017 avec plus de 1002 absents parce que cet examen a coïncidé avec la fête de ramadan et les parents ont préféré que leurs enfants fêtent plutôt que d’aller composer », témoigne un Agent de la Direction de l’enseignement secondaire et technique de Djougou.

Construire la citoyenneté dans les espaces frontaliers

Ces comportements, selon le Rapport, montrent que les populations frontalières ont très peu le sentiment d’être béninoises. Pour preuve, « Certains citoyens béninois des frontières préféreraient être régis par le Nigéria, le Niger ou le Burkina –Faso en fonction de leurs positions géographiques respectives. Les raisons principalement évoquées sont l’absence de l’État à travers les infrastructures sociocommunautaires ou l’éloignement de celui-ci, le manque d’emplois, les rackets subis de la part des corps de sécurité publique, le laxisme de l’État sur certaines questions préoccupantes des frontières qui engendre la perte des terres, des lieux de cultes. Les cas d’Illoua (Malanville), de Kourou/Koalou (Matéri), ou de l’Île de Lété (Karimama) sont rappelés dans les entretiens. Ainsi, à défaut d’un investissement de l’État Béninois dans le développement local, des béninois des frontières s’accommodent volontiers de l’action des États voisins. Ceci exacerbe les frustrations contre l’Etat au point où certains nourriraient des ambitions d’une autodétermination pour se défendre sans l’État ». Il appert donc que « la problématique de la citoyenneté … reste à construire entièrement dans les espaces frontaliers », conclu les auteurs.

Quand la laïcité de l’État sert de prétexte

« Dans ces contextes d’Etat faible où les normes religieuses semblent l’emporter sur les règles de la République, la laïcité de l’Etat peut apparaître parfois comme un tremplin pour certains courants religieux pour troubler l’ordre public au sein des communautés. D’ailleurs cette idée alimente les inquiétudes de certains citoyens quant à la capacité de l’État à exercer une supervision appropriée des groupes religieux. Parfois, le pouvoir public semble vouloir éviter d’irriter les chefs et fidèles religieux, préférant ne pas agir même lorsque la liberté de pratique religieuse va à l’encontre des droits d’autres citoyens. Le facteur religieux est donc un levier sensible sur lequel les autorités hésitent à agir de peur de s’aliéner les fidèles. Toute intervention de l’Etat dans ce domaine peut entraîner des réactions violentes, notamment lorsqu’elle se traduit par l’usage excessif de la force. »

Pour illustrer cette situation, les auteurs évoquent la question du port de signes religieux. Dans les écoles publiques laïques à Kandi, Parakou, Djougou ou à Malanville par exemple, certains ne digèrent pas le renvoi des filles musulmanes pour port de voile pendant que « certaines tenues considérées comme “indécentes” sont tolérées ». De même que la prescription de la coupe des cheveux pour les jeunes filles des collèges. Ce qui est inadmissible aux yeux de certains fidèles musulmans qui la trouvent contraire aux prescriptions de l’Islam. Selon eux en effet, « une fille qui coupe les cheveux est semblable à un homme et cela est proscrit en Islam ». Un enquêté fustige « Alors que le port de voile est une obligation pour la jeune fille musulmane, on essaye de les sensibiliser contre leur gré. Certains enseignants les qualifient de Boko Haram ou de Kamikaze. Même ma sœur en a été victime ». En clair, on trouve en cette règle une discrimination voire islamophobie qui « crée un sentiment d’injustice et de frustration susceptible d’être exploité dans des contextes marqués par de fortes capacités d’adhésion et de mobilisations des associations religieuses et de jeunes musulmans. Certains musulmans considèrent que les lois qui régissent l’école n’autorisent pas un chef d’établissement à interdire aux élèves le port de signes religieux ». Le Rapport souhaite donc une définition participative claire et contextualisée des règles vestimentaires dans les établissements publics et d’une orientation précise à l’endroit des chefs d’établissements. Sinon, le risque que ce sentiment de discrimination « aboutisse à un regain de tensions intercommunautaires entre les musulmans et les fidèles des autres confessions religieuses » est grand. L’État va-t-il prendre ses responsabilités ? On sait jusque-là qu’au nom de la laïcité et par peur de déplaire aux confessions religieuses, l’État évite d’intervenir sur certains sujets. Rappelons que l’Étude a été menée dans huit communes de quatre départements du nord-Bénin, à savoir Kandi et Malanville dans l’Alibori ; Djougou dans la Donga ; Matéri, Natitingou et Tanguiéta dans l’Atacora ; Nikki et Parakou dans le Borgou.

 

Laisser un commentaire

Top