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Dr. Wenceslas Mahoussi au sujet de la création de l’Ortb+ : « Va-t-on faire la démarcation entre chaîne publique d’information et chaîne gouvernementale ? »

L’annonce de la création d’une nouvelle chaîne qui s’appellerait Ortb+ suscite moult commentaires. Ceux qui redoutent la mort de l’Ortb mère- ce que le directeur général par intérim de l’office a rejeté dans un droit de réponse– pensent que la télévision nationale a plutôt besoin de moyens et de liberté. Est-ce opportun de doter le Bénin d’une nouvelle chaîne de service public ? Dr. Wenceslas Mahoussi, enseignant à l’Université d’Abomey-Calavi, spécialiste des sciences de l’information et de la communication aborde la question.

Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON

Bénin Intelligent : Selon le magazine Jeune Afrique, le chef de l’État Patrice Talon s’apprêterait à lancer une nouvelle chaîne de télévision de service public. Quelle réaction cette annonce vous inspire ?

Dr. Wenceslas Mahoussi : Je sais que sous le gouvernement passé des milliards ont été injectés dans la chaîne publique. Le gouvernement actuel, certainement après audit ou des études, s’est rendu compte qu’il ne peut plus continuer à injecter de l’argent dans cette chaine telle qu’elle est. Vous allez remarquer que le gouvernement a toujours fait des options du genre, c’est une option de dire qu’on laisse ce qui est là, on prend une partie du personnel et on crée une nouvelle chaîne.

Il faut se poser deux questions quant à la nécessité, la viabilité de l’option. Un gouvernement qui fait une option, est-ce qu’il a les moyens de créer une nouvelle chaîne ? Je n’en sais rien. La question véritable c’est de savoir s’il est vraiment opportun de créer une nouvelle chaîne aujourd’hui vu que l’Ortb a déjà deux chaînes de télévision (BB24 et l’Ortb mère) et quatre radios (Radio Bénin Alafia, Atlantique Fm, Radio Bénin, Radio Parakou).Tout cela constitue un consortium de chaînes. L’idéal serait de mon point de vue, de voir comment faire du neuf avec du vieux. On peut même séparer l’Ortb-infrastructures de l’Ortb-contenu et faire en sorte que dans ce qui existait, on puisse créer une nouvelle chaîne ou opérer une refonte de l’Ortb en profondeur. La création d’une nouvelle chaîne avec tout l’argent qu’on va y mettre, peut paraître comme une politique de tout raser pour tout refaire. Mais cela demeure une option du gouvernement. On l’a vu supprimer depuis mai 2021 le ministère de la Communication et de la poste et on en fait l’expérimentation aujourd’hui. Heureusement que les questions du numérique et de la digitalisation font partie de l’InfoCom et donc le ministère du Numérique et de la digitalisation gère les médias publics et autres. Je ne sais pas s’il y aura réajustement quand on va créer une nouvelle chaîne, l’Ortb+ avec une partie du personnel.

L’Ortb serait devenue « ringarde » aux yeux du chef de l’État, selon Jeune Afrique. Est-ce votre avis aussi ?

C’est le mot de Jeune Afrique, moi je regarde l’Ortb. Tous les jours je capte la radio nationale. Je peux vous dire qu’il y a d’excellentes choses qui se font. Moi-même parfois je suis invité pour faire des émissions même à la télévision nationale. Je peux vous dire qu’il y a un travail qui se fait. Il y a quelque chose que les citoyens ne perçoivent pas. Un gouvernement a un temps d’action. S’il décide de poser des actes, à sa charge de répondre après au regard de son projet de société ou sa politique de gestion du pays. Est-ce que c’est prévu dans le Pag 2021-2026 ? C’est la question qu’il faut se poser. Si c’est prévu, pourquoi pas ? Si ce n’est pas prévu, qu’est-ce qui est prévu ? Qu’est-ce que les études ont révélé ? Je pense que le gouvernement ne peut pas se lever aujourd’hui et sous un coup de tête décider de créer une nouvelle chaîne.

En France, vous allez voir qu’il y a Rfi et autres qui relèvent du ministère des Affaires étrangères. Le gouvernement veut-il nous montrer que l’Ortb telle quelle fonctionne va rester dans l’institutionnel et la nouvelle va être une chaîne publique simplement ? On va bien voir si après nous n’allons pas retomber dans les mêmes travers.
Depuis 1990 tout au moins les chaînes publiques se comportent comme des chaînes gouvernementales et ne sont plus seulement au service du public. Un ancien président en avait même fait son écran cathodique comme l’a dit l’autre journaliste et il y avait des reportages de plus de 52min. Est-ce qu’avec la nouvelle chaîne en gestation, la même chose va continuer ? Puisque la nouvelle chaîne ne va pas supprimer l’ancienne. Au Gabon par exemple ils ont deux chaînes ; selon leur formule, on va considérer que l’Ortb va rester peut-être la chaîne institutionnelle, gouvernementale et que l’Ortb+ sera la chaîne du public et va essayer de diffuser des informations qui concernent tous les citoyens, ici comme ailleurs.

Si telle est l’option faite, je n’y trouve pas d’inconvénient, quitte à voir à l’œuvre ce qui va se passer. Parce que, ce qu’on a remarqué depuis c’est que même actuellement, on a l’impression que la chaîne publique de l’Ortb est aussi une chaine gouvernementale. Si la démarcation va être faite par la création d’une nouvelle chaîne, tant mieux.

Certains craignent que ce soit une manière détournée d’écraser l’Ortb mère.

Je crois qu’il n’y a pas à écraser. Je ne suis pas forcément pour les suppressions d’institution, par exemple l’Agence Bénin presse (Abp) qui a été supprimée, je ne suis pas totalement d’accord. On va prendre une partie de l’équipement et du personnel de l’Ortb, c’est tout à fait normal. L’Ortb est une chaîne de l’État, on ne va pas vouloir créer une nouvelle chaîne et recommencer tout de zéro. En faisant cela, si c’est dans l’optique d’une chaîne publique au sens noble du terme, c’est-à-dire l’information aux communautés, et que l’Ortb va rester dans l’institutionnel, servir l’information des ministères, du gouvernement, des institutions de la République, des mairies et autres, là je comprendrais. Il n’y a pas une voix officielle qui nous dise que c’est le choix qui est fait. Mais les arguments que l’Ortb serait « ringarde », ne me convainquent pas en tant que expert en sciences de l’information et de la communication. Moi j’analyse la création d’une nouvelle chaîne sous l’angle de : est-ce qu’on va faire la démarcation entre chaîne publique d’information et chaîne gouvernementale ?

On a l’impression que le public ne s’intéresse plus assez à la télévision nationale. Il semble que les chaînes étrangères lui ont ravi la vedette.

Il y a ce qu’on appelle le biais informationnel. Vous ne suivez pas une chaîne parce que quelqu’un a dit que la chaîne est comme ceci et vous concluez que la chaîne est comme cela. Il peut en être autrement. En tant que universitaire, en tant que spécialiste du domaine de l’Information et de la communication, je peux suivre un certain nombre de chaînes pour après opiner et faire mon analyse. De ce point de vue, il faut demander à ceux qui disent que l’Ortb est si et ça. Ils n’ont pas suivi. Moi je la suis. Je pense qu’il y a un travail qui est fait. Quand on dit qu’elle est « ringarde », je ne suis pas totalement d’accord. Mais quand on me dit qu’on va créer une nouvelle chaîne pour rester dans un fil donné là d’accord –on a évoqué l’exemple de la Côte d’Ivoire. Sinon qu’est-ce qui va se passer : vous aurez beau créer la chaîne si les programmes diffusés n’intéressent pas les citoyens, ils vont suivre la chaîne mère que vous voulez peut-être institutionnelle ou gouvernementale, ou vice versa ils iront sur la chaîne publique qui va leur offrir des variétés, des émissions qui ressemblent aux populations.

Pensez-vous que les agents de l’Ortb ont un souci de liberté ?

Ce n’est pas exactement ça. Je prends le cas de la Radio nationale, elle a des marges de manœuvres. La télévision n’en a pas. C’est là où se pose la question de la liberté quand un gouvernement devient rédacteur en chef, ou les gens qui sont au pouvoir à un moment donné donnent des injonctions. Cela ne manque pas et ne date pas d’aujourd’hui. Il faut que les gens fassent des analyses synchroniques, pas diachroniques. De tout temps, que ce soit les gouvernements de Soglo, de Kérékou, de Boni Yayi, il y a toujours des injonctions données surtout à la télévision nationale. Si aujourd’hui, je le répète, le gouvernement veut faire la démarcation entre une chaîne publique et une chaîne institutionnelle on va bien considérer dans l’opinion que la chaîne qui va rester, le gouvernement est capable de dire « Je suis allé visiter les populations de telle localité, mon élément institutionnel passez-moi ça ». Ainsi, de l’autre côté, les gens auront le carton libre pour initier des programmes qui intéressent les populations.

N’est-ce pas possible de faire les deux sur une même chaîne ?

Le président Yayi voulait faire ainsi en créant la chaîne BB24. Mais est-ce que BB24 a échoué ? C’est là la question. La future chaîne Ortb+ c’était BB24, qui devrait s’occuper uniquement du développement et de l’économie. Est-ce que aujourd’hui elle a convaincu les populations ? En réalité, si on devrait faire une comparaison et rester objectif, on va dire que le gouvernement n’a pas forcément besoin de créer une nouvelle chaîne mais de prendre BB24, la chaîne qui était dédiée au développement et de la relooker. C’est peut-être pourquoi « Jeune Afrique » annonce qu’une partie du personnel sera prise; ça peut être celle de BB24 qui n’existera plus pour devenir Ortb+. Ce qu’on appelle le relooking en marketing.

Merci.

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