C’est un secret de polichinelle : l’attitude des huit pays francophones de l’Uemoa qui ont devancé leurs homologues anglophones en rebaptisant le Cfa ‘’Eco’’ fâche. Et Buhari, président du géant de l’est, le Nigeria qui exprime ouvertement sa déception au point d’évoquer dans une série de tweets, la menace de dislocation de la Cedeao.
Par Sêmèvo B. AGBON
Muhammadu Buhari, le président du Nigeria ne voit pas bon œil que les pays francophones aient choisi de réformer leur Cfa en Eco. Lors d’une réunion virtuelle de l’Autorité des chefs d’Etat et de gouvernement de la Zone monétaire ouest-africaine (Zmao), il a fustigé leur attitude unilatérale. « Il est inquiétant que des gens avec lesquels nous souhaitons adhérer dans un groupement commun prennent des mesures importantes sans nous faire confiance pour en discuter », a-t-il regretté. De plus, il parle de « sentiment de malaise que la zone UEMOA souhaite reprendre l’Eco en remplacement de son Franc CFA avant les autres Etats membres de la CEDEAO », écrit-il sur tweeter.
Pour rappel, le samedi 21 décembre 2019 à Abidjan, Bruno Le Maire, ministre français de l’économie et son homologue béninois, Romuald Wadagni, président du conseil des ministres de l’économie et des finances de l’Uemoa, ont signé en présence du président français Macron et de l’Ivoirien Ouattara, un accord qui met fin au Franc Cfa. Les principaux changements induits par cet accord sont au nombre de trois, à savoir le changement du nom de la monnaie de l’Uemoa, qui deviendra l’« Eco »; la fin de la centralisation des réserves de change de la Bceao au Trésor français; et le retrait de la France des instances de gouvernance dans lesquelles elle était présente. Le Cfa devenu Eco était alors prévu pour être mis en circulation au cours du deuxième semestre de l’année 2020.
La démarche a été vite critiquée. Puisque Eco est un projet de monnaie commune de la Cedeao. Des intellectuels ont alors ciré à la trahison. Comme l’opposant ivoirien Mamadou Koulibaly estime par exemple qu’elle vient court-circuiter la monnaie unique envisagée par la Cedeao. « Le fait qu’on se retrouve avec une autre ”Eco-Uemoa” alors qu’une monnaie du même nom était envisagée par la Cedeao constitue pour un “télescopage” qui « dénature complètement le projet de la Cedeao, s’il ne le compromet pas tout simplement », pense aussi le professeur Illy Ousséni . « En lieu et place d’un processus inclusif et endogène comme voulu au départ, on se retrouve avec un « Eco » décidé par l’Uemoa (ou plus exactement par la Côte d’Ivoire et la France) auquel on demande maintenant aux autres pays de la Cedeao d’adhérer ; toute chose qui me semble inimaginable pour certains pays comme le Nigéria, que je vois mal adhérer à une monnaie dont les termes ont été fixés par la Côte d’Ivoire et la France. On est donc parti pour une division des pays de la Cedeao entre d’une part, ceux qui vont accepter cette nouvelle donne et d’autre part, ceux qui vont la rejeter, mettant ainsi un terme au processus de l’Eco (le vrai)” », avait analysé le professeur Illy Ousséni de ‘Université de Ouaga II.
Cedeao, la dislocation bientôt ?
Telle une prédiction, le 16 janvier 2020, les six pays de la Zone monétaire de l’Afrique de l’ouest (Mamz) réunis à Abuja, ont dénoncé la décision unilatérale de rebaptiser le franc Cfa en Eco, comme nouvelle monnaie de leurs homologues francophones qui entendent l’adopter avant eux.
Les réserves visent surtout la France. Connue pour ses pratiques néocoloniales, on craint en effet qu’elle prenne en otage la monnaie unique envisagée pour poursuivre sa domination sur l’Afrique. Il n’est donc pas anodin que dans ses publications, Buhari insiste sur la souveraineté. « Le Nigeria soutient pleinement et est attaché à une union monétaire dotée des fondamentaux appropriés – une union qui garantit la crédibilité, la durabilité, la prospérité et la souveraineté régionale entière. Mais nous devons faire les choses correctement et assurer le respect absolu des normes établies ». Sinon, inutile de se « ridiculiser en entrant dans une union pour se désintégrer potentiellement au plus tôt lorsque nous y entrons. Nous devons être clairs et sans équivoque sur notre position concernant ce processus ». Comme un appel à l’Uemoa, Buhari exige de « procéder avec prudence et respecter le processus convenu pour atteindre notre objectif collectif tout en nous traitant les uns les autres avec le plus grand respect. Sans cela, nos ambitions pour une union monétaire stratégique en tant que bloc de la Cedeao pourraient très bien être sérieusement menacées ». La guerre de l’Eco peut donc emporter la Cedeao si tous les membres ne respectent pas les règles de départ.
La Cedeao va-t-elle se disloquer dans les mois à venir ? Attendons de voir. Pour le moment, tous les pays ne sont pas au pas quant aux critères de convergences.