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«Égalité au travail» au Bénin : Les femmes notent un état des lieux mitigé malgré la volonté politique

Les discussions ont été intenses, mercredi 9 mars au siège de la fondation Friedrich Ebert Stiftung (Fes) à Cotonou autour du thème « L’égalité au travail et sans violence ». Une initiative portée par le Réseau des femmes syndicalistes du Bénin (Refes) avec l’appui de la Fes dans le cadre de la 27ème édition de la Journée internationale de la femme. Le panel de discussion modéré par la journaliste Hermine Akponna, est composé d’Angela Kpeidja, activiste et journaliste à l’Ortb, Christelle Mèdaho, Jeune leader du Bénin et biologiste médical, Giscard Gbaguidi, membre de l’Ong Alcrer et Basilia Odjoubé Ahouansou, secrétaire générale adjointe de la Cosi Bénin.

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON

« À Lc2, dans mon contrat il était dit que je n’allais pas tomber enceinte avant deux ans. Moi j’étais mariée et j’avais déjà un enfant avant d’intégrer ce média. Malheureusement avant deux ans je suis tombée enceinte. Mon mari était jaloux du métier que j’ai embrassé, il était tout le temps derrière moi pour aller au reportage. Pour moi c’était une manière de le rassurer. Dès que je suis tombée enceinte ils m’ont renvoyée […] dans l’entendement collectif, m’ont-il dit,- j’animais une émission matinale- on ne pouvait pas se lever un matin et voir une femme avec un ballon devant », se souvient Angela Kpeidja.

Harcèlement, sexisme, mépris…en milieu professionnel, la femme au Bénin est loin de jouir du respect et des privilèges qu’elle mérite. Les témoignages partagés lors de ce panel sont glaçants. Avec les mêmes diplômes, elle n’est pas sûre de gagner le même salaire que l’homme dans la même entreprise. À cela s’ajoute leur faible représentativité dans les administrations, et surtout, une discrimination dans la distribution des tâches. Pire, des cadres qui jouissent d’une bonne image dans le public, « font du harcèlement sexuel une autre carrière à côté de leur carrière », reproche Christelle Mèdaho, Jeune leader du Bénin. Elle aussi a la mémoire fraîche : « J’ai connu des harcèlements en milieu universitaire ». Basilia Odjoubé Ahouansou, secrétaire générale adjointe de la Confédération des organisations syndicales indépendantes (Cosi Bénin) souhaite donc que « le législateur en cette matière soit un modèle ». Sinon, « Quand nous parlons de harcèlement et qu’on trouve des harceleurs très fins dans les milieux décisionnels, ça pose un problème », alerte-t-elle.

Vue des panélistes

 

 

Salaire et promotion sans discrimination

Qu’est-ce que l’égalité au travail ? La Sga Cosi Bénin fait une clarification simple : « à compétence égale, les chances égales et les salaires égaux ». L’égalité au travail part déjà du choix de carrière. Pour Christelle Mèdaho, c’est l’aspect le plus important. Elle fait l’amer constat qu’ « En fonction de leur éducation, les femmes sont portées vers des métiers moins valorisants, les métiers où on est moins payé, contrairement aux hommes ». Le premier défi, à l’en croire, consiste donc à amener les femmes à aller dans des métiers où on est bien traité. Elle les incite à embrasser de plus en plus les sciences. « C’est ainsi que nous allons confirmer nos capacités intellectuelles », justifie-t-elle.

L’égalité, renchérit Giscard Gbaguidi, exige aussi des politiques pour mettre l’homme et la femme au même niveau. Il faut, dit-il, adapter les outils de travail aux personnes vulnérables (femmes enceintes, femmes nourrisses) afin de leur garantir certaines conditions. Où en est le Bénin ? Si l’état des lieux n’est pas reluisant, les panélistes sont unanimes que le Bénin a connu des avancées. « Il y a eu beaucoup d’avancées sur le plan juridico-institutionnel », a noté le membre de l’Ong Alcrer. Surtout en 2021, la protection de la femme a été renforcée par le vote d’un certain nombre de lois. La loi portant mesures spéciales de répression des infractions commises à raison du sexe et de protection de la femme, par exemple. Aussi, la création de l’Institut national de la femme (Inf). Toutefois, « Il manque une certaine volonté politique », constate-t-il. « Les résultats restent mitigés. On prend des textes mêmes quand on sait qu’ils ne seront pas appliqués », critique-t-il. Angela Kpeidja est de son avis. « L’état des lieux reste catastrophique. On a les textes effectivement, on sent une volonté politique de nous accompagner. Il y a des instruments juridiques mais la réalité est tout autre chose », appuie-t-elle.

Estime de soi

La conduite et l’état d’esprit des femmes elles-mêmes comptent dans la lutte contre les violences, insiste Basilia Odjoubé Ahouansou, Sga Cosi Bénin. Le fait que la femme soit bien formée n’arrêtera pas les violences, a-t-elle lancé. Et pour cause, « La femme est un être d’attraction, il faut qu’elle le sache », s’est-elle défendu. « C’est au niveau de la femme d’abord. Qui suis-je ? Suis-je un être facile qu’on peut écraser ? ou un être fort ? J’ai le même potentiel que celui que j’ai en face de moi, alors pourquoi il va m’écraser ? L’éducation que nos parents nous ont donné, ce n’est pas une soumission de servitude », a-t-elle rectifié. « Pour ne pas devenir serpillière d’un homme, la femme doit être formée. Il faut le bagage intellectuel. Il faut aussi que les femmes sachent qu’il n’y a aucun rêve trop grand pour elles. Je peux rêver devenir la présidente de la république du Bénin, pourquoi pas ? Quand les femmes vont commencer par raisonner ainsi beaucoup de choses vont changer », a-t-elle conseillé. La jeune leader Christelle Mèdaho partage cette position. Il revient, autrement, « à éduquer les filles à ne pas se sentir moins importante », a-t-elle ajouté.

Deux heures et demie. C’est le temps qu’ont duré les échanges. Près d’une vingtaine d’interventions ont été enregistrées dans le public essentiellement composé de femmes syndicalistes. Elles ont montré que la question de l’égalité au travail, de la protection de la femme est très vaste. Et même si l’effet dissuasif des lois est reconnu, la majorité ramène le combat à la sensibilisation et à l’éducation. Dès le cercle familial il faut inculquer aux filles comme garçons le respect mutuel chez les êtres humains. « Nous sommes tous des éducateurs ici, nous prônons tous l’égalité des sexes », constate Paulette Hangbé, une syndicaliste. Elle observe, par ailleurs, que l’autonomisation financière est aussi un antidote contre les violences sexistes. « La femme doit être autonome. Les petites activités génératrices de revenus vont l’amener à avoir une parcelle de décision ».

Pierrette Vidégla, la présidente du Réseau nationale des travailleuses et travailleurs domestiques a relevé quant à elle une insuffisance. « Avec pincement au cœur j’ai constaté que ce débat n’a intéressé que la couche intellectuelle », a-t-elle déploré. Or, le « problème de harcèlement se pose avec acuité dans le milieu de celles qui n’ont pas la chance d’être scolarisées ou ne sont pas allées loin », a-t-elle déclaré. Constat jugé pertinent par la modératrice Hermine Akponna.

Conseils, recommandations. La séance a été édifiante. Les femmes ont reconnu qu’elles doivent aussi se donner la main et taire cette « rivalité inconsciente » en leur sein.

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