L’exposition de cercueils aux abords des voies persiste malgré quelques tentatives solitaires de la combattre. Le phénomène en vogue aussi bien dans les grandes villes que les communes rurales, constitue un mal dont certains s’estiment contraints de s’accommoder pendant que d’autres ne décolèrent pas.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
À Agon dans la commune de Toffo c’est un tabou. Le roi ne doit jamais voir du cercueil. « Hélas ! Il y a des cercueils exposés à la vue de tous ici. Assez même ! », déplore Vivien Vigan‚ historien de formation et originaire de la localité.
La conscience que la mort est une réalité existentielle incontournable, autorise-t-elle à la projeter au quotidien dans l’esprit des populations ? Un micro-trottoir à Cotonou révèle que de nombreux Béninois souffrent en silence de la publicité autour de la ‘’marchandise’’ peu ordinaire, les cercueils. « Moi j’ai peur quand je vois les cercueils !», avoue Francis G. Mais, à force d’en voir partout, au bord des voies principales voire secondaires, certains s’exercent à y résister. « Quand moi j’étais encore plus jeune, ça m’effrayait. J’ai peur parce que je me disais que les gens sont dedans. Mais aujourd’hui, cela ne me dit plus rien parce que c’est devenu une habitude pour les Béninois d’exposer les cercueils partout dans le pays », témoigne Mathias Koukpo. Il ne reste que ses enfants qui lui donnent de souci, puisque quand ceux-ci les voient, « ils ont peur ».
« Pas de loi dans ce domaine », apprend Médard Koudébi, spécialiste de l’hygiène funéraire. Du fait de cette lacune, le Bénin n’a connu que des tentatives solitaires d’interdiction. La plus récente est celle du conseil communal d’Avrankou, mercredi 24 mars 2021 à l’issue de la session ordinaire. Plus loin, le 5 septembre 2018 l’ancien préfet du Couffo, Christophe Mègbédji l’avait fait à travers un communiqué. L’exposition de cercueil aux abords des voies publiques, selon son message, est contraire à la morale. Pourtant, la lutte est fragmentée et inefficace.
À Bohicon où « les gens n’ont jamais manqué d’exposer des cercueils », selon les mots d’un habitant, un menuisier justifie la pratique et défend ses collègues. « Quand j’expose des cercueils, je ne prie pas qu’il y ait des morts. Non. Avant, cela ne se faisait pas et la population n’était pas si nombreuse. Mais aujourd’hui il nous est difficile de répondre à temps à plusieurs demandes à la fois. C’est pourquoi nous préfabriquons des cercueils et les exposons », nous a-t-il confié sous anonymat. Or, « La vue du cercueil exposé fait paniquer les personnes du troisième âge. Ce n’est pas normal », s’offusque Dah Ahinadjè, un sage respecté de la ville carrefour.
Au-delà de la peur qu’elle inspire, la vue du cercueil exposé est traumatisante pour les cœurs sensibles et ceux qui ont vécu des événements malheureux. Innocentia L., une citoyenne de Dangbo prévoit déménager à cause de cela. « Il faut que je quitte ce milieu, je crois qu’il doit avoir trop d’ondes négatives. Je vois du cercueil en partant au boulot et en revenant. Pire, il y a un menuisier pas loin de chez moi qui les expose et une morgue juste devant ma von », nous a-t-elle confié, toute triste. Redouter le cercueil signifie-t-il qu’on délire ou est-ce chose normale ? « Tout dépend de la personnalité que l’on incarne, de l’histoire et de la culture de chacun, des souvenirs d’enfance, des réalités vécues, de l’émotion… », confirme le psychologue Simplice Goudou. Car, indique-t-il, « Les représentations que celui qui a vécu une scène vivante de braquage d’un proche en pleine circulation aura de la mort, ne sera pas celles que quelqu’un qui a suivi un grand parent mourir dans les conditions de deuil normal aura ! La peur ou non dépend de tous ces paramètres. Mais ceux qui proviennent des milieux où la mort est un sujet tabou seront choqués et offusqués ». Toutefois, fait-il observer, l’exposition du cercueil « permet d’en parler et d’accepter que la mort est naturelle et que personne n’y échappera ».
Foncièrement contre
Cocou Fiacre Zonou (Prince Zédéka-Zédéka Kanhohonou) est spécialiste de spiritualité Vodun. Sa position par apport à l’exposition de cercueils, il l’exprime avec force : « Je suis contre ce phénomène mercantiliste. Lorsqu’on expose les cercueils ainsi on appelle l’égrégore de la mort à venir régner, à venir sévir. C’est bien dommage avec cette soi-disant modernité d’assister à ce genre de pratique. On appelle les esprits des morts à frapper fort les humains, c’est ce que ça veut dire sur le plan spirituel ; parce que le cercueil en lui-même c’est lugubre, funeste. Après nous sommes les premiers à nous plaindre de mort précoce ». Tout en reconnaissant que cette pratique renvoie à la réalité du commerce qui fait appel à la publicité, le sociologue anthropologue Dr Raymond Coovi Assogba se montre aussi contre. « Le cercueil était une réalité factuelle, c’est quand il y a un décès qu’il est fabriqué. On ne fabrique pas le cercueil avant le décès. Autrement, un cercueil fabriqué doit accueillir un mort. Fabriquer le cercueil avant qu’il y ait un décès veut dire que, métaphoriquement on souhaite qu’il y ait un mort (…) Que, aujourd’hui, les menuisiers fabriquent les cercueils en série et qu’ils les exposent, c’est une dénaturation de la philosophie du vivant dans le pays Vodun ».
Procéder autrement
La situation au Bénin frise la pagaille, estime Simplice Goudou. Une pagaille encouragée par « une habitude, qui semble entrer dans notre culture » à cause d’une absence de règlementation. Ce dernier, psychologue du travail et des organisations, et administrateur en gestion de projet et développement local, décrit que « ailleurs dans les pays développés, ce sont les funérarium (des sortes de boutique) spécialisées dans les produits et services liés à l’enterrement, maisons funéraires qui commercialisent les cercueils et ce ne sont pas des lieux qu’on visite facilement ». Car, dit-il, l’exigence de la qualité de cercueil dans la règlementation en ces terres, ne favorise pas (peut-être) sa fabrication massive comme l’on le constate chez nous. « Il y a donc une réglementation stricte en la matière. Les Américains par exemples dans leur majorité souscrivent aux assurances vie qui prennent en compte la gestion de décès. Le cercueil y coûte cher ainsi que le protocole d’inhumation. Vous verrez également qu’en France, c’est à la rigueur, des pierres tombales et les bouquets de fleurs qui sont visibles (1 à 2) dans les boutiques et c’est une fois à l’intérieur que vous pouvez opérer votre choix à partir d’un catalogue. En résumé, vous comprenez que c’est une question de règlementation et de culture ! On en viendra un jour, mais c’est un processus », a-t-il conclu. En attendant d’y arriver, les artisans et ceux qui organisent les cérémonies funèbres « peuvent se constituer en association structurée pour ressortir la beauté de cet art d’exposition qui sera plus discrète que ce que nous observons », leur propose-t-il. Suggestion qui rejoint celle de l’ancien préfet qui a invité les fabricants et autres commerçants de cercueils à avoir des magasins de vente où les cercueils seront entreposés. Libre à eux de les identifier par des plaques, enseignes ou autres panneaux d’orientation confectionnés à cet effet, a-t-il recommandé. Légiférer, c’est ce à quoi le sociologue Assogba appelle également et surtout « l’Etat doit tenir compte des valeurs du pays Vodun pour rappeler les menuisiers à l’ordre, afin que les cercueils ne soient pas fabriqués avant les décès ».
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Les pompes funèbres avec leurs accessoires et corbillards stationnés au bord des voies‚ n’échappent pas à la dénonciation. Elles ont aussi la “vertu” de rappeler…la mort.
Je vous encourage à poursuivre la rédaction des articles du genre.
Félicitation et courage à vous.