Journaliste à Banouto et lauréate du prix de meilleure journaliste d’investigation 2020, Falilatou Titi évoque la place du journalisme d’investigation au Bénin. Selon elle si L’investigation est peu répandue au Bénin c’est parce qu’elle nécessite plus d’effort et de moyens que tous les autres genres, et ça prend également du temps »
Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN (Coll.)
Journaliste : Vous êtes lauréate de la distinction meilleure journaliste d’investigation de cette année 2020. Dites-nous en quelques mots quelle représentation faites-vous du journaliste d’investigation ?
Falilatou Titi : Il faut au prime abord dire que l’exercice de notre métier du journalisme qui consiste à collecter des informations, les traiter et surtout vérifier la véracité de cette dernière avant de les publier est déjà en elle-même une forme d’investigation. Ce qui veut dire que le journalisme lui-même est de l’investigation. Maintenant quand on revient sur la question de la spécialisation, le journalisme d’investigation en d’autre sens c’est de faire des fouilles approfondies sur des sujets clés, clairs, précis et spécifiques que ce soit en santé, en société, en économie et en politique. On peut prendre un sujet qui est d’intérêt culturel mais le tout réside dans le traitement. Généralement on choisit un sujet qui nécessite d’être élucidé, d’être décortiqué à fond. Le but du journaliste d’investigation, c’est de relever les choses qui sont cachées au grand public et de les mettre à la face du monde. Et quand j’affirme que le métier du journalisme c’est l’investigation et qu’on peut se spécialiser, c’est que la différence c’est beaucoup plus le temps de travail, la démarche et la délicatesse qu’on prend pour le traitement de chaque sujet.
Outre le fait que le journalisme d’investigation relate une recherche détaillée d’information diverse, quelle est selon vous l’importance du journalisme d’investigation ?
L’importance de l’investigation, c’est qu’elle permet de toucher du doigt ce qui est méconnu du grand monde. Dans une certaine mesure, elle permet de régler des problèmes qui en fait, au départ ne sont pas juste parce qu’ils ne sont pas connus. Mais grâce à l’investigation on peut corriger un certain nombre de chose dans le fonctionnement de notre société. Et parler de l’importance de l’investigation m’amène à parler de ce que moi-même je fais. Par le biais de l’investigation on peut par exemple écrire une série d’articles comme ce que j’ai eu à faire sur le Contrôle Citoyen de l’Action Publique sur la commune d’Abomey-Calavi ; et une autre série sur la commune de Cotonou. Et sachez que l’investigation que j’ai faite sur les deux communes m’a permis de savoir que dans notre pays les patriotes béninois ne s’intéressent pas à l’action publique. Cette investigation m’a permis d’éveiller aussi la conscience d’une majorité de la population sur ces sujets-là et d’avoir vent des accointances entre acteurs politiques et acteurs de la société civile. Aussi de la mauvaise perception que les acteurs politiques et les acteurs de la société civile ont l’un envers l’autre. C’est l’investigation qui m’a permis d’avoir accès à ces informations. Bref l’investigation permet de révéler les vérités les plus enfouies dans n’importe quel domaine ou sur n’importe quel sujet. Dans plusieurs cas, elle permet de régler des problèmes en fonction de chaque sujet et en fonction du domaine d’intervention.
Le rôle du journaliste d’investigation, c’est de travailler à révéler au monde les informations qui sont cachées qui pourraient contribuer au développement de son pays, soit pour le changement de comportement, soit pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la population.
Le journalisme d’investigation est un genre moins développé au Bénin. Selon vous, pourquoi ?
Dire que le journalisme d’investigation est peu développé au Bénin, est ce que moi Falilatou je suis habileté à faire cette déclaration ? Non, je ne le pense pas. Mais le constat qui est fait même par nos ainés qui nous ont précédés dans la profession et même dans les études ont montré que l’investigation est l’enfant pauvre de la presse béninoise. C’est ce constat qui a suscité la création de Banouto, qui a fait de sa ligne éditoriale l’Investigation et le Grand Reportage. Et c’est surtout pour combler ce vide qui existe dans la presse béninoise. Si l’investigation est peu répandue au Bénin c’est parce qu’elle nécessite plus d’effort et de moyens que tous les autres genres, et ça prend également du temps. Elle demande du temps ainsi que de la disponibilité, des ressources et aussi une sorte d’ouverture d’esprit parce que, vous savez quand on veut investiguer sur un sujet il faut mettre de côté ses préjugés, chercher à prendre contact avec les personnes ressources, savoir prendre du recul par rapport à ce que les gens disent, et même sa compréhension du sujet ou de sa propre conception de la chose et aller vers la réalité et les faits pour étudier l’aspect qu’on veut élucider et démontrer. Tout çà demande des moyens financiers.
Comment pensez-vous que ce genre peut être encouragé au Bénin ?
Je dirai que pour encourager le journalisme d’investigation particulièrement les journalistes d’investigation, il faudrait instaurer des prix pour plus les valoriser et les amener à s’y intéresser. Aussi, instaurer dans plusieurs secteurs d’activités de notre profession des prix de meilleure production journalistique. Même les efforts les plus modestes qu’il y a de les primer parce qu’il n’y a pas de piètre production en matière de production journalistique.
« Mauvaise gestion des actes de l’autorité au Bénin : Les chefs de quartier et de village piégés par un apparent vide juridique ». Tel est le titre de l’investigation qui vous a valu un Prix et un trophée le 14 Juillet 2020. Qu’est-ce qui a séduit le jury chez vous ?
Je précise d’abord que le concours a été lancé en fin 2019 et s’en est suivi plusieurs phases d’élimination. Maintenant selon ce qui a été dit le jour de la cérémonie de remise des prix, le jury a sélectionné cette production en fonction d’abord de la pertinence du sujet traité, ensuite du caractère actuel, c’est-à dire le sujet est d’actualité ; après l’originalité de l’angle de traitement ; et enfin de la multiplicité des sources d’informations. Quand on parle de mauvaise gestion des actes de l’autorité : des chefs de quartiers piégés par un apparent vide juridique, n’importe qui pourrait s’attendre à lire seulement dans cette production un papier ayant trait aux conseillers locaux. Mais l’enquête ne s’est pas limité seulement à ceux-là, il y a les populations, les conseillers locaux, les chefs d’arrondissements, les juristes experts en gouvernance et en décentralisation locale, les juristes financiers. Il fallait partir de l’organisation des communes au Bénin, du régime financier des communes au Bénin pour élucider cette question de la mauvaise gestion des actes de l’autorité. C’est sur cette base que je suis parti et aujourd’hui je me réjouis du fait que la base sur laquelle je suis parti pour résoudre mon enquête ait retenu l’attention des membres des jurys qui l’ont validé et apprécié. Surtout que le comité du jury était constitué des éminents journalistes et pas des moindres dont Michel Tchanou, et l’ex président de l’Upmb Brice SOSSOU. On connait la rigueur et l’exigence en termes de qualité de ces derniers.
Vous avez aussi mené une investigation sur les communes frontalières du Bénin, pourquoi avoir choisi ce thème ?
C’est d’abord un projet, nous avons estimé qu’il fallait sous la quatrième mandature de la décentralisation au Bénin poser le débat sur les défis socio-économiques et sécuritaires des communes frontalières au Bénin parce que dans ces communes reculées ou situées à l’extrémité du pays, il y a une sorte de contraste dans les localités. C’est-à dire quand vous quittez une commune frontalière au Bénin pour passer à une autre commune frontalière dans le pays voisin, vous voyez que les conditions de vie des populations ne sont pas les mêmes. Et les soucis c’est par exemple la menace terroriste qui les guette, quand les gens manquent d’eau, n’ont pas d’électricité et sont dans de mauvaises conditions de vie, est-ce qu’ils ne seraient pas sous l’emprise de potentiels terroristes ? En fait le problème est que ce sous-développement rend les populations des zones frontalières vulnérables et les expose aux menaces terroristes. En plus de cela nous pensons qu’il fallait qu’il y ait une sorte d’équité dans les conditions de vie dans notre pays. Si à Cotonou le moins nanti est à 500 francs de dépense par jour alors qu’à 500 ou 700 kilomètres de Cotonou, les gens arrivent difficilement à dépenser 5francs la journée. Tout çà, nous ne pouvons pas rester dans les quatre mûrs d’une rédaction pour le dire. On s’est alors dit qu’il faut confronter ce que l’on entend et ce que l’on pense à la réalité ; et c’est dans cette optique nous sommes allés dans ces communes frontalières du Bénin. Le Bénin sur ses 77 communes dont 36 frontalières nous nous sommes rendus dans quelques-unes parmi lesquelles Tanguiéta, Karimama et Kétou. Plusieurs raisons expliquent cette situation mais la cause fondamentale est la pandémie actuelle qui nous a limités économiquement, par exemple les prix de transport ont doublés pour une personne et il y a beaucoup d’autres facteurs aussi.
Nombreux sont les médias en ligne au Bénin aujourd’hui. Quelle est votre appréciation de ces médias dans le traitement de l’information ?
Les médias en ligne béninois sont très actifs et prompts sur les sujets d’actualité. Maintenant il y a une multitude de productions dans la presse en ligne béninoise. Est-ce que c’est tout ce que publient les médias en ligne qui sont vrais ; ça reste à prouver. Aujourd’hui l’écosystème internet favorise la création de blog par n’importe qui dans le monde, avec le foisonnement des poisons informatifs. Par conséquent, ce qu’il y a à faire ce n’est pas d’interdire les médias en ligne mais plutôt d’encadrer cette nouvelle forme de journalisme. Qu’on le veuille ou non la technologie a évolué et nous sommes à l’ère du numérique et il faut évoluer au rythme de la mondialisation.
Votre mot de la fin
Je souhaite vraiment que les conditions soient remplies dans notre pays ; je veux dire favorables pour une presse libre et de qualité ; puisque le journaliste quand il veut travailler il travaille, si les conditions le lui permettent. C’est pourquoi je parle de conditions ; qu’elles soient légales, économiques…