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Felwine Sarr : «Les ancêtres repartent‚ Les ancêtres reviennent»

Il est des évènements qui pourraient se passer de discours tant leurs sens profonds imprègnent et soulèvent les somnambules que nous sommes.

Et en ces moments, l’ineffable joie d’être le témoin d’un moment historique, chargé de sens, dont on a rêvé l’advenue, rend les mots suspects sinon inutiles
Il arrive même qu’ajouter des mots sois synonyme d’ôter du sens
Aujourd’hui, les ancêtres Glèlè, Ghézo, Béhanzin avec leurs cohortes, repartent vers les terres rouges d’Abomey et de Ouidah. A nouveau ils traverseront l’Atlantique, mais cette fois-ci dans le sens d’un retour nécessaire et tant attendu. Leurs dos battus par les souffles du ponant,
Durant 129 ans, ils furent privés du soleil du Danhomé, de l’air du regard des leurs, des soins rituels, des chants, des processions annuelles


Aujourd’hui ils entament la fin de la saison de l’ombre de leur exil.
Ces objets qui retournent, nous l’avons dit, ne sont pas que des objets.
Ce sont des signes qui débordent tous les sens qui leur furent attribués.
Enfants d’une longue évolution spirituelle, sociale et artistique, puissances de germination, forces d’engendrement du réel, ce sont des êtres habités par l’âme et l’esprit des cultures qui leur ont donné vie.
A ces cultures, a cruellement manqué, pour alimenter les forges du présent et de l’avenir, le feu des anciens…
Il a fallu aller chercher les sèves un peu partout, téter parfois au pis le plus sec
Mais l’art survécu à la ruine et le signe se logea dans la demeure insaisissable du songe. Ces cultures perdurèrent. Et la vie avec.
Aux ancêtres, il fallut un courage inoxydable et une droite patience pour nourrir la sève de l’absence et percer le secret de l’attente qui ne fait pas vieillir.
Ils ont tenu. Ils refusèrent de mourir et d’êtres pétrifiés. Qu’il fut long le temps…
Aujourd’hui, ils repartent là où se couchent les songes
Où ne les atteindront plus les débâcles et les mots bancals, où ils reprendront souche dans les profondeurs de leurs terres nourricières
Où en se démultipliant, ils feront traces et féconderont les terres en jachères
Ma joie est d’apprendre qu’il arrive que les exils ne soient pas définitifs, que les chemins ne se perdent pas pour toujours et que bientôt Glèlè, Ghézo, Béhanzin et leurs cohortes retrouveront leur foyer ardent
Immobiles, ils se mettront à nouveau en marche
Silencieux, ils retrouveront leur voix
Puissions-nous prendre soin de nos mots et les accompagner
Afin qu’ils ne rentrent pas chez eux à reculons
La nouvelle éthique relationnelle que Benedicte Savoy et moi appelons de nos vœux commande de commencer par un acte justice. Cet acte, la France le pose aujourd’hui en restituant les corps matériels de ces sujets-objets. C’est tout à son honneur.
Le chemin de la justice est irréversible, une fois emprunté on ne peut revenir en arrière
Pour nous tous ; une nouvelle brèche à ouvrir, un nouveau passage à découvrir, prendre pied dans les plages de la mémoire pour dessiner une nouvelle aurore,
C’est ainsi que nous rendrons ce monde habitable pour tous.
Legba à nouveau se lève et ouvre les chemins
Glèlè, Ghézo, Béhanzin !
Doo nú koléyi mi gòn, Bon retour chez vous !

Propos de Felwine Sarr ce mercredi 27 octobre 2021 au musée du Quai Branly

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