Une visite de travail en Côte d’Ivoire du président français Macron. L’on pensait alors à une rencontre d’amitié qui n’engage que les deux pays. Hélas ! c’est à cette occasion que sera faite une annonce importante dont les impacts vont au-delà des murs du pays de Boigny : la réforme tant souhaitée de la monnaie coloniale d’asservissement, le franc Cfa utilisé par 15 pays africains. Même si Ouattara est le président en exercice de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui regroupe 8 pays, la démarche semble bien solitaire pour beaucoup d’observateurs, autant que la réforme elle-même fâche en certains points.
Par Sêmèvo B. AGBON
C’est un ouf de soulagement et pas un sentiment de victoire qui traverse la jeunesse africaine, surtout les activistes et économistes anti-Cfa. En effet, aux côtés de Ouattara, Macron a annoncé samedi 21 décembre des réformes du Cfa qui ne rassurent pas. Il s’agit notamment du changement de nom en ”Eco”, l’arrêt de la centralisation de 50% des réserves des pays concernés au Trésor français et le retrait de la France des instances de gouvernance de la monnaie (dont la Bceao) dans lesquelles elle était présente. Macron veut mettre fin aux critiques sur son pays traité de néocolonial. En effet, créée en 1945, le Cfa est présenté comme facteur d’inhibition du développement et de l’industrialisation des pays africains. Il est “perçu comme l’un des vestiges de la Françafrique”, reconnaît-il. Ainsi il veut rompre les amarres pour “bâtir une relation nouvelle, à la fois passionnée et décomplexée”, a déclaré Macron à Abidjan.
Seulement, ce qui ne change pas, et qui frustre c’est le maintien de la parité avec l’euro, ce qui donne 1 euro = 655,957 francs. Moïse Kérékou, économiste et ancien ambassadeur du Bénin en Turquie dit rester sur sa faim. Il accuse la France de donner le mouton et de garder dans le même temps la corde. «Tant que je ne peux pas changer mon Eco en Livres sterling, en Yuan chinois ou Dinar koweïtien, et que je dois toujours transiter ou faire escale en Euro, le problème persiste», a-t-il écrit sur sa page Facebook. Pour dire que la France garde toujours la main sur la future monnaie pour tirer les pays africains et les maintenir dans la dépendance. «Car quelqu’un ou un groupe à travers sa monnaie contrôle toujours et a un œil sur mes opérations et peut décider du jours au lendemain de me priver de sa plateforme de transit», poursuit-il. Par ailleurs, le fait que la réforme ou la fin annoncée du Cfa ne concerne pas ses utilisateurs de l’Afrique centrale, pour le moment, pose problème à son sens. Kèmi Séba conclu que ce changement brutal n’est que ”cosmétique”.
Un coup dur pour le projet de monnaie commune Cedeao
Tout cela fait dire à l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla que « Non, le franc CFA n’est pas mort. Macron et Ouattara se sont seulement débarrassés de ses atouts les plus polémiques », confie-t-il au journal français Le Point. « Le cœur du système est bel et bien en place (accord de coopération monétaire avec la France comme “garant” ; parité fixe avec l’euro ; politique de répression monétaire ; maintien d’une zone franc composée de pays qui commercent peu entre eux et qui logiquement ne devraient pas partager une même monnaie). Avec “leurs” réformes, Macron et Ouattara ont signé l’acte de décès du projet d’intégration monétaire entre les 15 pays de la Cedeao », a-t-il écrit sur sa page Facebook et rapporté par le même quotidien hexagonale. Kako Nubukpo, l’économiste togolais qui a fais plusieurs fois les frais de son engagement anti-Cfa préfère rester vigilant. “Nous resterons tout de même vigilants sur la question du régime de change qui devrait bientôt être résolue, la parité fixe étant transitoire”, indique-t-il sur sa page Facebook. Même hésitation chez le professeur Mamadou Koulibaly, l’opposant Ivoirien très hostile au Cfa. «Le franc Cfa d’Afrique de l’ouest est mort, nous dit-on, et son fantôme vient hanter l’Eco que nous attendions de la Cedeao. Le compte d’opérations est supprimé, mais où vont donc les réserves de change ? Les représentants français siégeant au sein des instances de la Bceao vont être retirés, alors qu’on nous disait qu’ils n’existent pas. La France se retire de la gouvernance de la monnaie, affirment-ils, alors que la garantie de celle-ci reste assurée par Paris. La parité aussi restera fixe. En fait, rien n’a changé. Qu’en pense la Cedeao, dont la monnaie vient d’être court-circuitée par Ouattara ? Qu’en pense l’Uemoa, dont la monnaie vient d’être exécutée par Ouattara ? La France, dont nous exigeons qu’elle mette fin à ses pratiques post coloniales, prétend avoir fait un pas historique en compagnie de Ouattara, qui se révèle être, comme d’habitude, le maintien du statu quo. Elle avance sans bouger. Juste une réformette. Le combat continue.», a-t-il immédiatement réagi sur la page Facebook de son parti Liberté et démocratie pour la république (Lider).
Macron comme de Gaulle en 1960
En clair, même si les déclarations d’Abidjan marquent un tournant historique dans la réforme du Cfa, créé en 1945, elles ne répondent pas encore complètement aux aspirations de la jeunesse qui veut rompre avec tous les liens qui maintiennent l’Afrique dans la misère. En cela, Ouattara a ”trahi”, accusent les internautes sur les réseaux sociaux. Il est « triste de constater, encore une fois, que Ouattara a trahi les peuples ouest-africains qui voulaient s’offrir une bonne monnaie, l’Eco, dans la Cedeao et auxquels il vient de voler leur rêve d’intégration monétaire, en sacrifiant cet espoir à un vestige de l’esclavage qui a pris les avatars de la colonisation et qui, moribond, cherchait une source vivifiante pour rebondir », fait écho Mamadou Koulibaly. Même condamnation chez le professeur de l’université Ouaga II, Illy Ousséni. Le fait qu’on se retrouve avec une autre ”Eco-Uemoa” alors qu’une monnaie du même nom était envisagée par la Cedeao constitue pour lui un “télescopage” qui “dénature complètement le projet de la CEDEAO, s’il ne le compromet pas tout simplement”. “En lieu et place d’un processus inclusif et endogène comme voulu au départ, on se retrouve avec un « Eco » décidé par l’UEMOA (ou plus exactement par la Côte d’Ivoire et la France) auquel on demande maintenant aux autres pays de la CEDEAO d’adhérer ; toute chose qui me semble inimaginable pour certains pays comme le Nigéria, que je vois mal adhérer à une monnaie dont les termes ont été fixés par la Côte d’Ivoire et la France. On est donc parti pour une division des pays de la CEDEAO entre d’une part, ceux qui vont accepter cette nouvelle donne et d’autre part, ceux qui vont la rejeter, mettant ainsi un terme au processus de l’Eco (le vrai)”, a-t-il écrit.
Somme toute, ce qui s’est passé à Abidjan ressemble point pour point à la manière dont de Gaulle avait distribué aux pays afrcains les indépendances en 1960, pour que plus de 50 ans ceux-ci s’apercoivent être plus que jamais dominés politiquement, miltairement et économiquement. En clair les espoirs d’une souveraineté monétaire africaine sont encore loin.