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Koovi Attohoué Ahouangboïssan, chercheur en traditions africaines : « Le Vodoun n’a été à la base d’aucun génocide, d’aucune guerre »

Pourquoi recourt-on aux pratiques Vodoun la nuit et les combat-on le jour ? Le Vodoun est-il réellement diabolique tel qu’injecté dans la conscience populaire ? Face à ces questions, c’est à un véritable travail de démystification et de réhabilitation du Vodoun que s’est livré le promoteur de l’Institut Vodoun Miétonou. Joachim Koovi Attohoué Ahouangboïssan, chercheur en traditions africaines et spécialiste du Vodoun démontre que tout est savamment orienté et ourdi par l’occident esclavagiste pour arracher le Noir à ses racines afin que jamais il ne soit libre et heureux. Interview !

Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON

 

BI : Commençons cette interview par une clarification. Le Vodoun est sujet à polémique. Certains le réduisent au cultuel et sont donc réticents vis-à-vis. Il est redouté et rejeté d’autres. Le Vodoun, c’est quoi réellement ?

Koovi Attohoué Ahouangboïssan : Le Vodoun, c’est la science de la nature. La nature a cette forme de chose qu’on observe, qu’on appréhende et qu’on n’arrive surtout pas à mesurer. Le Vodoun est un art de vivre. Le Vodoun c’est la cosmogonie. La question est vaste.

Six générations ont été pénalisées et ne peuvent donc pas comprendre ce qu’est exactement la nature. Elles ne peuvent donc comprendre que ce qu’on leur demande de comprendre sur la nature. Sur-ce le Vodoun, un sujet polémique, je ne vois pas. Ceux qui le traitent ainsi ont des problèmes. Le Vodoun n’a été à la base d’aucun génocide, d’aucune guerre. Ceux qui essaient de camoufler les choses peuvent trouver que le Vodoun est à polémique, alors que ceux qui tuent avec les kalachnikovs ont des titres élogieux. Peut-être parce qu’ils sont les représentants légitimes de Dieu sur terre.

Nous les Africains, avons oublié que ‘’l’espace paradis’’ a été trafiqué par les religions dites révélées. Mais quand vous êtes des dominés vous n’avez pas la chance de comprendre qui vous êtes, parce que logiquement ce qu’on vous donne, ce qu’on vous apprend est orienté pour faire de vous des éternels esclaves. Ceux qui pensent que le Vodoun est diabolique et satanique ce sont eux plutôt qui ont l’esprit diabolique et satanique.

Nos ancêtres les ont acceptés sur cette terre. Ce que la Médine, qui est aujourd’hui la base mondiale de l’islam ne peut pas faire. Ce que également la Rome antique ne pouvait pas faire. Nous avons tout donné comme amour à l’humanité. Mais dommage ! Quand vous êtes des dominés et vous ne trouvez pas les moyens de vous exposer et de dire qui vous êtes, on peut vous traiter de tous les mots.

Nous les Africains avons tout. Les autres n’ont qu’une partie de ce que nos grands-parents ont laissé. Quand je prends la religion musulmane, c’est seulement le ‘’Lissa’’ qui est représenté. Quant au Catholique romaine, c’est le ‘’Toxiô’’, les ancêtres. Tous ceux qu’on nous a inventés comme messie ne sont pas à revenir mais les dogmes nous disent qu’ils vont revenir. A ce titre on peut continuer par se tromper.

J’ai l’habitude de dire à mes amis français que le plus dangereux chez l’Homme c’est qu’il a peur de se chercher. Et le plus destructif c’est quand il est ignorant ; il accepte, il assume. Donc quelque part, quand vous entrez dans le sujet Vodoun, faites attention. Ce n’est que l’étude de la nature, les approches dans lesquelles nous devons retrouver notre équilibre.

Comment expliquer et comprendre que nuitamment les pratiques Vodoun soient très sollicitées (des élites par exemple) en vue d’avoir protection (‘’glo’’), prospérité… et vigoureusement combattues dans les discours le jour ?

Pour moi c’est une question individuelle. L’Africain ne sait pas l’orientation dans laquelle il est. Il n’arrive pas à s’approprier ses valeurs. Les élites ne peuvent porter un doux discours sur le Vodoun alors que chacun d’eux a une partie de Vodoun en lui. Vous avez les ‘’Hunjayi’’ et les ‘’Hunjagba’’. ‘’Hun’’ c’est le sang, le sacré.

Le Vodoun n’a que trois couleurs qui sont les bases des couleurs au monde : le noir, le rouge et le blanc. Donc le ‘’Hun’’ c’est le sang ; et si tu deviens ancêtre ce sang est fini en toi. C’est ce que j’appelle ‘’énergie locomotive’’. L’esprit c’est ce qu’il nous faut étudier aujourd’hui. Et personne au monde ne peut mieux étudier l’esprit que les Dahoméens. La question de l’âme et de l’esprit, c’est nous. Les autres vont vous amener le ‘’retour de choses’’ qu’on appelle science, or la vraie science est avec nous.

Alors, revenant aux élites, leur attitude se comprend. A un moment donné il y a eu cooptation de leur orientation sur le devenir de l’Afrique. On les a mis dans des sectes et des confréries qui ne leur permettent pas de voir que la réalité est à côté d’elles. Elles préfèrent donc aller vers le Vodoun, la nuit, pour s’approprier des énergies. Mais ce n’est jamais durable avec eux ; ces énergies les lâchent en chemin. Or quand vous êtes avec la nature vous êtes très équilibré, vous n’avez peur de rien. Vous agissez comme un homme bien orienté, bien équilibré. L’harmonie de l’humanité vous permet de porter un regard sur toute chose avec justice.

L’une des réalités qui nous pénalisent, c’est que les autres ont travaillé de façon scientifique sur leurs réalités. Il y a beaucoup de documentation. Chez nous l’oralité domine, ce qui se comprend. Mais n’est-il pas tant de prendre des initiatives collégiales littéraires pour valoriser le Vodoun, donner à saisir ses divers aspects ?

Le Vodoun est bien valorisé. Il faut d’abord comprendre qui nous sommes en face des autres. Pendant vingt-deux millions d’années la terre n’était vécue que par des Noirs. La race blanche ne vient que de cinq mille ans en arrière. Donc quand vous entrez dans vos ancêtres lointains nous sommes les géniteurs de toutes les civilisations du monde. Si aujourd’hui nous sommes derrière c’est parce qu’à un moment donné ceux que nous dominions ont aussi compris qu’il faut entrer dans la danse ; ce que j’appelle la ‘’guerre psychologique’’ ou la ‘’guerre même de l’évolution de l’Homme sur la terre’’. Tout ce qu’on vous inflige à travers l’éducation fait de vous des esclaves. Aujourd’hui les gens ne peuvent pas s’exprimer dans leurs langues, or la langue est l’âme d’un peuple. Aujourd’hui nous parlons français, et donc dans l’âme, c’est-à-dire l’esprit linguistique des Aztèques (les Français ne sont pas des gaulois, ils viennent de loin) or c’est par force, par agressivité à tous les niveaux que les Français ont pu imposer leur langue à tout ce monde.

Revenons à pourquoi nous ne nous sommes pas organisés. On ne peut pas entrer dans une sphère d’éducation où tout ce que nous allons faire est dicté par l’occident. Le colonisateur esclavagiste, bien après l’indépendance qui n’en n’est même pas une, continue par veiller sur nous. Ainsi, tout ce que nous faisons est limité à eux. L’Unicef, l’Unesco… sont tous destinés à contrôler mentalement les Africains. Pire, ceux que vous appelez missionnaires sont des mercenaires. La plus forte des guerres qui détruit un peuple est d’ordre psychologique. Si on vous renvoie à des choses qui ne sont pas à vous, vous êtes juste debout mais vous errer. Ça tangue ! Vous ne savez d’où vous venez ni d’où vous allez. Si on vous dit demain que toute cette histoire de Jésus est fausse, les Africains vont continuer à croire en Jésus-Christ parce que c’est ce qu’on leur a dit. Ils n’ont pas vérifié ni cherché à comprendre.

Est-ce que quelque part nos aïeux n’ont pas péché en acceptant, en hébergeant et en nourrissant sans prudence, l’étranger dont ils ignoraient les intentions ?

Nos ancêtres n’ont rien fait de mauvais. L’humanité, c’est d’abord une vision en soi. Si vous acceptez d’être barbares, quelle que soit la génération que vous mettez en place, elle sera la même chose. Et souvent c’est par idéologie. Nos ancêtres ont fait ce qu’ils peuvent, car l’Homme que tu as devant toi, à travers l’universalité, n’est que ton prolongement. Donc refuser d’accepter les autres ce n’est pas la peine. Ils ont fait preuve d’humanisme et cela les suit. J’ai dit à des Chinois qui m’ont visité dans mon village, que l’Afrique va étonner en 2060. Plus personne ne lui prendra encore sa place parce qu’elle a supporté pendant longtemps des fardeaux que lui-même a créés. L’Europe aussi a connu la colonisation et n’a pas ruminé cela. Ils ont pu tirer ce qu’il faut pour leur développement. Nos ancêtres n’ont pas péché. Vous allez fouiller le Vatican vous n’allez pas trouver une synagogue de bouddhisme, donc ce sont des fanatiques. Ils sont orientés dans une vision et c’est ça ou rien. Vous fouillez aussi la Mecque vous n’allez pas trouver une église. Mais la terre du Dahomey a accepté toutes les autres obédiences.

La question du Vodoun c’est l’amour du prochain, l’acceptation de l’autre. C’est dans un prolongement de soi qu’on peut faire face à son orientation divine. Si vous n’avez pas cela vous n’êtes pas un humain. Donc la question du Vodoun c’est l’amour du prochain, l’acceptation de l’autre sans indifférence. C’est pour cela que les Blancs ont fait tout ce qui est de leur pouvoir pour finir avec le Vodoun pendant cinq siècles, mais ils n’ont pas pu. Le Vodoun est poursuivi depuis près de sept siècles en arrière. Pendant l’esclavage et la colonisation le Vodoun a résisté. C’est un privilège pour les Béninois.

Vous avez parlé de 2060. Qu’est-ce qui vous permet d’être sûr que l’Afrique va renaître ?

2060 parce que les changements qui s’opèrent ne peuvent pas rester indifférents à l’Afrique. Au Ghana, les jeunes ont compris que le jean n’est pas approprié à eux mais ils ont vu que c’est économique, donc il faut le garder. Alors ils le mettent sous des boubous. C’est dire que l’identité vestimentaire, le Noir est en train de comprendre qu’en cela il est esclave. Le fait de se mettre en costume ne lui permet pas de se désigner lui-même dans une culture et de se déterminer. Après, les langues. Au Congo, au Nigéria… il y a déjà beaucoup d’applications dans les langues locales. A Oyo, à Ibadan les jeunes communiquent dans leurs langues. Ils abandonnent l’anglais. Ils savent qu’avec leurs langues, le Blanc ne peut pas tricher avec eux. Il y a aussi le Swahili. Paradoxalement, nous qui sommes dans les mailles de la France, c’est le contraire.

Ce qui me fait parler aussi de 2060, tout va tellement vite et le changement va étonner le monde. Les Africains sont fatigués. Nos ancêtres s’ennuient au ciel. Beaucoup de choses se mijotent. En 2060 l’Afrique va étonner.

Qu’est-ce qui a motivé la création de l’Institut Vodoun dont vous êtes promoteur ?

Très tôt j’étais dans les affaires et déjà à 17 ans je voyageais beaucoup. Ce que j’ai vu à travers le monde, je me suis dit que je l’ai chez moi. Quand vous prenez comment réfléchissent spirituellement les gens au-delà de cette Afrique, vous verrez que tout ce qu’ils ont été et continuent d’être dans leur évolution repose sur leurs patrimoines, leurs cultures, sur la vie de leurs ancêtres. Le monde visible et invisible se complètent pour le devenir de l’Homme. Nous les Africains, nous ne pourrons rien si nous ne retournons à nos racines.

Donc après tout ce tour à travers le monde j’ai pensé à une orientation en cette époque. La base scientifique des choses permet de contrôler et de parvenir à faire des diagnostics clairs. Le Vodoun reste le même. A la côte je vois des gens dire qu’ils sont maîtres des eaux. Quand je rentre à Dassa d’autres disent qu’on ne peut pas être maître de la terre, des eaux, qu’on ne peut que s’en servir. Tout cela me touche, ce sont des enseignements. Quelqu’un d’autre dit qu’il est dieu, qu’il faut le suivre ; d’autres disent que tout le monde a un dieu en lui.

Il faut approcher la réalité pour comprendre qui on est. A ce titre il faut déjà laisser un institut pour permettre aux gens d’approcher les choses et de les comprendre. Et c’est dans tous les domaines. Quand vous rentrez dans le Vodoun vous avez tout : les arts, les mathématiques dans le Fâ… Alors je me suis dit pourquoi ne pas créer une base. Les Français n’ont pas en tant que tel une culture. Parce qu’il fera froid pendant neuf mois. Quand est-ce qu’ils vont lire la couche des étoiles, la position de la nuit pour comprendre qui ils sont. Ils vont passer tout leur temps dans les cabanes contre le froid. Mais aujourd’hui ils ont des instituts partout. En Afrique seule la France a 49 instituts. Pour faire quoi ? c’est pour être présente dans le vécu des gens. Or nous, nous avons la nature qui fait le vécu général de toute chose. On ne peut même pas orienter les gens pour qu’ils comprennent la nature. Nos ancêtres l’ont fait. Il était donc urgent de mettre quelque chose en place pour réfléchir à la question. D’où le premier ‘’Institut Vodoun Miétonou’’ est né dans le monde et verra sa seconde porte à Port-au-Prince le 18 février prochain. Des amis aux Etats-Unis en Louisiane sont aussi en train de créer leur institut. Ça me fait plaisir que le peu de chose qui se fait au Bénin va être copié par d’autres.

Je sais que ma population est très réduite mais les partisans qui disent la même chose dans une orientation spirituelle sont plusieurs dans le monde. Nous sommes 11 millions au Bénin mais la famille des ‘’Vodounsi’’, c’est 120 millions à travers le monde. A Salvador vous allez entendre trois langues du Bénin : le Fon, le Mahi et le Yoruba. Au Venezuela vous avez aussi une partie qui parle naturellement le Fon du Mahi ; et ce sont des adeptes. Le jour j’ai vu ça, j’ai coulé des larmes. Le Bénin a tout. Quand j’ai parlé de l’institut à Bahia, des professeurs d’université se sont pointés pour qu’on y réfléchisse.

L’Institut est situé dans le département du Zou, 7km de Bohicon, à Tindji. Il a été créé le 10 janvier 2016 et dispose d’une chaîne ‘’Vodoun TV’’ qui est encore à l’étape expérimentale.

Du 3 au 17 février, un événement…

Le premier pèlerinage des Afro descendants sur la terre de leurs ancêtres. C’est un retour à la source. Au temps des esclavagistes nous les dominés n’avions pas le droit de définir notre identité. Je me demande si c’est seulement cela qui empêche les 54 États africains de comprendre qu’ils n’ont rien de plus grand que le Vodoun, qu’on retrouve partout. Le Vodoun est même mieux connu que ces religions révélées, parce que jusque-là il n’a pas eu de mécènes ni de dons comme elles. Il est resté égale à lui-même et a existé. Or si aujourd’hui on interdit les quêtes et dons aux Églises mises en place en Afrique elles ne vont plus exister. Il ne restera alors que la nature qui est le Vodoun. Du commencement jusqu’ici il n’a pas eu de subventions ni même une organisation pour le pousser. Mais il existe, il est encore là.

Donc du 3 au 17 février prochain vous aurez nos frères arrachés depuis 400 ans ici. Ils viendront retrouver leurs frères en Afrique. Il y aura des rituels pour soigner beaucoup de blessures, car ce sont des gens qui pleurent dans leurs âmes.

Mot de la fin

J’exhorte la jeunesse à faire l’effort de voir les choses autrement, à prendre le temps de diagnostiquer pour s’orienter. Les Chinois ont compris qu’ils doivent venger leurs ancêtres, pas les armes en mains, mais de travailler pour que le monde ne les sous-estime. Nous pouvons aussi relever le défi. Les Dahoméens ont une mission pour les Noirs du monde, c’est de les aider à retourner à leurs cultures sinon les choses seront encore plus dures que ce que nous vivons.

Merci.

 

 

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