Ils ont en commun d’être des sociologues. Sur la polémique autour de la légalisation ou non de l’avortement‚ ils se gardent de soutenir le “non catégorique” prôné par l’Église Catholique au Bénin. Outre les conditions éthiques dans lesquelles l’avortement est déjà légalement autorisé‚ ils appellent à prendre en compte d’autres faits‚ vécu ou casse-tête comme la pauvreté‚ les relations extraconjugales et l’absence de volonté chez les parents. Ce qui éviterait‚ par exemple le phénomène des enfants de la rue et limiterait les décès dus aux avortements clandestins.
Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON
«Il y a plus à gagner en légalisant l’avortement qu’à le réprimander»
Faut-il l’egaliser l’avortement ou pas ?
L’avortement est définit comme étant une Interruption prématurée de la grossesse. Il peut être volontaire donc provoqué et clandestin ou recommandée par le corps médical suite à des complications pour sauver la vie de la mère. Le légalisé suppose désormais que lorsque la grossesse n’est pas désirée on peut la détruire bien que ce soit des vies détruites, on est certain que toutes les naissances seront désormais voulues et désirées car l’enfant désiré est bien entretenu et est entouré de beaucoup d’affections. On ne parlera plus d’enfants batards ou sans père. On assistera plus également aux fuites de responsabilité et d’abandon d’enfants à la charge des femmes. Mieux les risques d’avortement clandestins seront réduits puisque désormais les mesures sanitaires sont prises. Les filles ne se cacheront plus pour se tuer. Il est vrai que face aux questions des mœurs, us et coutumes l’avortement est à bannir et toutes les voix vont se soulever pour dénoncer et condamner la pratique de l’avortement. Mais qui sont les acteurs de ce crime ? Nous oui nous sommes tous acteurs, mieux nous les chrétiens pour qui l’utilisation du préservatif constitue un péché. Combien d’hommes mariés n’ont pas enceinté leurs maîtresses et après supplier pour avorter juste parce qu’on ne veut pas avoir d’enfants à l’extérieur ou parce que ce n’est pas dans les clauses ou au motif qu’ on ne veut pas détruire son foyer. Combien de jeunes et de célibataires n’ont pas supplier leurs copines d’avorter parce qu’ils ne sont pas encore prêts pour l’aventure d’être père ? L’avortement clandestin tue non seulement le fœtus mais aussi la mère quand ça se passe mal. Bien que l’avortement soit interdit le taux d’avortement clandestin dans la communauté serait certainement très élevé ce qui dénote de l’hypocrisie des Hommes face à cette question très sensible. Aussi, combien de femmes sont elles décédées du fait de ce phénomène qui est pratiqué dans la clandestinité et sur lequel un regard désapprobateur est porté? Combien de personnes (médecins, infirmière, sages femmes ou même aide soignants/soignantes) ont vu leur carrière brisée (emprisonnés) parce ayant aidé à pratiquer l’avortement qui est interdit. A mon avis, la communauté a plus à gagner en légalisant l’avortement qu’ à le réprimander. Il est tout aussi important de souligner qu’en le légalisant, il faut trouver des mécanismes pour le cadrer.
Par Émile Comlan Badevou‚ docteur en Sociologie
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«L’avortement selon un médecin ne serait pas la même chose que chez un prêtre, un philosophe…»
«Pour ce qui concerne l’avortement chacun le défendra de son côté selon sa profession, son obédience religieuse, son éducation, sa politique et surtout sa religion. Ce qui veut dire qu’on ne serait jamais à l’unanimité d’accord. L’avortement selon un médecin ne serait pas la même chose que chez un prêtre, un philosophe, un sociologue, ou du moins un député. Mais il y a des questions qu’on peut se poser ! A quoi bon garder un “embryon” si dans ce monde ici bas, il est jeté sur un tas d’ordures ? Ou s’il n’est pas reconnu par l’un de ses géniteurs ? Ou qu’il pullule dans les rues à la merci de ceux qui les éventrent pour en faire des sacrifices ? Qu’es-ce que ces politiques même font pour les sauver des orphelinats ? de la délinquance ? de la drogue ? de la prison ? etc. Et surtout pour ne pas tourner le couteau dans la plaie des religieux, je voudrais bien dire que l’Église a aujourd’hui tout autre problème à régler comme celui de l’homosexualité et des violes chez ses prêtres au lieu de défendre la pratique de l’avortement qui existait depuis très longtemps. Qu’il ne soit pas légalisé ou pas nous le ferons, ils le feront, elles le feront»
Par Mantikpon Vuldano Venance Adounvo
Licence en socio-Anthropologie de la santé. Thème de mémoire :««Influence des normes sociales et religieuses sur les pratiques de l’avortement clandestin dans l’arrondissement d’Agbado à Savalou»
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«L’Eglise acceptera-t-elle de récupérer tous les enfants nés de grossesses non voulues?»
La position de l’église est une position moralisante qui n’a pas besoin d’être argumentée en principe. Le fait est que ce qu’elle dit n’est pas un point de vue intellectuel en soi mais, juste une posture éthique dictée par le dogme chrétien. Évidemment, cette posture peut être guidée par des réalités elles-mêmes logiques ou légitimes.
L’Église aurait argumenté son texte qu’elle se serait quand même basée sur des pans de citations bibliques. Tout ce que nous, chercheurs pouvons faire, c’est de dire au regard des réalités d’aujourd’hui, en quoi la déclaration de la Ceb mérite rejet ou d’être relativisée.
Ma question à l’endroit de l’Église est de savoir si au regard des représentations et usages actuels du sexe, chez les jeunes surtout, elle trouve réaliste d’interdire l’avortement. La morale chrétienne tente de préserver les valeurs humaines. Cependant, dans les faits, tout ne se passe pas comme l’Église veut.
Je propose qu’on fasse juste un peu de prospection dans l’imaginaire : tous les enfants qui naissent et dont les parents ne se sont pas préparés, ou pire qui sont abandonnés, ont des chances de mal finir. C’est ainsi qu’une société génère des générations de délinquants (voleurs, violeurs, braqueurs, etc.).
Chez nous, je pense qu’il n’est pas opportun (ou urgent si on préfère) d’adopter des textes autorisant tous les types d’avortement. On peut intégrer cependant certains paramètres pour rester prévoyant. Je prends un cas parmi d’autres : les études de sociologie montrent que l’évolution urbaine produit des phénomènes dont le viol (voir _Histoire du viol_ de Vigarello). On peut incidemment autoriser l’avortement dans le cas où une femme refuse d’avoir un enfant issu d’un viol.
Après tout, nos villes croissent, notre pays fait (et fera) même si on ignore à quelle proportion, l’expérience de certains maux. En plus, entre avortement clandestin et contrôlé, le second semble convenable.
Toutes les identités comme les mœurs sont susceptibles de bouger. Y compris celles qu’on dit africaines. Panafricanisme ou non, tradition ou non, tout finit par changer, bon gré mal gré. Prévoir ou se leurrer, on peut toujours voir !
En écoutant la radio j’ai entendu ceci au moins : inceste des pères sur leurs filles, enfants nés d’inceste comme enfants socialement non viables, cas de viol débouchant sur des grossesses non désirés, 3 avortements sur 4 sont clandestins au Bénin, existence d’enfants jetés après accouchement ou vendus, existence avérée de grossesses devant aboutir à des malformations.
J’ai dit ceci en haut : « chez nous, je pense qu’il n’est pas opportun (ou urgent si on préfère) d’adopter des textes autorisant tous les types d’avortement ». On a entendu à la radio ces points aussi – que la modification de l’ancien texte est guidée par des statistiques alarmantes – 20% des avortements clandestins sont sources de décès maternels – il y a des filles qui n’ont pas le bassin pour supporter une grossesse – qu’il ne s’agit pas de proposer des textes d’avortement non contextualisés ou à vocation de limiter des naissances ou devant fonctionner comme des prescriptions médicales – l’Islam a fait des recommandations, etc.
Moi-même ma conscience me gênerait si je devais faire faire un avortement à quelqu’une. Je cherche néanmoins de réponses à la question précédente et aux questions suivantes : qui se préoccupe de la souffrance morale, physique et psychologique de celles qui sont sous le poids d’une grossesse non voulue ? L’église acceptera-t-elle de récupérer tous les enfants nés de grossesses non voulues ou aboutissant aux malformations ? Un député a dit d’accentuer les interventions vers les plannings. Là aussi l’Église fait des feintes. On fait quoi finalement, sachant que les avortements clandestins vont quand même persister (avec tout le risque qui va avec : mort, infections, stérilité, etc.) ?
Par Fidèle Ballo Guèdè‚ doctorant en Sociologie