La loi n°2020-37 du 3 février 2021 portant protection de la santé des personnes en République du Bénin‚ attire l’attention en son article 72 du chapitre V qui dispose que « L’exercice de la médecine traditionnelle et naturelle (…) est autorisé ». Une bonne nouvelle donc, que la médecine hier combattue soit enfin reconnue. Mais, au-delà de l’euphorie, le plus dur commence pour son intégration effective, l’assainissement du milieu et la responsabilisation de ses acteurs.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
Satisfaction et soulagement ! Deux mots qui résument l’état d’esprit des acteurs de la médecine traditionnelle béninoise (Mtb). Longtemps, ils ont mené la lutte pour la reconnaissance de leur secteur d’activité. Le manque de volonté politique en a retardé l’aboutissement. Désormais, c’est chose faite, l’injustice est réparée.
« C’est une joie pour moi et pour toute la corporation. Je n’imagine pas un phytothérapeute dire que cette loi ne l’avantage pas. Le Bénin faisait partie des onze pays africains qui n’ont pas reconnu la phytothérapie. Le Bénin vient de quitter grandement ce club de onze pays qui ne veulent pas faire évoluer la phytothérapie. Bravo au Bénin et à l’Assemblée nationale ! », déclare, souriant, Dr Raphaël Tchidimè au micro du web media “Reporter Bénin Monde”.
« Ce n’est pas donné à tous les présidents. Du président Hubert Maga jusqu’à dernièrement Boni Yayi, personne n’a voté une loi. Pourtant, la première décennie de la phytothérapie de 2001 à 2011 c’était inscrit au premier pilier la reconnaissance de la phytothérapie. Mais ça n’a pas été fait. La deuxième décennie au chapitre I a repris cette même exigence. Pourtant tous les présidents africains se réunissent mais ils n’ont jamais sorti une loi pour la reconnaître », déplore le phytothérapeute connu à travers son produit « Vita Iron ».
Les indépendances obtenues, cette médecine devrait être promptement rétablie. Hélas ! Il aura fallu attendre soixante-et-un ans après. « Ce vide s’explique par les accords secrets de la France avec les premiers pouvoirs du Bénin, les premiers présidents qui n’étaient pas libres de prendre des décisions au profit du peuple. Les décisions étaient actées de l’extérieur », croit le sociologue-anthropologue Raymond Coovi Assogba.
Mais, que c’était-il passé pour que la médecine du terroir, celle héritée des grands-parents devienne informelle ? Tout est parti de la reddition et de la déportation du roi Béhanzin, répond l’universitaire.
La conséquence, indique-t-il « Nous sommes rentrés dans un système où on a engouffré les populations dans les pharmacies». Outre le pouvoir colonial français, les missionnaires pressés d’imposer leur religion, ont aussi tout diabolisé sans aucun discernement.
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Cette médecine a été assimilée au satanisme et ses acteurs dès lors mal vus, sont entrés en clandestinité. « Avant l’esclavage et la traite négrière toutes les activités qui participent à l’épanouissement de l’être humain n’avaient besoin d’aucune réglementation pour être exercées. C’était l’arrivée des colons en Afrique avec leur médecine qu’une guerre est livrée en particulier à la médecine traditionnelle béninoise et africaine en général. C’est parce que probablement dès leur arrivée au Danxomè devenu Bénin, le colonisateur et les missionnaires de l’Église Catholique ne comprenaient peut-être pas grande chose de notre médecine qu’ils ont taxé de diabolique et assimilée à de la sorcellerie », déplore le Vénérable Dansou Gazozo, président national depuis 2013 du Syndicat des médecins intellectuels traditionnels et assimilés du Bénin (Sy.Na.M.I.Tra.A.B) et membre du Cadre de concertation près le Programme national de la pharmacopée et de la médecine traditionnelle du Bénin, basé au ministère de la Santé.
Mieux vaut tard que jamais. « Cette tardive reconnaissance est un soulagement pour nos peuples. Elle vient corriger des injustices. Désormais les populations et même certains religieux n’auront plus honte d’aller chez les Hounnon ou les Bokonon », félicite-il.
Résiliente !
Rien n’a pu étouffer la médecine traditionnelle. Pas même les nombreux progrès de la médecine “moderne”. Pour le traitement de plusieurs maladies, plus de 80% de la population béninoise courent vers la phytothérapie. Ce qu’a reconnu l’ancien directeur de cabinet du ministre de la Santé, Lucien Toko à l’occasion de la 15ème Journée africaine de la médecine traditionnelle.
Autrement, « Au Bénin, il y a un médecin pour quinze mille habitants mais il y a un tradipraticien pour cent habitants. Cela veut que nous faisons un travail formidable et l’Oms reconnaît ce que nous faisons. Si on n’a pas une loi on sera dans le désordre », relève Dr. Tchidimè.
Deux faits expliquent cette forte sollicitation. D’abord, observe le sociologue-anthropologue Raymond Assogba, la médecine traditionnelle est moins coûteuse. Par contre, avec les hôpitaux et les pharmacies, « Les populations devraient débourser beaucoup d’argent », et donc « beaucoup ne peuvent pas se faire soigner dans les hôpitaux ». Par conséquent, déduit-il, « Beaucoup sont restées dans la philosophie du ‘’ama’’, l’utilisation de la plante pour résoudre les déficits en santé dans tous les espaces chirurgical, mental, les paranormaux ».
Ensuite, la médecine traditionnelle s’intéresse à la fois à la santé du corps et à celle de l’âme, ajoute le Vénérable Dansou Gazozo. La spiritualité, explique-t-il, est « une seconde manche de la médecine traditionnelle » qui permet aux tradipraticiens de soigner même (à distance) là où la médecine officielle échoue malgré ses équipements sophistiqués. Au docteur Assogba de résumer que « Toutes les compétences en matière des couloirs du déficit de la santé, se retrouvent au niveau des phytothérapeutes que nous appelons Bokonon, Vodunnon, Hounnon, Ya Alachè, Tangninon».
Face à l’irruption du Covid-19, les pays africains ont plus regardé vers la médecine occidentale. Les médecins traditionnels africains ont été peu considérés et appuyés pour produire une réponse locale efficace, critique Dah Milonon Glèlè II, président de l’Association des dignitaires de Fâ et des tradi-thérapeutes (Adfat). Or, illustre-t-il, les nouvelles du Cameroun prouvent que cette médecine n’est pas incapable. L’archevêque de Douala et phytothérapeute Mgr Samuel Kleda a, en effet, proposé des médicaments traditionnels ‘’Adsak Covid, flacon et élixir Covid de 125ml’’ qui ont été autorisés par le gouvernement et mis sur le marché pour soulager les malades du coronavirus.
Recenser et financer
Il faut donc croire en la médecine traditionnelle, qu’elle est capable d’apporter des réponses aux besoins de guérison des africains et cesser de la regarder avec condescendance, comme inférieure à la médecine d’emprunt. Le vote de la loi n°2020-37 du 3 février 2021 ouvre, à en croire le chef de l’Adfat, une nouvelle ère de défis. Il s’agit surtout de favoriser un cadre de dialogue de sorte que les deux médecines, loin de se regarder en chien faïence, concourent au bonheur des Béninois.
En la matière, le gouvernement a affiché son engagement et a exhorté les acteurs eux-mêmes, à l’organisation interne. «Chers traditionnalistes, médecins traditionnels, les choses ne seront plus comme avant, le gouvernement est en train d’agir, la collaboration entre la médecine traditionnelle et celle moderne est obligatoire. Vous devriez vous organiser aux fins de créer l’ordre des médecins traditionnels », les a exhortés le ministre de la Santé, Benjamin Hounkpatin lors de la 21ème Journée de la médecine traditionnelle.
Le nouveau texte accorde au Conseil des ministres, la prérogative de prendre un décret qui fixe les conditions d’accès et d’exercice de la médecine traditionnelle et naturelle. L’article 73 dispose qu’« Un ordre national des praticiens de la médecine traditionnelle et naturelle est créé par décret pris en Conseil des ministres. L’ordre veille ou respect des devoirs professionnels, de l’éthique et de la déontologie dans cette profession. » Au fond, les acteurs eux-mêmes sont en avance.
À leur actif, déjà plusieurs initiatives pour se regrouper et pour combattre les vendeurs d’illusion. « Aujourd’hui les phytothérapeutes se sont organisés dans des institutions avant l’Etat », note Raymond Assogba, citant notamment « le Sy.Na.M.I.Tra.A.B qui est une institution règlementée et qui s’attache à implanter des autorités dans les départements, les communes, les arrondissements, et donc s’assurer de l’effectivité de la fonction de celui qui se désigne comme Hounnon ou Bokonon ou phytothérapeutes » et récemment, « la Fédération des associations nationales des acteurs de la médecine traditionnelle du Bénin, Fanametrab » présidée par Basile Badjito. Il revient donc à l’Etat, suggère-t-il, de financer la recherche en phytothérapie, d’avoir une stratégie et une tactique de leur reconnaissance, et surtout, éviter de leur imposer la forme d’existence qu’on a en Europe ».
Dr Raphaël Tchidimè renseigne que le processus de reconnaissance a été déjà enclenché mais bloqué par l’absence d’une loi. « Maintenant que la loi est prise, j’espère que le Programmation de promotion de la Pharmacopée au ministère de la Santé va s’organiser avec l’équipe de régulation de la pharmacopée pour qu’on recommence à étudier les dossiers des gens et qu’on commence vraiment par pratiquer la phytothérapie au Bénin », formule-t-il.
La loi n°2020-37 du 3 février 2021, c’est une obligation pour les médecins traditionnels de se prendre au sérieux. « L’observance des principes de bonne moralité, de discipline de groupe, d’unicité d’action, de professionnalisme, de loyauté et de patriotisme » doit être de mise, insiste Basile Badjito dans un communiqué à l’endroit des acteurs.