Home Actualité Portrait / Elvire Ranti Doumatey : la non-voyante qui enseigne depuis 25 ans

Portrait / Elvire Ranti Doumatey : la non-voyante qui enseigne depuis 25 ans

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Elvire Ranti Doumatey a obtenu son Certificat d’études primaires (Cep) en 1985, l’année où le Bénin a présenté pour la première fois des candidats non-voyants à cet examen. Enseignante spécialisée depuis 1998 et aujourd’hui Cheffe service enseignement maternel, primaire et réadaptation (C/Sempr) du Centre de promotion sociale des aveugles (Cpsa) de Sègbeya, elle raconte son « handicap » qui lui a imposé des pauses à plusieurs étapes de son cursus.

Portrait par Raymond FALADE

Centre de promotion sociale des aveugles (Cpsa) de Sègbeya. Cotonou. En cet après-midi ensoleillé, Elvire Ranti Doumatey, sortait des cours de la matinée. Elle fait le parcours de la salle de cours à son bureau, seule ; en deux minutes environ de marche. Toute seule, sans canne ni aide, elle ne trébuche ni ne heurte un obstacle.

A l’entrée, elle sort sa clé, ouvre la porte, entre dans le bureau puis s’assoit. « Monsieur Faladé, entrez », nous lance-t-elle. Autour d’elle, une panoplie de documents, pour la plupart en écriture braille.

Elvire Ranti Doumatey a dû franchir de nombreuses étapes parsemées d’embûches et de difficultés. Son handicap lui a imposé des pauses à plusieurs étapes de son cursus scolaire. « J’ai commencé l’école il y a longtemps. Malheureusement à cause de la malvoyance, à un moment donné, j’ai dû arrêter parce qu’il n’y avait pas en ce temps-là, les structures de prise en charge des malvoyants. J’ai dû arrêter pendant des années et j’ai repris à l’ouverture du centre des aveugle de Cotonou », raconte-t-elle.

La cheffe service enseignement maternel, primaire et réadaptation au Centre de promotion sociale des aveugles (Cpsa) fait partie des tout premiers apprenants du Centre où elle travaille depuis plus de 20 ans.

Après son Certificat d’études primaires (Cep) obtenu en 1985, l’année au cours de laquelle le Bénin a présenté pour la première fois des candidats non-voyants à cet examen, Elvire Ranti Doumatey a poursuivi ses études dans une école privée. Après maintes négociations, puisqu’à l’époque, l’enseignement n’était pas encore généralisé et ne tenait pas compte des personnes handicapées dont les malvoyants. Chose effective ai lendemain des états généraux de l’enseignement de 1990.

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« J’ai obtenu mon Diplôme d’aptitude professionnelle (Dap) niveau1 en 1990, le niveau 2 en 1992 », apprend-t-elle. S’ensuit à nouveau une pause. En 1994, elle a été appelée au Cpsa de Cotonou en tant que stagiaire. Au cours de son stage, Elvire Ranti Doumatey transcrivait des documents parce qu’il n’y avait pas de machines automatiques ni d’imprimante comme aujourd’hui.

« C’est après cela que j’ai été appelée à l’enseignement spécialisé en 1998. J’ai fait mon petit bonhomme de chemin et c’est en 2006 qu’il y a eu réouverture des Eni (Ecole nationale des instituteurs, ndlr). J’ai été à l’Eni de Porto-Novo. J’ai eu mon Cap. Après cela, j’ai passé mon Cap en 2011. J’ai eu l’écrit en 2011 puis la pratique et l’oral en 2012 », se rappelle la cheffe service enseignement maternel, primaire et réadaptation au Centre de promotion sociale des aveugles (Cpsa) à Cotonou.

Concilier école et foyer

Elvire Ranti Domatey est née malvoyante. Son handicap ne l’a jamais empêché d’avancer, de se faire un nom dans l’enseignement au Bénin même si « cela n’a jamais été facile ». « Tous les jours, je me réveille à 5 heures. Je fais le ménage avant de prendre le chemin de l’école. J’arrive à l’école au plus tard à 7h30 ».

A l’école, elle concilie les activités du bureau, la coordination et les activités de classe puis reçoit les usagers. « Ici, on ne prévoit rien parce que c’est un peu comme si on était à l’hôpital. La cécité, ça prend à tout moment. Vous avez toujours la porte ouverte. Vous pouvez être en classe, on va vous dire qu’il y a un cas. Vous êtes obligé d’arrêter d’abord, de vous occuper du cas avant de pouvoir continuer », explique-t-elle. « Chez moi, il n’y a pas d’heure de sortie. Vous pouvez savoir à quelle heure vous venez au boulot mais vous ne savez jamais à quelle heure vous sortirez », raconte-t-elle, très heureuse de son quotidien.

Mariée et mère d’enfants, Elvire Ranti Doumatey doit concilier aussi le travail et le foyer. Elle y est habituée d’ailleurs. « Chez moi, tout est programmé. Il n’y pas de problème. Le foyer, j’arrive à bien gérer sans problème. Je ne rate rien », assure-t-elle. Les choses qu’elle n’arrive pas à faire les jours de classe, elle profite de la période des congés ou des vacances pour les faire. Son secret : l’organisation. « Les enfants ne se plaignent pas. Chacun sait ce qu’il doit faire et tout. Bref, on essaie de gérer. Aujourd’hui, mes enfants sont grands aussi. Avec mon époux, on s’entend aussi. Il y a des fois, c’est lui-même qui m’amène à l’école. Le travail ne m’empêche pas de satisfaire tous mes besoins », souligne-t-elle.
Dans a carrière, parfois elle a « besoin de quelqu’un pour faire quelque chose ». Et si la personne n’est pas disponible, « je suis obligée de m’arrimer à son programme ». Mais, cela n’est pas une raison pour abandonner. Car « une personne normale » aussi a parfois besoin de quelqu’un même si, celle qui a un handicap a plus besoin des autres.

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Enseignante, Elvire Ranti Doumatey est « heureuse » de l’être. Cela prouve qu’elle n’a pas vécu inutilement. Elle témoigne aussi n’avoir pas été victime de discrimination sur le plan professionnel. « J’ai été traitée et je continue d’être traitée comme tous les enseignants qui se plaignent aujourd’hui. Il y n’a rien de spécial », avoue-t-elle.

La retraite en point de mire

Après vingt ans de carrière enseignante, Elvire Ranti Doumatey voit sa retraite approcher inexorablement. Elle n’a pas encore un projet de retraite. Mais elle se dit toujours disponible à continuer tant que la force y est, « à aider dans le domaine parce que les personnes handicapées en général ont besoin de nous ». L’enseignement « C’est un métier noble » jure-t-elle.

Elvire Ranti Doumatey a été distinguée aux côtés d’autres femmes porteuses d’un handicap, le 8 mars 2022 par la fondation Moov Africa. Reconnaissance pour leur dévouement à la cause des personnes en situation de vulnérabilité.

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