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Respect de l’ordonnance de suspension des sanctions contre le Mali : « L’image et la force de l’Uemoa en dépendent » (juriste Landry Angelo Adélakoun)

Suspension des sanctions-Mali : Fermeture des frontières terrestres et aériennes‚ gel des avoirs de la république du Mali‚ suspension de toute assistance et transactions financières en faveur du Mali…Par Ordonnance n°06/2022/CJ du 24 mars, la Cour de justice de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) a ordonné « le sursis à l’exécution des sanctions prononcées par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Uemoa [à l’encontre de la République du Mali, ndlr] lors de sa session extraordinaire tenue, à Accra, le 9 janvier et figurant dans le communiqué final ». Ces sanctions sont celles prises par la Cedeao et simplement endossées par l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). Le juriste Landry Angelo Adélakoun décrypte.

 

Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON

 

Bénin Intelligent : Un seul pays contre autant d’États membres. Le Mali peut-il crier victoire ?

 

Landry Angelo Adélakoun‚ juriste : Je ne pense pas que la situation de bras de fer entre la République du Mali et les instances communautaires et sous régionales puisse être appréciée sous le prisme de la victoire de l’une ou de l’autre. Le Mali traverse une crise depuis des années. Tout le monde le sait. Cette crise conduit à presque une série de coup d’État. La Cedeao, face à la difficulté de parvenir à un règlement à l’amiable pouvant conduire à l’organisation dans un bref délai des élections pour un retour du pouvoir dans les mains des civils, comme de coutume, a pris en ses sessions extraordinaires des 12 septembre 2021 et 7 novembre 2021des sanctions qui, il faut le reconnaitre, sont drastiques et draconiennes contre le Mali.

Lesdites sanctions ont été endossées par l’Uemoa lors de sa session extraordinaire du 9 janvier 2022. Même les sanctions additionnelles prononcées par la Cedeao contre le pays à travers la décision Msc.A/Dec.1/01/22 du 9 janvier 2022 des Chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao ont été entérinées par l’Uemoa.
Au regard de tout ceci, c’est de bon droit que le Mali s’est tourné vers la Cour de justice de l’Uemoa pour dans un premier temps contester la légalité de la décision portant sanctions adoptées contre le Mali par la Conférence des Chefs d’État de l’Uemoa, et dans un second temps, solliciter le sursis à exécution de ladite décision. La cour de justice de l’Uemoa après avoir apprécié les éléments exposés a déclaré la requête aux fins de sursis à exécution recevable puis ordonné le sursis à l’exécution des sanctions prononcées.
S’il faut finalement parler de victoire, tout en rappelant que ce n’est qu’une décision avant-dire droit, je dois vous dire c’en est vraiment une. Rien n’est facile devant les juridictions. La demande de l’État du Mali aurait pu être rejetée. Donc, c’est une victoire pour le pouvoir de Bamako et le peuple du Mali et l’ensemble des peuples soutenant le pouvoir du Mali dans cette crise.

 

Faut-il s’attendre à ce que les pays membres de l’Uemoa se plient simplement à la décision de suspension des sanctions-Mali par la Cour ou redouter une attitude de rébellion ?

 

Les États membres de l’Uemoa n’ont pas à choisir. Ils devront se plier à l’ordonnance de la Cour. C’est une obligation qui a pour source les nombreux textes de l’Union qui, d’ailleurs ont été convoqués dans l’ordonnance de la Cour. Cependant, vu que nous sommes habitués sur le continent à voir des États qui refusent de respecter les décisions des juridictions qu’eux-mêmes ont mis en place, l’on pourrait voir la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Uemoa se comporter comme si aucune ordonnance n’a existé. Je pense tout de même que cela n’arrivera pas, car il ne s’agit pas ici d’un seul État, mais plutôt d’une Union, ensemble d’États.

Mieux, avec les grandes ambitions qu’ont nos États pour l’intégration sous régionale et régionale, la mise en place des institutions, je pense que l’ordonnance n°06/2022/CJ du 24 mars 2022 de la Cour de justice de l’Union sera respectée. L’image et la force de l’Uemoa en dépendent.

 

Nous sommes en présence d’une mesure provisoire. Seul l’arrêt à venir de la Cour peut nous situer, d’abord sur la recevabilité des deux requêtes de l’État du Mali, puis sur la légalité ou l’illégalité des sanctions contre le pays.

 

Comment comprendre qu’autant de pays‚ avec leurs conseils juridiques‚ soient arrivés à entériner des sanctions jugées « illégales » ? Faut-il dire que les chefs d’État ont privilégié l’émotion à la raison dans ce dossier ?

 

S’il ne faut pas négliger l’effectif ou la quantité, il faut faire remarquer que ce qui est toujours recherché, c’est la qualité. Et si l’on doit reconnaitre la qualité, l’expertise des juristes de haut niveau qui conseillent nos États et instances sous régionale, communautaire ou régionale, il ne faut pas perdre de vue que nul n’a la science infuse. Tout le monde peut faire des erreurs d’appréciation. Mieux, nous sommes sur un terrain juridique. Le droit, c’est le débat, la confrontation, les interprétations.

L’autre aspect, c’est que nous sommes sur un terrain politique et peut-être géopolitique ; le contentieux devant la cour étant partie d’une situation connue de tous. Je pense aussi qu’il nous faut comprendre que le Conseiller conseille et la personne physique ou morale conseillée décide. L’autre chose, chercher à savoir si la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement a fait dans l’émotion, c’est vouloir faire une incursion dans les secrets des dieux. Une chose me semble évidente, la situation entre le Mali et les instances sous régionales, communautaire et régionale va au-delà du juridique.

Ce serait donc hasardeux de vouloir remettre en cause l’expertise des Conseillers juridiques, surtout que jusqu’ici, l’ordonnance de la Cour ne vient pas dire que la Conférence a tort ni que le Mali a raison. Nous sommes en présence d’une mesure provisoire. Seul l’arrêt à venir de la Cour peut nous situer, d’abord sur la recevabilité des deux requêtes de l’État du Mali, puis sur la légalité ou l’illégalité des sanctions contre le pays.

 

Quelles sont les implications juridiques de cette ordonnance de suspension des sanctions-Mali ?

 

L’ordonnance de la Cour de justice de l’Uemoa est une mesure provisoire, une mesure conservatoire en attendant que la Cour puisse connaître le dossier au fond. C’est après les débats au fond que la Cour rendra un arrêt. C’est à ce moment que nous pourrions parler de réparations éventuelles. Mais à l’heure actuelle, ce n’est pas possible. La mesure prise vise à éviter des préjudices graves et irréparables que pourraient causer les sanctions à l’État du Mali.

 

Même si nous sommes en présence d’une mesure provisoire, je trouve que l’État du Mali et ses Conseils ont fait preuve d’intelligence.

 

Les sanctions visées par l’ordonnance/Uemoa sont celles prises par la Cedeao puis simplement adoptées par les États membres de l’Uemoa. En cas d’arrêt en faveur du Mali, comment ces derniers peuvent-ils honorer leur Cour de justice d’une part‚ tout en continuant à respecter les décisions de la Cedeao ?

 

L’Uemoa et la Cedeao sont deux unions différentes. C’est parce que l’Uemoa a entériné les sanctions prises par la Cedeao que le contentieux en l’espèce est porté devant la Cour de justice de l’Uemoa. L’État du Mali se serait peut-être porté directement devant la Cour de justice de la Cedeao pour un contentieux à la source, mais il ne pouvait pas et ne peut plus le faire jusqu’à nouvel ordre. La Cour de justice de la Cedeao a suspendu par une décision en date du 30 septembre 2021, les procédures concernant le Mali et la Guinée en application des sanctions de la Cedeao sur la suspension de ces deux États membres.

L’accès à la juridiction d’Abuja étant ainsi fermée, la seule alternative, c’est la cour de Ouagadougou. Même si nous sommes en présence d’une mesure provisoire, je trouve que l’État du Mali et ses Conseils ont fait preuve d’intelligence.

 

Suspension des sanctions-Mali

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