
Il sera érigé bientôt à Ouidah sur la « Route de l’esclave », des monuments faisant référence à la déportation des captifs en Amérique. La décision prise en conseil des ministres du mercredi 23 mars, ressuscite un projet que d’aucuns avaient travaillé à tuer.
Par Sêdaminou AGBAYAHOUN et Sêmèvo B. AGBON
Le gouvernement a autorisé mercredi, la contractualisation pour la mission de conception, construction, livraison et assemblage de sculptures représentant des scènes de personnages à poser sur la place aux enchères et autour de l’arbre du retour à Ouidah.
Les premières sculptures évoquent la scène de marquage au fer rouge, constituée de deux personnages et celle de la vente aux enchères, mettant en scène cinq personnages. Le lot suivant quant à lui, représente cinq personnages qui vont être disposés autour de l’arbre du retour.
Les sculptures représenteront trois scènes de personnages en grandeur nature, fait de bronze, d’une hauteur de deux mètres.
Les œuvres sont des représentations des esclaves déportés au large des côtes américaines pendant la traite négrière. Au total, les sculptures représenteront trois scènes de personnages en grandeur nature, fait de bronze, d’une hauteur de deux mètres. Elles vont être disposées sur une base en béton armée les unes, à la place aux enchères et les autres autour de l’arbre du retour dans le village de Zoungbodji.
Le gouvernement déroule progressivement son agenda conformément au Programme d’action du gouvernement (Pag) 2021-2026. Les projets en cours, visent à faire du Bénin en général, une destination de choix en matière de tourisme, et de la ville de Ouidah en particulier l’épicentre du tourisme mémoriel en Afrique.
Mgr Isidore de Souza, Mathieu Kérékou… pourfendeurs ?
Le projet « Route de l’esclave » auquel le gouvernement de Patrice Talon redonne vie ainsi, devrait donner de l’insomnie à certains illustres personnages de l’histoire du Bénin. Du moins à en croire une confidence de Nouréini Tidjani-Serpos, ancien sous-directeur général de l’Unesco chargé du Département Afrique.
Dans un entretien au journaliste Pascal Zantou, paru dans ‘’Jogbe‚ la revue des humanités’’ en 2018, Nouréini Tidjani-Serpos révélait par exemple que Mgr Isidore de Souza estimait que le projet « Route de l’esclave » « revient‚ selon lui‚ sur le rôle joué par Chacha dans l’ignoble commerce triangulaire ».
Et il n’était pas seul. Les pourfendeurs n’ont pas manqué de génie pour essayer de tuer l’initiative. Leur trouvaille, indique l’ancien ministre et conseiller, réside en l’aménagement de la « Place Chacha » complètement aux antipodes de la ‘’Route de l’esclave » :
« Alors, pour empêcher la valorisation de la route de l’esclave et son inscription sur la liste du patrimoine mondial‚ il a été aménagé la Place Chacha de Ouidah‚ endroit par lequel commence la route de l’esclave. Les noirs américains‚ les Haïtiens et autres touristes qui viennent dans notre pays commencent leur visite de cette route historique par cette Place Chacha », décrit Nouréini Tidjani-Serpos.
L’ancien fonctionnaire de l’Unesco conclut que « C’est comme-ci on gravait en triomphe le nom d’Hitler sur les camps de concentration des juifs. Tout le travail fait par le Bénin‚ dans le cadre de la reconstitution de l’histoire de la traite négrière‚ est annulé par cette place ».
Dans une chronique publiée sur sa page Meta, le 15 juin 2020, l’écrivain Florent Raoul Couao-Zotti s’insurgeait lui aussi contre la Place Chacha, en souvenir de don Félix Francisco de Souza, « un personnage trouble digne de décapitation », selon lui. Ladite place « fait partie du parcours de la “route de l’esclave”, l’itinéraire proposé aux touristes pour leur immersion dans la souffrance qu’a été celle des esclaves. Il paraît, dit la rumeur, que c’est à cause du nom attribué à ce lieu que le couple Obama aurait refusé de faire le pèlerinage à Ouidah », appui l’actuel conseiller au ministère de la Culture.
Manèges
Nouréini Tidjani Serpos parle aussi de l’ancien président Mathieu Kérékou. A lui, il reproche d’avoir remplacé « Ouidah-92 », initié sous le président Nicéphore Soglo et qui devrait avoir « lieu tous les trois ans », par “Gospel et racines” quelques années plus tard ».
L’objectif de ces « manèges », selon Tidjani-Serpos « est clair : il faut absolument tuer ce qui est endogène. Il s’agit de détruire le sursaut provoqué par Ouidah-92 ».
Il voit du même œil l’érection du ‘’Mémorial du jubilé 2000’’ ou ‘’Porte du salut’’ réalisé par l’Eglise Catholique et situé à une centaine de mètres de la “Porte du non-retour”‚ sur la Plage de Djègbadji à Ouidah. Ce monument retrace l’arrivée des missionnaires de la Société des missions africaines (Sma), à savoir Pères Borghero et Fernandez qui ont débarqué en premier sur le rivage, le 18 avril 1861.
« À une ville fortement marquée par le Vodun‚ le christianisme et l’islam‚ on dédie -de manière arbitraire‚- une fête relevant de l’une de ces trois religions. Nous avons là un réel problème d’identité »
Aujourd’hui encore, Tidjani-Serpos croit que les assauts pour «tuer ce qui est endogène » ne manquent pas. Il l’illustre notamment par « des protestataires qui réclament l’arrêt de la célébration du 10 janvier‚ seul jour de l’année dédié au Vodun ». Il pointe du doigt également le fait de donner à Porto-Novo l’‘’Epiphanie’’ comme ‘’fête patronale’’.
« À une ville fortement marquée par le Vodun‚ le christianisme et l’islam‚ on dédie -de manière arbitraire‚- une fête relevant de l’une de ces trois religions. Nous avons là un réel problème d’identité », critique-t-il.
Il conclut que « beaucoup de gens … ont honte de leurs cultures ‚ de leurs racines; ils veulent être des Blancs ».


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