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Sexualité en menstruation : Du plaisir au risque, la folie d’une jeunesse

Faut-il aller aux rapports sexuels pendant que la partenaire est en cours de menstruation ? Des citoyens s’opposent ; médecins, Bokonon et spiritualiste s’interposent. Découvrez le regard de la tradition sur la femme en menstrues.

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON

« En pleine caresses, elle a fait brusquement volte-face : « Désolé de te décevoir ! », commença-t-elle. « Je suis en ‘’période’’. Cela ne te dégouterait-il pas ? » m’a-t-elle interrogé. Après un instant, moi j’ai foncé ; elle a dû me laisser faire. »

Thierry Z., étudiant à l’Uac raconte ainsi l’intimité qu’il a eue avec sa copine malgré qu’elle soit en menstrues. « Je ne pouvais agir autrement car ça n’a pas été facile avant qu’elle ne me rende visite ce jour-là.  Donc je ne savais pas quand je la reverrais si je rate cette occasion inespérée. Cela n’a pas déteint quand même sur la jouissance », a-t-il assuré.

Jocélyne G., une autre étudiante lâche, après tant de scrupules : « Aller au sexe avec mon homme bien qu’étant ‘’en sang’’ ne me gêne pas. Il me suffit de faire d’abord la toilette ». Mais pour Alvine A., c’est « Jamais ! J’aurai honte. »

Que faut-il alors retenir ? Alamou Gado est docteur en médecine. « Médicalement ce n’est pas conseillé », a-t-il tranché. « A cause du sang des menstrues. Le contact sanguin est un facteur de risque. Le sang est responsable des maladies sexuellement transmissibles », a-t-il argumenté.

Même en l’absence de menstrues, le rapport sexuel a toujours été perçu comme un facteur de transmission de maladies, reconnaît-il. « Mais pendant les menstrues le risque est multiplié par dix », a-t-il alerté. Sinon, en principe, si la femme n’a aucune maladie sexuellement transmissible ou que l’homme recours à un préservatif, la sexualité en pleine menstruation « peut avoir lieu », explique quant à lui Michel Kouwanou, médecin en service à la Clinique Sainte Famille de Fifadji. Mais là encore, « le côté esthétique poserait problème », a souligné Alamou Gado.

Malédiction, perdition…

Du côté tradition/spiritualité, la sexualité en période de menstruation est déconseillée.

« Les rapports sexuels sont une interaction : tu tires quelque chose de la femme et elle retire quelque chose de toi. Si l’on note des tragédies (mort précoce et échecs) chez les jeunes d’aujourd’hui, cela tient aussi du fait qu’ils n’honorent ni les interdits ni ne respectent le sacré. La violation de la femme en menstrues en est une ». Ainsi a raisonné Nestor Kintohou, un sage de la famille Ganmin de Sèhouè.

La première raison pour laquelle il est déconseillé d’avoir des rapports sexuels avec une femme qui a ses menstrues, dit le spiritualiste Hermann Lobotoé, est que pendant cette période, la femme est très puissante spirituellement et absorbe toutes les énergies de l’homme qui s’en approche. Aussi, renchérit-il que « Si l’homme possède des pouvoirs, ces derniers sont anéantis par la femme qui est dans cette condition ». La seconde raison, le sang est un élément qui attire les démons. Avoir donc de contact avec une femme en sang, c’est alors s’exposer à leurs influences, a-t-il conclu.

C’est là l’une des raisons qui justifie la prédominance de la polygamie dans l’Afrique traditionnelle. Pour preuve, la femme du Bokonon Kpeyi (alias Edmond Agbassè) ne peut ni lui donner à boire ni lui préparer à manger pendant qu’elle est en ‘’règle’’. S’il accepte, c’est lui le Bokonon qui va perdre ses forces, a-t-il argumenté. Il confie : « Le sang que la femme rejette en ce moment est sacré, c’est une sorte de purification pour elle. Ses péchés s’en trouvent éliminés. Mais quand tu découvres sa nudité en cette période, tu attrapes ses souillures. Ces péchés retombent sur toi. Ça devient une source de malchance pour toi ».

Les menstrues, un pouvoir pour la femme

Si avoir de l’intimité avec une telle femme est source de malédictions pour l’homme, les menstruations constituent par contre une force pour elle.

« Dans toutes les traditions, il est interdit aux femmes en menstrues de s’approcher des temples des divinités parce qu’elles ont assez de puissance pour anéantir la divinité et l’expulser du temple », note Hermann Lobotoé.

Si la femme en menstrues touche par exemple à un ‘’Bó’’ (gris-gris) ou à une tisane (Amassin), ces derniers perdent leur vertu, leur force, a renseigné Edmond Agbassè. Aussi, il a informé que « Si tu veux nuire à une femme et que malheureusement elle est en menstrues à l’instant, tout va retomber sur toi ».

C’est dire qu’en période de menstruation, la femme a trop de pouvoirs, de puissance. Elle devient presqu’un ‘’vodoun’’. « C’est pourquoi les milieux sacrés (couvents, temples) écartent toujours la femme ‘’en sang’’. La femme en menstrues ne doit donc pas maudire ni penser mal de son mari dans cette condition. C’est extrêmement grave ! », détaille Dah Kpeyi.

« Lorsque la femme en menstrues accepte aussi d’aller au lit avec un homme, elle perd tout ce pouvoir et devient ainsi vulnérable aux attaques spirituelles », a ajouté Dah Kpeyi. Il déplore par ailleurs pour cela, que « les femmes ne soient pas conscientes de leurs pouvoirs et se laissent baiser même en menstrues pendant que les hommes qui s’y aventurent se perdent. »

Il recommande une purification pour ceux ou celles qui se sont déjà trempés dans cette souillure.

La menstruation, un facteur d’exclusion

Dans la tradition africaine, la femme en menstrues, si elle n’est pas ‘’éloignée ou écartée ‘’, c’est qu’elle est simplement ‘’exclue’’ de certains lieux ou milieux. Deux témoignages :

Nestor Kintohou, sage du clan Ganmin (Sèhouè) : « Il y a une chambre spécialement construite à part pour les femmes en menstrues »

« Chez nous, lorsque ta femme est en menstrues, elle ne partagera plus la même chambre que toi. Elle ne te préparera plus à manger ni te donner à boire.  Vous ne partagerez point aussi la maison conjugale. C’est strictement interdit. Que se passe-t-il alors ?

Il y a une chambre spécialement construite à part où se trouvent des pagnes, des balaies, des bols, des foyers, des jarres, etc. Toute femme qui, dans la famille, entre en ‘’règle’’, y séjourne jusqu’à la fin de ses menstrues. Elle va faire la toilette avant de regagner son mari.

C’est pourquoi la femme en menstrues est appelée ‘’Nyↄnun jɛ zↄ’’ (c’est-à-dire la ‘’Femme s’est mise à part/l’écart’’ ou ‘’s’est éloignée’’).

Si les menstrues surviennent par exemple au cours d’un voyage et que vous allez passer la nuit quelque part où il y a un lit, soit l’homme, laisse le lit et va étaler un pagne au sol et y dormir ou vice-versa. Mais jamais tu ne dois cohabiter avec ta femme en ‘’sang’’. C’est très grave pour ta santé spirituelle. »

Bernadette Anago, personne ressource:

J’ai déjà 33 ans de mariage. Et toutes les fois que je tombe en règle, mon mari ne s’approche pas de moi. S’il ne déserte pas carrément la chambre, ce qui est sûr, je ne peux ni lui servir à manger ni à boire, ni partager le même lit avec lui. Si vous couchez avec une femme en menstrues, elle peut accoucher d’un Lissa (albinos).

Aussi, chez mon mari, les Saxwè (département du Mono), il y a une rivière appelée Anagotô (la rivière de Anago, nom d’une divinité) qu’aucune femme en menstrues ne fréquente. C’est connu de tous si bien que dès qu’une femme vient se tenir un peu à l’écart de cette rivière, on sait en même temps qu’il est dans une condition d’incapacité (menstruation ou accouchement) et on se propose volontiers de lui remplir sa bassine. C’est une coutume, une solidarité séculaire.

 

Publié dans BI N° 76 du 24 Janvier 2018

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