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Seydou Kante, analyste géopolitique : « L’Union africaine doit renforcer son engagement diplomatique à l’échelle mondiale »

Union africaine

Dans le cadre des 60 ans d’existence de l’Union africaine, Bénin Intelligent donne la parole à des intellectuels avertis. Le deuxième de la série est le fondateur de l’Institut africain de géopolitique et de stratégie à Dakar, Seydou Kante, docteur en géopolitique et géographie politique. Afin de pallier le faible poids de l’organisation sur la scène internationale, il appelle à renforcer la solidarité, les capacités institutionnelles et promouvoir des positions communes sur des questions clés. La question de l’autonomie financière, de la monnaie unique et du maintien de la paix est aussi abordée.

Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN

Bénin Intelligent : L’Organisation de l’unité africaine (Oua), l’ancêtre de l’Union africaine, voyait le jour à Addis-Abeba il y a 60 ans. Pensez-vous que la vision de ses pères fondateurs qu’était « d’unir l’Afrique » suit un bon cours ?

Seydou Kante : Sur le plan économique, l’Union africaine a a fait des avancées significatives dans la promotion de l’intégration économique, notamment avec le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) en 2019. Mais sa pleine mise en œuvre et son impact réel doivent encore être évalués. Des défis subsistent en termes de suppression des barrières commerciales, d’harmonisation des réglementations et de développement des infrastructures pour favoriser le commerce intra-africain.
Quant à l’intégration politique, elle a œuvré pour renforcer la coopération politique entre les États membres, en mettant en place des organes tels que le Conseil de paix et de sécurité. Cependant, des conflits et des divergences persistent dans certaines régions de l’Afrique, entravant les efforts d’unité politique. Elle a joué un rôle de médiation dans plusieurs crises, mais la résolution pacifique des conflits reste un défi majeur.

L’Ua a promu une identité et une solidarité africaines à travers des initiatives telles que la Journée de l’Union africaine et l’Agenda 2063. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté africaine unie. Par ailleurs, elle s’est engagée à promouvoir la bonne gouvernance, la démocratie et les droits de l’homme en Afrique. Bien qu’il y ait eu des progrès dans certains pays, des défis persistent en matière de respect des normes démocratiques, de transparence électorale et de protection des droits fondamentaux. Les divergences de gouvernance entre les États membres peuvent entraver l’unité et la consolidation démocratique du continent.
Il est important de noter que l’unité africaine est un processus complexe et évolutif qui nécessite du temps et des efforts continus. Malgré les défis rencontrés, l’Ua continue de travailler à la réalisation de l’objectif d’une Afrique unie, en mettant en place des politiques et des mécanismes visant à renforcer l’intégration économique, politique et sociale sur le continent.

Peut-on parler aujourd’hui d’une Afrique forte et puissante dans le nouvel ordre mondial qui se présage depuis l’avènement de la guerre russo-ukrainienne ?

Plus de soixante ans après la création de l’Organisation de l’unité africaine, il est difficile de parler d’une Afrique forte et puissante dans le contexte géopolitique mondial, surtout depuis le début de la guerre en Ukraine. Bien que l’Union africaine ait progressé dans certains domaines, tels que la consolidation de la paix, le développement économique et la promotion de l’intégration régionale, de nombreux défis persistent.

L’Afrique reste confrontée à des problèmes complexes tels que les conflits internes, la corruption, l’instabilité politique, la pauvreté et les inégalités économiques. Ces défis internes ont entravé les efforts visant à renforcer la position de l’Afrique sur la scène mondiale. De plus, les dynamiques géopolitiques mondiales sont marquées par une compétition accrue entre les grandes puissances, comme les États-Unis, la Chine et la Russie, qui cherchent à étendre leur influence en Afrique.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les préoccupations des grandes puissances se concentrent principalement sur l’Europe de l’Est et les relations entre l’Occident et la Russie. Bien que l’Afrique puisse être affectée indirectement par les répercussions économiques et politiques mondiales de ce conflit, elle n’a pas joué un rôle majeur dans cette crise.

L’intervention étrangère en Libye en 2011 sans l’avis de l’Ua a suscité des critiques quant au poids de cette dernière. Alors selon-vous par quel procédé pourrait-elle renforcer son rôle et sa capacité à influencer les décisions internationales en faveur de l’Afrique ?

Le renforcement de l’unité et de la cohésion sont importants. L’Union africaine doit continuer à travailler sur l’unité et la cohésion entre ses membres. Des divisions internes affaiblissent souvent la voix de l’Afrique sur la scène internationale. En renforçant la solidarité et en promouvant des positions communes sur les questions clés, l’Union africaine peut accroître son influence. Ensuite, il faudra renforcer ses capacités institutionnelles. L’Union africaine doit investir dans le renforcement de ses capacités institutionnelles. Cela inclut le développement de ressources humaines qualifiées, la mise en place de mécanismes de recherche et d’analyse, ainsi que l’amélioration des infrastructures technologiques. Des institutions fortes et efficaces permettront à l’Union africaine de mener des recherches approfondies, de formuler des politiques pertinentes et d’élaborer des stratégies efficaces pour influencer les décisions internationales.

En diversifiant les sources de financement, en renforçant les mécanismes de collecte des cotisations des États membres et en développant des partenariats avec le secteur privé, l’Union africaine peut accroître son autonomie financière et sa capacité d’influence.

Par ailleurs, l’Union africaine doit renforcer son engagement diplomatique à l’échelle mondiale. Cela implique d’établir des partenariats stratégiques avec d’autres organisations régionales et internationales, de participer activement aux forums et aux négociations internationales, et de promouvoir la diplomatie préventive et la médiation dans les conflits. Un engagement diplomatique renforcé permettra à l’Union africaine de se positionner comme un acteur incontournable dans les discussions internationales. Enfin, l’Union africaine doit également s’efforcer de mobiliser des ressources financières adéquates pour soutenir ses activités. La dépendance actuelle à l’égard des financements extérieurs limite souvent l’indépendance et la marge de manœuvre de l’organisation. En diversifiant les sources de financement, en renforçant les mécanismes de collecte des cotisations des États membres et en développant des partenariats avec le secteur privé, l’Union africaine peut accroître son autonomie financière et sa capacité d’influence. En mettant en œuvre ces mesures, l’Union africaine peut renforcer son rôle et ses moyens pour influencer les décisions internationales en faveur de l’Afrique. Cela permettra à l’organisation de défendre plus efficacement les intérêts du continent, de faire face aux défis mondiaux et de contribuer de manière significative aux discussions et aux décisions qui concernent l’Afrique.

L’Union africaine a adopté en 1999 la convention d’Alger sur la prévention et la lutte contre le terrorisme. 24 ans après, quelle analyse faire de l’efficacité de cette politique dans la lutte contre le terrorisme ?

L’adoption de la Convention d’Alger sur la prévention et la lutte contre le terrorisme en 1999 témoigne de la volonté de cette dernière de s’attaquer à la menace terroriste sur le continent. Cependant, l’efficacité de l’Union africaine dans la lutte contre le terrorisme est un sujet complexe, marqué par des défis significatifs.

D’une part, l’Ua a pris des mesures positives pour renforcer la coopération régionale en matière de lutte contre le terrorisme. Elle a établi le Comité des services de renseignement et de sécurité de l’Ua (Cissa) ainsi que le Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (Caert) pour faciliter les échanges d’informations, la coordination des efforts et la formation des forces de sécurité.
De plus, elle a déployé des missions de maintien de la paix, telles que la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), pour combattre les groupes terroristes actifs sur le continent. Ces initiatives ont contribué à atténuer la menace dans certains contextes, mais les défis demeurent.
Cependant, malgré ces efforts, la menace terroriste en Afrique reste préoccupante. Les groupes tels que Boko Haram, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Al-Shabaab et d’autres continuent de mener des attaques meurtrières, d’élargir leur influence et de saper la stabilité régionale. Les facteurs contributifs tels que la pauvreté, les inégalités socio-économiques, les conflits internes et la fragilité des États persistent et nourrissent l’extrémisme violent.

L’efficacité de l’Ua dans la lutte contre le terrorisme est également entravée par des contraintes financières, des capacités institutionnelles limitées et des divisions internes entre les États membres. La coopération entre les pays africains dans le domaine du renseignement et de la sécurité reste souvent insuffisante, et des défis politiques entravent parfois la coordination des efforts régionaux.
Pour améliorer l’efficacité de l’Ua dans la lutte contre le terrorisme, il est crucial de renforcer la coopération régionale et internationale, d’accroître les investissements dans la formation et l’équipement des forces de sécurité africaines, de renforcer les capacités de renseignement et de renforcer les institutions de gouvernance et de développement. Une approche multidimensionnelle qui combine des mesures sécuritaires, économiques et sociales est nécessaire pour traiter les causes profondes du terrorisme.

Comment l’Ua peut-elle travailler avec les différents acteurs, notamment les gouvernements africains et les organisations internationales, pour parvenir à une paix et une stabilité durables ?

L’Union africaine (Ua) peut collaborer avec des gouvernements et des organisations internationales de plusieurs manières pour parvenir à une paix et une stabilité durables sur le continent africain. Elle doit renforcer ses partenariats avec les gouvernements africains et les organisations régionales pour une action collective efficace. Il est essentiel de favoriser une coopération étroite et coordonnée en partageant des informations, des ressources et des bonnes pratiques. Des mécanismes tels que le Conseil de paix et de sécurité de l’Ua peuvent faciliter la coordination des efforts de prévention et de résolution des conflits. Elle doit travailler en étroite collaboration avec des organisations internationales telles que les Nations unies, l’Union européenne et d’autres acteurs régionaux. Une collaboration renforcée peut permettre d’élargir les ressources, le soutien logistique et technique, ainsi que l’expertise dans les domaines de la médiation, de la reconstruction post-conflit et de la consolidation de la paix.
L’Ua peut jouer un rôle clé en promouvant la diplomatie préventive et en encourageant les gouvernements africains à résoudre les différends par le dialogue et la médiation avant qu’ils ne dégénèrent en conflits ouverts. La médiation de l’Ua dans des crises telles que celle au Soudan du Sud et en République centrafricaine montre l’importance de cette approche.

L’Ua doit investir dans le renforcement des capacités des États membres à gérer les conflits et à maintenir la stabilité. Cela implique de soutenir les initiatives de formation, de développement des compétences et de renforcement des institutions de sécurité et de gouvernance. L’Ua peut également faciliter l’échange d’expériences entre les pays africains en matière de prévention des conflits et de construction de la paix.

L’Union Africaine dépend essentiellement de financements extérieurs. Ce qui soulève des questions sur son indépendance vis-à-vis des intérêts africains. Existe-t-il d’autres moyens de diversification de ses sources de financement ?

Pour diversifier ses sources de financement et réduire sa dépendance à l’égard de l’extérieur, l’Union africaine peut envisager certaines mesures. Elle doit encourager les États membres à augmenter leurs contributions financières. Cela peut être réalisé en fixant des objectifs de cotisations clairs et en mettant en place des mécanismes de suivi pour assurer le respect des engagements financiers.
Les États membres doivent reconnaître l’importance de financer l’Ua pour promouvoir leurs propres intérêts et renforcer l’autonomie de l’organisation. L’Ua peut explorer des opportunités de partenariat avec le secteur privé africain. Cela peut inclure des initiatives telles que des partenariats public-privé pour financer des projets spécifiques, des contributions financières de grandes entreprises africaines ou la création d’un fonds de développement financé par le secteur privé. La promotion d’un environnement favorable aux investissements privés en Afrique peut également contribuer à la diversification des sources de financement.

L’innovation financière peut aider à mobiliser des ressources supplémentaires et à promouvoir l’autonomie financière de l’Ua.

L’organisation continentale peut envisager aussi de mobiliser des ressources internes à travers des initiatives telles que la création d’une taxe panafricaine sur certaines transactions financières ou l’exploitation de ressources naturelles africaines de manière durable et responsable.
Par ailleurs, l’Ua peut travailler en étroite collaboration avec des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et d’autres banques régionales pour accéder à des financements et à des ressources techniques supplémentaires. La conclusion d’accords de coopération stratégique et la participation active aux programmes de développement financés par ces institutions peuvent aider à diversifier les sources de financement de l’Ua. Pourquoi ne pas explorer de nouvelles approches innovantes de financement, telles que l’émission de titres d’emprunt, l’utilisation de la technologie blockchain pour faciliter les transactions financières ou la création d’un fonds souverain africain. L’innovation financière peut aider à mobiliser des ressources supplémentaires et à promouvoir l’autonomie financière de l’Ua. Cependant, il est important de noter que ces mesures nécessiteront un engagement fort des États membres et une volonté politique de soutenir financièrement l’organisation pour atteindre cet objectif.

L’un des principaux objectifs de l’Ua est l’intégration africaine, y compris la mise en œuvre d’une monnaie unique pour le continent. Où en sommes-nous dans ce processus ? Quels sont les défis qui doivent être relevés pour que cela devienne une réalité ?

L’Union africaine doit promouvoir une coordination économique accrue entre les États membres afin d’harmoniser les politiques monétaires, fiscales et commerciales. Cela implique la mise en place de mécanismes de consultation régulière et de prise de décisions collectives, ainsi que le renforcement des institutions régionales telles que la Banque africaine de développement (Bad) et la Commission économique pour l’Afrique (Cea) pour fournir l’expertise technique nécessaire.

L’Organisation peut envisager la création d’une institution monétaire régionale chargée de superviser la mise en place de la monnaie unique africaine. Cette institution pourrait être responsable de la formulation des politiques monétaires, de la régulation financière et de la gestion de la monnaie unique. Elle jouerait également un rôle clé dans la coordination entre les banques centrales des États membres.
L’Ua devrait établir des critères de convergence solides pour les pays souhaitant rejoindre la zone monétaire unique. Ces critères peuvent inclure la stabilité des prix, la discipline budgétaire, le contrôle de l’inflation, la soutenabilité de la dette et la stabilité financière. Le respect rigoureux de ces critères garantira une base solide pour la création et le fonctionnement de la monnaie unique africaine.
En outre, il est impératif d’encourager le développement du commerce intra-africain en éliminant les barrières commerciales, en facilitant les échanges et en promouvant l’intégration économique régionale. L’amélioration de l’infrastructure, la simplification des procédures douanières, la promotion des investissements transfrontaliers et la mise en place d’une zone de libre-échange continentale sont des mesures clés pour favoriser l’intégration économique. Pour réussir tout cela la sensibilisation et consultation des populations doivent être de mises.

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