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Travail domestique au Bénin : Travailleurs fragiles‚ employeurs cruels

Le travail domestique au Bénin est caractérisé par un horaire excessif de travail, un salaire bas, des violences physiques/harcèlement et renvoi abusif. Ce qui ruine les « travailleurs/travailleuses domestiques » estimés à plus de deux millions au Bénin. Face à une législation faible et une mauvaise perception sociale, des acteurs se mobilisent. Un panel de discussion sur les enjeux, défis et perspectives les a réunis, vendredi 6 mai, à la Fondation Friedrich Ebert (Fes) à Cotonou sous la modération de la journaliste Hermine Akponna (Ortb).

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON

Bienvenu Djinou est à l’heure du repos. Mais la retraite, il ne peut pas la prendre. Il continue de se démerder après avoir mené une « carrière » de travailleur domestique pendant 40 ans (1979-2019). Conséquence des mauvaises conditions de travail dans ce domaine : il n’a joui ni d’un salaire décent ni d’une sécurité sociale (Cnss) afin d’assurer ses vieux jours. « C’est clair que le travail domestique n’est pas assez reluisant dans notre contexte », déplore Moudachirou Bachabi, secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs du Bénin (Cgtb).

Aujourd’hui, Bienvenu Djinou milite en vue d’une amélioration à travers le Syndicat des employés de maisons et restaurants du Bénin (Synemb) dont il est le secrétaire général.

« Ce sont nos employeurs qui font que nous les travailleurs domestiques ne jouissons pas de bonnes conditions de vie. Au lieu de nous déclarer à temps ils ne le font pas. Si tu fais 15 ans de service c’est à peine ils déclarent cinq années. Cela ne nous garantit pas une retraite paisible. Il n’y a pas de pension de retraite, c’est toi-même qui va te battre pour combler le vide », témoigne-t-il.

Les espoirs sont désormais portés vers la ratification par le Bénin de la convention 189 de l’Organisation internationale du travail (Oit) adoptée le 1er juin 2011. Elle combat les conditions difficiles et pénibles de travail, l’absence de congés, de retraite et d’allocations familiales.

Le Réseau national des travailleurs/travailleuses domestiques du Bénin (Rntd) estime à deux millions sept cents mille (2 700 000) le nombre de citoyens qui exercent comme tel. En l’absence d’une étude sérieuse, Raymond Zoumatoun, Directeur des normes et de la statistique du travail reste prudent quant à ce chiffre. Toutefois, reconnaît-il, « chacun sait par expérience que nous avons beaucoup de Béninois et des non béninois qui sont à l’œuvre dans les ménages. Nous avons des enfants qui se retrouvent dans ces milieux ». Les travaux concernés touchent souvent à la cuisine, le nettoyage, la blanchisserie et le gardiennage.

 

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La situation de Djinou n’est pas isolée. Elle est le lot de cette catégorie de travailleurs communément appelés « bonnes ou boys ». Leurs maux ont pour nom : bas salaire, abus physique/ sexuel et horaire excessif de travail, privation de nourritures… récapitule Iris Nothofer, la représentante résidente de la Fes. Ayant exercé 10 ans au Ghana et 7 ans au Bénin comme travailleuse domestique (cuisinière), Ruth Afadjro confirme :

« Déjà à 6h je suis dans la cuisine pour faire le thé. Tu seras dans la cuisine et ils vont t’appeler pour autre chose, en même temps ils vont demander leur repas alors que c’est toi seule. Donc ce n’est pas amusant. Tu vas rester à travailler sans manger jusqu’à ce que eux ils finissent de manger ». Il arrive que, « parfois ils ont des visiteurs mais ne te préviennent pas. Toi tu as prévu qu’à 16h tu vas commencer par préparer le dîner. Ils vont te dire très tardivement qu’ils ont quinze (15) invités. Alors, c’est à l’heure-là que tu vas commencer par préparer pour 15 personnes. C’est très difficile », martèle-t-elle.

La situation de certains sont encore bien pire : « Il y en a qui sont pris à domicile pour des travaux de maison qu’on convoite ensuite sur le marché, c’est-à-dire que le travail sort de la maison et continue au marché », renchérit Moudachirou Bachabi.

Panel de discussion à la FES sur le travail domestique au Bénin
Vue de quelques participants au panel de discussion

 

Ce monde accorde peu de repos. Le congé annuel n’est pas accordé. « Je travaille tous les jours. Les dimanches même souvent je travaille, donc pas de repos en réalité si on est avec eux », confie Ruth A. Une violation de la législation qui a prévu une masse horaire de 50h, crie Raymond Zoumatoun, directeur des normes et de la statistique du travail. « Au-delà de 50h ce sont des heures supplémentaires. La loi a prévu qu’elles soient comptabilisées et que le régime d’indemnisation prévu soit appliqué ». Mais, observe-t-il, au domicile il est difficile de faire la démarcation entre le temps de travail et l’heure de repos. « La loi prévoit un minimum de 24h consécutives de repos par semaine. C’est difficile, pour ceux qui sont logés dans le ménage, que les employeurs respectent strictement », relève-t-il.

La rémunération, modique, ne permet guère de s’épanouir en tant que travailleur domestique. « Tu gagnes soixante mille francs le mois. Peut-être tu as déjà fait un prêt de quarante mille francs avant la fin du mois. Dès que tu rembourses, les vingt mille francs ne peuvent te suffire pour le mois prochain », avoue Ruth Afadjro.

Un travail comme tout autre

L’expression « travailleurs domestiques » n’est pas bienveillante, attaque Constance Mélomè d’Almeida, directrice d’un centre de formation professionnelle spécialisée.

« Domestiquer quelqu’un c’est le mettre à la maison et le garder ». Ainsi, « quand on dit travail domestique, la personne qu’on recrute on l’utilise de minuit à minuit ». En lieu et place, elle propose plutôt « auxiliaire de maison »

En réalité, rectifie-t-elle, « le/la travailleur/travailleuse domestique est un aide pour la femme qui travaille ailleurs dans un autre service et qui ne peut pas faire les travaux domestiques et a besoin d’un second bras. Ce second bras c’est pour l’aider dans des domaines précis » et non être obligé à faire à la fois « le ménage, entretenir les enfants et prendre soins de grand papa et grand maman », dénonce-t-elle.

 

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Au Bénin, bien que surexploitée la travailleuse domestique n’a pas le droit de tomber malade. En tout cas, si cela arrive, le ménage-employeur ne lui viendra pas en aide. Il pensera à la remplacer tout simplement. Ruth Afadjro en a fait les frais :

« Je suis tombé malade en 2021. J’avais eu des maux de ventre brusquement un samedi matin. À l’hôpital il m’a été prescrit une opération. J’ai appelé mes employeurs. Ils m’ont demandé qui va leur préparer à manger si moi je suis malade. Sur le lit d’hôpital j’ai même fait une vidéo pour les convaincre. Ils ont menacé de recruter une autre ménagère. Je pleurais. J’ai subi une opération qui a coûté environ cinq cent mille francs (500 000F). Ils ne m’ont pas soutenu, même pas 5F je n’ai reçu d’eux », a-t-elle relaté au public médusé.

Le « travail domestique » est sous-estimé. Il n’est pas considéré comme un véritable travail, constate le Sg Moudachirou Bachabi. « Celui qui aide, on pense que ce qu’il fait là ce n’est pas déjà grand-chose », et donc « sociologiquement il y a un travail à faire », persiste-t-il. « Les travailleurs domestiques eux-mêmes ne se considèrent pas comme des travailleurs. On les entend souvent dire « c’est un job que je fais », appuie Raymond Zoumatoun. Or, « Il s’agit bel et bien d’un travail, d’un travail comme tout autre », insiste Moudachirou Bachabi.

Les panélistes ont été unanimes qu’il se pose un défi de professionnalisation. « On pense qu’en tant que travailleur domestique on n’a pas besoin de qualification. C’est là où les problèmes commencent », déplore Bachabi. Se professionnaliser va de pair avec se spécialiser. En la matière, Marie Constance Mélomè d’Almeida, offre une formation en trois spécialités dans son centre, à savoir : Auxiliaire de ménage (cuisine, repassage, …), Auxiliaire parental (ils sont là pour garder les enfants) et Auxiliaire de vie sociale (entretenir les grand parents).

Ce qui devrait, espère-t-elle, contribuer à combattre la surexploitation humaine de ces catégories de travailleurs. Le travailleur/travailleuse domestique n’est pas « l’esclave qui fait tout » mais « l’auxiliaire qui accomplit des tâches précises », martèle-t-elle. En plus de la « formation professionnelle pour crédibiliser le travail domestique », le Sg Moudachirou Bachabi suggère également la valorisation des expériences acquises (vae) au profit de ceux qui y ont une longue carrière de travail domestique.

Cadre légal faible

Trois régimes existent dans le travail domestique : d’abord, ceux qui vont travailler dans un ou plusieurs ménages et qui retournent chez eux ; ensuite, ceux qui s’installent carrément et dorment dans le ménage-employeur ; et enfin, ceux qui sont sollicités sporadiquement par des ménages. Un critère horaire intervient dans la qualification du travailleur domestique. Est considéré comme tel au regard des textes, celui/celle qui accomplit un minimum de 50h par semaine. « Ceux qui n’accomplissent pas un minimum de 50h ou ceux qui viennent accomplir un travail ponctuel ne sont pas inclus. On va plutôt parler des accords qu’ils ont avec ceux qui les emploient », précise Raymond Zoumatoun, Directeur des normes et de la statistique du travail. L’absence d’une grille de salaire, reconnaît-il, « fait partie des insuffisances qu’il faut corriger ». En attendant, le Smig sert de salaire minimum applicable.

Le cadre légal réglementant le travail domestique au Bénin, dit-il ; est constitué d’une part, des instruments internationaux (la Convention 189 et la recommandation 201), et d’autre part, les textes nationaux. « C’est vrai que nous n’avons pas encore ratifié la convention mais chaque fois qu’il y a une recommandation cela est un instrument d’inspiration pour nos législations. Les dispositions contenues dans la recommandation inspirent notre action normative. Donc on peut dire que ça s’applique », soutient Raymond Zoumatoun.

Au niveau national, ce sont des textes généraux, à savoir le Code du travail « qui fixe les conditions générales du travail » et l’arrêté 026 d’avril 1998 « qui fixe un minimum de conditions d’emploi qui peuvent permettre de sécuriser un peu la situation de ces travailleurs ». En attendant la ratification de la convention 189, combat des réseaux d’associations, déjà les textes nationaux ne sont pas respectés. « La loi prévoit que le travailleur soit déclaré. Est-ce respecté ? Si on s’adresse à la Cnss nous allons avoir des statistiques écœurantes », assure Raymond Zoumatoun.

Dans le domaine du travail domestique, les ménages-employeurs ne signent pas de contrat écrit avec les travailleurs. Bienvenu Djinou et Ruth Afadjro en respectivement 40 et 17 ans d’expérience n’en ont jamais eu. Le contrôle des conditions de travail domestique est difficile : « le ménage, c’est une question de vie privée », soulève Raymond Zoumatoun.

 

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