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Ustensiles et vaisselles en argile : Une tradition utile aujourd’hui

Détrônés par les objets en plastique, fer ou aluminium, ils n’ont pour autant disparu complètement. A Sè dans la commune de Houéyogbé, un groupement de femmes s’est donné pour spécialité la fabrication des ustensiles en argile, qui retrouvent peu à peu leur lettre de noblesse dans des restaurants et au sein de certaines familles notamment dans les grandes villes. Chez elles, même les débris de jarres cassées sont recherchés et servent encore…

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON

De l’eau et de l’argile. Ce sont les deux intrants qu’elles mobilisent. La matière première, l’argile figuline prélevée sous une terre noire est disponible dans la zone de Sè. Des fournisseurs la livrent régulièrement aux femmes du groupement, le contenu du tricycle ‘’kloboto’’ à cinq mille francs l’unité. Mais ce n’est pas suffisant. En plus de l’eau et de l’argile, un autre ingrédient insoupçonné et presque insignifiant est indispensable. Il s’agit des résidus de jarres cassées. « Nous les réutilisons ici. Au fait nous l’ajoutons à l’argile ‘’vierge’’ qu’on nous ramène ; ils lui donnent plus de consistance », justifie une des femmes. Le groupement les achète de maisons en maisons et les ramasse aussi par terre. « Les populations savent que nous en utilisons et nous en amènent. Ça veut dire que si votre jarre est cassée ce n’est pas une raison pour tout jeter, non. Il faut rassembler les fragments. Nous achetons la bassine à 500F », ajoute-t-elle. Le tout est ensuite réduis en poudre puis mélangé à l’eau. Le mélange obtenu est ensuite manié de sorte à prendre toutes les formes que désirent les fabricantes. « Nous fabriquons beaucoup de choses avec l’argile. Nous pouvons lui en donner toutes les formes que nous désirons. Je peux même utiliser l’argile, monsieur le journalise, pour vous représenter ; seulement, il ne manquera que le souffle. Nous fabriquons des cloportes, marmitte‚ bol, verre, gourde à eau, casserole, plat, pot de fleur, veilleuse…beaucoup de choses quand même », énumère fièrement Félicité Adidého, la présidente du groupement ‘’Finagnon’’. A Sè, dans le département du Mono elles sont une vingtaine réunie dans ledit groupement. Pas d’homme en leur sein. Rien que des femmes (mariées) aidées de jeunes filles qui font aussi leur pas dans l’apprentissage. Des consommateurs accourent de partout. « Des détaillantes viennent s’approvisionner chez nous pour aller exposer aux bords des voies et vendre. Des gens quittent Cotonou, Parakou…pour venir directement les acquérir à notre base soit pour eux-mêmes ou pour les commercialiser à leur tour », se réjouissent-elles.
En contemplant leurs œuvres, l’on découvre au-delà des simples ustensiles de cuisine, tout un travail artistique nécessitant concentration et dextérité. Elles dessinent des formes avec finesse, excellence. Chez elles, la poterie est un savoir-faire séculaire acquis auprès des grands-parents. Avant de commencer à s’entrainer elle aussi vers ses six ans, Félicité Adidého a par exemple regardé faire sa grand-mère puis sa mère. Et depuis, elle n’a plus démordu jusqu’à ce jour. « C’est ce que j’exerce pour nourrir mes enfants, mon mari, toute ma famille », assure-t-elle. Mais, à un moment donné, elles ont confié avoir senti le besoin de se mettre au pas de l’évolution du monde. « Des Blancs se sont rapprochés de nous et nous ont aidées. Ils nous ont initié à la technique du « tour ». Nous avons fait cette formation en deux mois. Nous n’avons pas du tout abandonné la pratique héritée de nos grands-parents, car un héritage ne se délaisse pas. Nous pratiquons toujours les deux procédés ». En céramique, le tour permet au potier de façonner l’argile en la faisant tourner sur elle-même. Il s’agit d’un outil manuel activé à la force des pieds qui fait tourner un disque, entrainant ainsi un axe qui fait tourner un plateau supérieur sur lequel repose l’ouvrage. « Ainsi en un temps record nous pouvons fabriquer massivement des objets. Avec la pratique héritée de nos grands-parents, l’argile est maniée au sol », relève la présidente.

De la main au feu

Le passage au feu est une étape importante du processus. Une fois fabriquées et séchées, les formes sont introduites dans le feu. Un baptême pour leur faire acquérir l’imperméabilité à l’eau. « Sinon, l’ustensile laisse couler l’eau. C’est pourquoi nous les brûlons au feu jusqu’à ce qu’ils soient « cuits ». Des confidences recueillies, ce feu jamais ne se fait à base du charbon. A ce moment ultime interviennent alors les branchages de palmiers à huile. Les ustensiles et vaisselles produites à la main sont alors déposés sur une sorte de passoire en fer à larges creux rectangulaires et supportés par des foyers en argile. Le feu brûle en dessous et la chaleur fait le reste du travail. Mais cette manière de procéder, les femmes en font les frais. L’exposition quotidienne à la fumée et à la chaleur est source d’ennuis de santé. D’où leur seul souhait de disposer d’un four. « Nous avons besoin d’un four. Avec ça nous ne nous exposerons plus au feu. Nous tombons souvent malades. Avec les branchages de palmier à huile brûlées, notre corps ingurgite la chaleur et il y a la fumée qui nous va sur les yeux. Avoir le four nous fera énormément du bien », formule leur présidente.

Avantages sanitaires

«Au village, mes parents continuent d’utiliser les jarres en argile. L’eau qu’elles contiennent est toujours fraîche»‚ confie Raymond‚ rencontré sur les lieux et venu se procurer des produits. A Cotonou‚ c’est dans des plats en argile que dame K. sert pâte noire et igname pillée aux clients. «J’y suis habitué depuis le village. Donc trouver un coins en ville où il y a ces plats‚ c’est inédit. Ce sont des ustensiles sains‚ sans risque pour l’organisme»‚ témoigne l’un d’eux.
Très sensibles aux chocs violents qu’ils ne supportent pas, les vaisselles en argile sont à entretenir avec délicatesse. Elles ne comportent pas de risque pour la santé. Les productrices de Sè en sont conscientes et utilisent cet argument pour faire de la publicité. « Nos plats ne sont pas cancérigènes. L’argile est riche en calcium. Il fait du bien à l’organisme. D’ailleurs il soigne l’ulcère, les affections de la peau. En la maniant, l’argile nous rajeuni et nous vieillissons tardivement », déclare Félicité Adidého. « Ce n’est pas faux », appuie Pacôme Comlan Allomakpé, gestionnaire du patrimoine culturel et responsable-supervision du projet Cirtoum qui a doté le groupement Finagnon de toilettes et d’une paillote. Chez lui, témoigne-t-il, les plats et bols en argile se substituent progressivement à ceux en plastique ou aluminium. Malgré leur résistance et durabilité, ces derniers ne sont pas sans conséquence sur la santé. Le médecin diplômé d’Etat Ulrich Aliho relève que si nos aïeux ont eu « une durée de vie assez longue que nous de nos jours », cela est liée surtout à leur mode alimentaire. « Manger dans les plats en plastique ou en aluminium, les risques ne manquent pas. Pourquoi ? Le plastique on entend dire qu’il est fait à base de débris de pétrole. Or le pétrole est toxique. Alors, y mettre des repas chauds, il va essayer de fondre, du coup, les substances toxiques vont entrer dans le repas que nous consommons. A la longue, l’accumulation de ces produits deviendra dangereuse pour l’organisme humain. Les ustensiles en aluminium sont certes résistants et ne vont pas se casser rapidement comme les anciens plats en argile. Mais, avec le temps, il y a de ces débris d’aluminium, de fer qui entrent dans les repas que nous consommons. Ce qui est aussi dangereux pour l’organisme ». Autrement, les sujets développeront à long terme un cancer qui aura pris le temps de s’installer, conclut Dr Alamou Gado, médecin-juriste.

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