Stigmatisations. Enlèvements. Assassinats. Ces violations des droits humains parsèment le quotidien des personnes péjorativement appelées « albinos ». Dans ce dossier, Bénin Intelligent vous invite à découvrir, d’abord les injures qu’ils subissent, matin, midi et soir dans leur environnement socioprofessionnel, juste à cause de leur peau. Pourtant, des personnes atteintes d’albinisme travaillent et peuvent réussir (ou réussissent) comme toute autre personne dans leur vie.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
Carlos Amoussou est greffier au Tribunal de première instance (Tpi) d’Abomey-Calavi. Sa situation de personne atteinte d’albinisme lui procure des ennuis particuliers. Juste à cause de la couleur de sa peau, ses compétences professionnelles ne sont pas assez sollicitées. Il confie tout dépité :
« Stigmatisé dans mon service, oui. Au début, quand j’ai commencé par travailler au tribunal de Calavi, il y a eu une certaine réticence des supérieurs hiérarchiques à me confier des tâches pour lesquelles j’avais été formé. C’est dire qu’il va falloir que je leur rappelle incessamment ma capacité à pouvoir exercer la profession pour laquelle l’État m’a recruté. Mais jusqu’à aujourd’hui je peux vous assurer que les préjugés continuent de prendre le pas sur mes compétences intrinsèques. C’est un combat de tous les jours».
Comme lui, de nombreux «albinos» subissent quotidiennement des stigmatisations dans leur environnement. Nicolas Dossa est aussi albinos, la cinquantaine, promoteur d’un restaurant. Un mépris qu’il a subi au Ceg Gbégamey Nord est encore frais dans sa mémoire. Il raconte :
« Quand j’étais passé au Ce1, la maitresse qui tenait cette classe, lorsqu’elle a appris que j’allais intégrais sa classe a changé de classe et a pris le Ce2 , donc à cause de moi. Quand je suis admis au Ce2, elle changea encore de classe et prit le Cm1. Elle fini par changer carrément de groupe quand je suis passé maintenant au Cm1. Elle avait rejoint le groupe B. C’est par la suite qu’une autre maitresse mutée du groupe B pour le groupe A m’a soufflé que c’était à cause de moi que l’autre maitresse a fui et qu’elle n’arrive pas à me faire face, que mes yeux tournaient comme ceux d’un chat ou d’un serpent ».
Ces discriminations, quoique répréhensibles, sont encore mieux que les cas de meurtres qui constituent le paroxysme de la maltraitance des albinos. Des souvenirs traumatisants hantent encore à cet effet la mémoire : Yvette T., albinos de 22 ans froidement abattue et décapitée le 25 septembre 2011 à Abomey-Calavi; Alain, 17 ans, porté disparu et bien d’autres encore. Toute chose qui montre l’échec de l’inclusion et la défense des droits des personnes atteintes d’albinisme.
L’albinos n’est pas un démon
Pamela Capo-Chichi est la présidente de l’Ong Valeur Albinos, première Ong qui depuis 2009 s’occupe exclusivement des personnes atteintes de l’albinisme. Le cas d’attaque le plus récent, confie-t-elle, remonte au 2 Octobre 2016. « Il y a eu une attaque à laquelle la victime, un jeune garçon de 23 ans, a pu s’échapper par miracle. Un chef traditionnel voulait le décapiter sur son fétiche mais il s’en est sorti », s’est elle réjoui.
« L’albinisme est une maladie génétique causée par le manque total ou partiel de mélanine dans l’épiderme. Il expose ainsi les personnes atteintes à des maladies telles que le cancer de peau et les maladies oculaires ». C’est ainsi que Oumarou Bani Guéné, directeur de cabinet/volet affaires sociales du Ministère du travail et de la Fonction publique a définit l’albinisme lors de la journée du 12 juin consacrée aux albinos par les Nations unies. « En fait, les personnes atteintes de l’albinisme sont nos enfants ; ils ne viennent pas d’autres personnes si ce n’est des Noirs comme nous. Les albinos ne sont pas des fétiches », martèle Pamela Capo-Chichi.
Souvent, à l’origine des exactions contre ces personnes, des motifs traditionnels. « Dans plusieurs pays africains, on croit que les organes des albinos possèdent des pouvoirs magiques capables d’apporter la richesse une fois utilisés dans des positions », a souligné le directeur de cabinet. C’est une vérité que les investigations de la présidente de Valeur Albinos lui permettent de confirmer :
« Ce qui est étonnant chez les Africains, c’est qu’ils vivent sur des superstitions. Figurez-vous par exemple que certaines personnes se disent que s’ils utilisent des cheveux d’albinos imbibés dans du parfum, cela leur ouvrira plus vite des portes. C’est triste. J’ai fait des recherches. Je suis allée jusqu’à me rapprocher de certains occultistes qui m’ont avoué le regard que la majorité a sur les personnes atteintes de l’albinisme. En réalité, lorsqu’un albinos est quelque part, il se fait remarquer de manière naturelle par la couleur de sa peau. Alors, quelqu’un qui ambitionne de devenir célèbre, selon ces occultistes, n’a pas souvent du mal à prendre des organes du corps des albinos pour atteindre son objectif. »
La présidente croie dur comme fer que les personnes atteintes d’albinisme sont capables de grandes réalisations, de progrès. C’est pourquoi se bat-elle contre les préjugés et superstitions qui les submergent. « Notre rêve et notre récompense, c’est de voir dans le futur, ces albinos que nous accompagnons, rayonner dans des domaines qui leur plaisent et devenir des élites du pays, des ministres voire le président de la république », c’est là son noble rêve. « L’albinos est capable d’aller loin qu’une personne normale », soutient aussi Carlos Amoussou, le greffier.
Ce que doit faire l’État
La peau des albinos demande beaucoup de rigueur, d’hygiène, de soins dont les parents n’ont pas souvent la force. C’est pourquoi Carlos Amoussou, le greffier au Tribunal de première instance d’Abomey-Calavi est très surpris et déçu chaque fois qu’il intercepte en chemin des albinos qui vendent à la sauvette, sous le soleil. Prenant son exemple, le greffier confie qu’il emploi plusieurs pommades ou produits. Ce qui est intéressant, il y a en une qui coûte dix mille francs (10 000 F). Il déduit qu’un albinos issu d’une famille pauvre ne saurait avoir le soutien adéquat qu’exige sa condition. Mais l’État peut faire quelque chose dans ce sens, pense-t-il. « Il peut subventionner les produits qu’utilisent souvent les albinos », a-t-indiqué. Autrement, les exonérer de taxes douanières.
Outre cet aide, c’est beaucoup plus à la promotion des personnes atteintes d’albinisme qu’il invite l’État. « Nommer à des postes de responsabilité (ministre par exemple) des albinos ». Il poursuit qu’un albinos ministre qui se présente devant le peuple pour représenter par exemple le gouvernement est un acte assez fort qui sensibilise, sans qu’on ne le dise, la population sur la capacité de l’albinos à se réaliser.
Sur le plan professionnel, il suggère que les conditions d’aptitude souvent exigées et qui défavorisent les albinos soient supprimées. Aussi, proposent-ils au gouvernement d’augmenter la taille des écritures dans les manuels scolaires. « Je demande aux journaux, aux éditeurs aussi de publier des livres ou journaux à de grosses tailles (15 par exemple) à cause de l’acuité visuelle congénitale des albinos », plaide-t-il.
Mais jusque-là, l’État montre une indifférence et léthargie fatales qui déplait à dame Capo-Chichi de Valeur Albinos. Elle relate :
« Nous espérons toucher la vision de l’État pour que les albinos soient effectivement acceptés dans notre société. Car, il y a jusque-là, une certaine hypocrisie autour du sujet. Nous interpellons sur le sujet depuis plus de 10 ans les autorités, mais en vain. Nous avons par exemple de nombreux cas de cancer dans le rang des albinos. Quand nous sollicitons le gouvernement, nous n’avons pas de réponses. C’est ce qui fait qu’en 2016, un jeune de 21 ans est banalement décédé d’un cancer de tête, malgré nos différents courriers envoyés dans de nombreux ministères. »
Malgré la rudesse du combat pour l’épanouissement des albinos, l’Ong Valeur Albinos ne compte pas baisser les bras. Tout comme elle, les albinos doivent eux-aussi surmonter les préjugés véhiculés sur eux, conseille le greffier, Carlos Amoussou.
Des conseils d’albinos aux albinos
L’albinos ne doit pas se laisser scléroser par le regard hautain de son entourage. La plupart des albinos rencontrés affichent cette position :
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Carlos Amoussou, greffier
« Vous avez le devoir de faire comprendre aux autres, par votre comportement au quotidien, que vous êtes une personne comme eux. Vous avez aussi le devoir de ne pas vous limitez à ce que les gens pensent de vous. Vous devez allez au-delà des limites qu’on vous impose. »
- Nicolas Dossa : « L’albinos ne doit pas pleurnicher attendant l’Etat »
J’ai le niveau de la classe de 3è, marié, père de 6 enfants. Je suis peintre bâtiment de formation, un métier qu’en réalité l’albinos ne devrait pas exercer. Ça dégrade la peau (ce sont des produits chimiques). L’albinos ne devrait pas aussi s’exposer au soleil. Donc comme j’étais ignorant, j’avais choisi ce métier mais je ne le regrette pas aujourd’hui ; il me fallait apprendre quelque chose. Mais il y a de cela 7 ans je me suis retiré de la peinture. J’ai tout laissé à mes apprentis. Même si je dois le pratiquer encore, il faut que ce soit à l’intérieur et non l’extérieur.
Un albinos doit surpasser les gens qui le voient autrement. Il ne va pas se rabaisser comme il est albinos. Il doit travailler pour se positionner autant que les autres. Comme les autres ont la peau noire, ils pensent que l’albinos ne peut rien faire, qu’il est fétiche ou il est handicapé. Moi je ne suis pas handicapé. Je n’aime jamais qu’on me classe parmi les handicapés. Si un albinos se dit handicapé il est foutu. L’albinisme n’est pas un handicap. Moi je rejette ça.
L’albinos a juste un problème corporel. A un certain âge sa peau se dégrade par les intempéries comme le soleil qui est notre ennemi premier. Nous souffrons généralement du cancer de la peau. Et c’est le soleil qui en est la base. Il faut opérer ces plaies sur l’albinos. Ceux qui n’ont pas d’argent en meurent. Moi je me suis fait opérer sous anesthésie générale au moins 4 fois déjà. Et une opération coûte environ trois cent à quatre cent mille francs. Vous allez me voir toujours en manche longue. Si je dois sortir je dois porter mon chapeau pour me protéger des rayons solaires. Les multiples crèmes et pommades qu’on nous prescrits ne sont pas efficaces. La méthode la plus efficace est de se cacher du soleil par des vêtements.
L’albinos ne doit pas se laisser influencer par les dires des autres. Il lui faut avoir une conviction. Tout ce qu’on dit sur moi ou contre moi ne me regarde pas. Je prends toujours de la hauteur. J’aime qu’on me voie à l’œuvre. Il faut être toujours positif.
Je pense fortement que les albinos doivent se prendre en charge, ne pas pleurnicher attendant tout de l’Etat. Ils doivent simplement travailler. J’ai exercé la peinture pendant 20 ans. J’ai dû abandonner parce que les médecins ont insisté là-dessus. Je n’ai jamais fait une demande de travail à l’État, et je ne le ferai pas. Déjà on te déteste et tu veux encore tendre la main ? Je rends grâce à mon père qui m’a scolarisé. S’il ne l’avait pas fait je serai qui et quoi aujourd’hui ? L’école est primordiale pour l’épanouissement de l’albinos.
Parfois je comprends ceux qui nous rejettent. On dit deux noirs ce sont assemblés et ont mystérieusement accouché un blanc. C’est vraiment fétiche pour eux. C’est parce que moi je suis allé à l’école.
- Fidèle Zounon, étudiante en 2e année de Banque et finance : « J’ai un copain à la peau noire. Il m’aime beaucoup comme je l’aime »
Les injures et manquements à notre personne ne manquent pas en milieu académique. Mais moi je ne me cache pas. Il y a des gens qui n’aiment pas s’approcher des albinos croyant qu’ils sont des hommes à part. Il y en a qui aiment bien s’approcher des femmes albinos mais pour faire des expériences (découvrir leur nudité) pensant que ce sera différent des autres. C’est un mauvais comportement que de discriminer les Albinos. Les non-albinos devraient nous accepter comme des personnes comme eux. Nous avons tout ce qu’ils ont. C’est juste notre peau qui est différente de la leur. Il faut qu’ils apprennent à nous connaître. C’est juste la peau qui nous différencie.
Je ne suis pas un démon, et je n’ai pas des yeux de chat. Je veux dire aux amis que la solution n’est pas de se cacher. Lorsque vous vous cachez vous n’êtes pas épanouie. Il faut être libre dans le cœur. Il faut se montrer. Je ne vois pas où se trouve la honte de se promener entre des personnes à la peau noire. Il faut travailler et montrer aux non-albinos que vous êtes aussi capable de faire ce qu’ils font. Comme ça, ils apprendront à nous connaître peu à peu et à s’associer à nous.
Dans cette société qui nous rejette, qui nous prend pour des démons nous devons travailler pour nous réaliser. Il ne faut pas se fier à ce que disent les autres quand on sait qu’on ne l’est pas. Le soleil est l’ennemi de l’albinos. Donc il nous faut éviter le soleil.
- Lionel Lohoundjo, ingénieur des travaux publics, entrepreneur des bâtiments, marié, un enfant : « Je mène une vie plus aisée que beaucoup de personnes ordinaires »
Moi je ne me prends pas comme une personne différente, inférieure, une personne albinos. Donc je ne rencontre pas de problème. L’albinos est comme toute personne ordinaire. La différence est juste due à une malformation. Dire que l’albinos à des organes qu’il faut prendre pour faire des sacrifices c’est faux, c’est une aberration.
Aujourd’hui dans ma société, je regroupe près de quarante ouvriers à la peau noire ; ils vivent sous moi. Donc si je m’étais pris comme une personne à part je ne serai pas à ce niveau. Il faut dire aux autres albinos que leur problème, c’est la tête. Ils se sont gravés dans la tête qu’ils sont des personnes différentes. Moi je suis certes albinos mais je mène une vie plus aisée que beaucoup de personnes ordinaires. Si vous allez sur ma page facebook (leonel.lohoundjo), vous allez constater des réalisations, mes expériences.
Par mois je dois dépenser vingt à vingt-cinq mille francs pour la santé de mon corps. La personne albinos ne doit pas s’exposer au soleil.