Interdit de siffler, de balayer ou d’appeler certaines choses par leur nom… la nuit. Autrefois au village, notre enfance a baigné dans ces genres d’interdits que nous avions observés sans en connaître les secrets. D’où nos grands-parents les tenaient-ils ? Que risquions-nous à les transgresser ? Explications.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
« Enfant, je me souviens, quand ma mère m’envoyait acheter du sel la nuit, il ne faut jamais dire à la vendeuse de condiments : « Je veux acheter du sel. » Plutôt : « je veux acheter du sable. » Et elle comprend. Sinon elle n’a pas le produit même si vous le voyez. »
Comme beaucoup de Béninois, ce souvenir est encore frais dans la mémoire du slameur et poète Sêminvo L’enfant Noir. « Tu ne dois pas dire à la vendeuse de condiments que tu veux acheter de l’huile rouge la nuit, mais dire plutôt ‘’sin vôvô (l’eau rouge) », se rappelle un autre. Tant d’interdits rythment ainsi la vie la nuit. Alors, qu’y a-t-il dans la nuit pour qu’elle héberge tant d’interdits ? « Il y a quatre éléments dans la nature, à savoir la terre, l’eau, l’air et le feu. Des esprits travaillent avec ces éléments et la nuit, pendant que nous nous reposons, ils se reposent aussi. Ils doivent avoir la quiétude nécessaire pour faire leur travail. Donc en balayant la nuit tu les perturbes. En allant puiser de l’eau tu embêtes les entités qui sont dans l’eau. Normalement on ne devrait même pas allumer de feu à partir d’une certaine heure ». Telle est la justification que le spiritualiste, numérologue et kabbaliste Hermann Lobotoé en donne.
Des exemples
Pourquoi ne faut-il pas balayer sa chambre ou son salon la nuit ? Parce que selon la croyance, nos parents défunts nous rendent visitent la nuit. Ils sont là invisibles pour nous protéger. Commencer par balayer en ce moment est synonyme de les renvoyer ; ce qui peut nous porter malheur, explique Dah Kpéyi, prêtre du Fâ. Toutefois, au cas où il s’impose vraiment à vous de balayer, il faut d’abord murmurer « agooo », une manière de requérir leur permission pour cette violation. Par ailleurs, en balayant la nuit on risque de jeter quelque chose de précieux sans le savoir. Pareillement il est déconseillé d’avoir sa casserole vide la nuit ; il doit y avoir un peu de nourriture et aussi il faut avoir de l’eau dans sa chambre car nos morts viennent pour manger et boire.
Egalement la nuit, il est interdit de cueillir une tisane. Car, ajoute Dah Kpéyi, les feuilles sont supposées être au repos. Elles dorment aussi, estime-t-on. En cas de non-respect, la tisane ne sera pas efficace.
On ne dit pas ‘’adi’’ (savon) la nuit. Il faut plutôt dire ‘’talènou’’ (ce qui sert à laver la tête). En milieu Fon, il y a une expression sacrée « é kou adi kou » (ce qui signifie littéralement ‘’mort par le savon) pour parler d’une femme morte enceinte. Partant de là, le sage de la collectivité Ganmin, Nestor Kintohou informe que celui qui dit ‘’adi’’ la nuit peut être frappé ou hanté par l’esprit de ces femmes qui ont perdu la vie dans un tel état.
On ne dit pas la nuit : je veux acheter de l’huile rouge. On dit plutôt ‘’je veux acheter l’eau rouge’’. Sinon, l’huile se transforme en sang le lendemain.
Il est aussi interdit de couper les ongles ou de se raser la tête la nuit. Parce que c’est aux morts (cadavres) qu’on coupe les ongles et on rase la tête la nuit. Il est aussi strictement déconseillé de siffler la nuit pour ne pas s’attirer les serpents ou provoquer les sorciers, car c’est comme cela qu’ils s’appellent.
« Ne pas rester sous l’arbre la nuit ». Le Dr Flavien Edia Dovonou est spécialiste du management environnemental, enseignant à l’Institut national de l’eau de l’Uac. Cet interdit se justifie, a-t-il soutenu. En effet ; « La nuit l’arbre rejette le gaz carbonique qui est nuisible pour notre santé. Quand tu dors sous un arbre la nuit le lendemain tu auras des maux de tête. C’est le phénomène contraire le jour. L’arbre rejette de l’oxygène et absorbe le gaz carbonique. C’est cela la photosynthèse », a-t-il justifié.
Ne pas utiliser le cure-dent la nuit au risque de provoquer la mort de ses parents
Pour raconter un conte le soir sans attirer les mauvais esprits, chacun devait donner un cil des yeux ou une mèche de cheveux et le tout est enterré dans un trou.
On ne fait pas la lessive la nuit. Seules les veuves peuvent le faire à moins qu’on souhaite le devenir aussi.
Il faut observer que ces interdits avant de tomber dans la vie ordinaire ou profane, sont liés à tel ou tel Vodoun. A titre illustratif, chez le sage Kintohou, ne pas balayer la nuit est un commandement du Vodoun Thron dont il est fidèle. Tout comme il leur défend de se laver au savon après une certaine heure.
Ce sont là autant de mystères qui font de l’Afrique un continent riche. Ils montrent que nos aïeux n’étaient pas des incultes comme l’ont prétexté les colonisateurs pour justifier leur mission civilisatrice. Au contraire ils étaient de grands illuminés. Même si de nos jours, dans la majorité des ménages et familles, ces interdits passent hélas pour de la superstition. La modernité ayant dissipé nombre d’entre ces règles.
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C’est très intéressant le rappel des interdits et leurs explications. Je vous dis un grand merci
Félicitation à vous, que Dieu vous aide à continuer davantage. Moi personnellement je veux connaître plus que ça.
C’est mr Charles de la DGI