Les arbres peuvent aider à freiner « les effets pervers des changements climatiques » qui menacent notre quiétude sur terre. C’est la thèse du Dr Flavien Edia Dovonou, spécialiste du management environnemental et enseignant à l’Institut national de l’eau (Ine) de l’Université d’Abomey-Calavi. Il s’explique dans cette interview, et fait des suggestions aux députés et à la société civile pour un reboisement intensif.
Bénin Int : Quels sont aujourd’hui les signes qui nous montrent l’évidence des changements climatiques ?
Dr Flavien Edia Dovonou : Les changements climatiques sont aujourd’hui un phénomène perceptible. Ils se manifestent à travers l’élévation de la température de la terre. Des études ont montré que depuis 2016, 2017, 2018 la température de la terre a atteint des degrés très élevés par rapport aux années antérieurs. La situation a continué malheureusement en 2019 où vous avez constaté qu’il fait extrêmement chaud, surtout la nuit. C’est une manifestation des changements climatiques.
Il y a également les vents violents surtout dans des zones reculées qui décoiffent des habitations. Autre chose dont les paysans pâtissent : la sècheresse prolongée. Nous assistons aujourd’hui à des perturbations du climat et la saison pluvieuse commence par se rétrécir. Alors il manque d’eau.
Il y a aussi les inondations qui créent des dommages aux populations, qui détruisent les cultures, provoque des effondrements d’habitations. Tout cela fait partie des changements climatiques. Et enfin, l’érosion, surtout l’érosion côtière qui s’accentue d’année en année. Beaucoup de villages côtiers ont disparu. Même à Cotonou dans la zone d’Akpakpa, des habitations qui étaient à 700m voire 800m de la berge sont aujourd’hui complètement perdues. Nous devons donc agir pour freiner ces manifestations.
Justement, vous pensez que pour corriger le tir, il faut aller au reboisement intensif. En quoi les arbres peuvent-ils aider à freiner ces effets ?
Notre pays le Bénin en l’espace de 35 ans a perdu 48% de ses forêts denses. Ce qui fait qu’aujourd’hui la surface de forêt que nous avons fait à peine 0,29% de la superficie de notre pays. Une telle situation est de nature à provoquer de graves dégradations physiques, des vulnérabilités accrues des écosystèmes face aux changements climatiques si rien n’est fait.
Les arbres représentent une solution incontournable dans la mesure où de façon générale :
- Les plantes chlorophylliennes réalisent le phénomène de la photosynthèse qui est l’utilisation de l’eau du sol, des sels minéraux et du gaz carbonique en présence du soleil pour fabriquer des matières organiques et rejeter l’oxygène dans la nature. Ces plantes, en jouant ce rôle débarrassent l’atmosphère du dioxyde de carbone (CO2) qui est un gaz à effet de serre, responsable du changement climatique. Cela veut dire que les endroits où vous avez beaucoup de plantes vous avez moins de CO2 et donc il y a épuration de l’environnement et vous avez plus de l’oxygène dont nous avons besoin pour vivre.
- Les arbres servent de système de freinage de la vitesse des vents. Ainsi les dégâts des vents violents sont évités ou amoindris dans une zone où il y a beaucoup d’arbres
- Quand les arbres sont quelque part il y a de l’ombrage. Un microclimat alors se crée caractérisé par une température relativement douce, une humidité de l’air. Ce qui sert d’approche de solution aux endroits où il fait extrêmement chaud. Donc quand les arbres sont quelque part ils créent des conditions propices à la vie
- Les arbres jouent un grand rôle dans l’équilibre du cycle de l’eau. En ce sens que le constat est clair : dans les régions désertiques du sahel, il ne pleut pas tout simplement parce qu’il n’y a pas d’arbres. Les endroits où il y a beaucoup d’arbres il pleut beaucoup. Au Cameroun et au Gabon vous avez la forêt équatoriale, donc il pleut beaucoup. Parce que l’arbre a cette possibilité avec ses racines d’aller tirer l’eau du sol et par évapotranspiration, envoyer cette eau sous forme de vapeur dans l’atmosphère pour constituer des nuages. Si nous voulons continuer à vivre sur la terre dans de meilleures conditions il va falloir reboiser.
- Aussi, lorsque les arbres sont quelque part, ils fixent le sol avec leurs racines. Les racines maintiennent sur place le sol et là, ce dernier n’est plus nu. Quand un sol est couvert de gazon, il peut pleuvoir le sol va rester sur place. Pareil pour un sol couvert de végétation. Mais lorsque le sol est nu, le sable étant meuble, ils sont sujets au mouvement du vent et à l’action de l’eau. Donc plus vous reboisez les berges plus vous fixez le sable, plus vous assurez une vie au cours d’eau qui passe par là et qui ne sera pas comblé.
- Enfin, les arbres de par leurs vertus interviennent dans le traitement des maladies. On parle de la médecine traditionnelle.
D’où promouvoir le reboisement intensif afin de lutter contre les effets pervers des changements climatiques.
Avant on nous enseignait que le désert est au Sahara. Aujourd’hui le désert est déjà à Malanville, le désert est à Kandi, à Gogounou, pour ne pas dire qu’il est déjà au Bénin. Nous avons intérêt à tout faire pour que le Bénin redevienne un pays vert pour pouvoir lutter contre les effets pervers des changements climatiques.
Quelles sont vos suggestions pour que le Bénin gagne ce combat ?
La première à l’endroit de nos autorités, surtout nos députés. Je voudrais leur demander de voter une loi qui va demander que chaque naissance soit matérialisée par un arbre. C’est-à-dire que systématiquement lorsque l’enfant naît dans une famille il faut mettre en terre un arbre, l’entretenir afin de pouvoir dire après : « cet enfant-là c’est cet arbre qui matérialise son jour de naissance ». On ne va pas seulement s’arrêter à la naissance. Lorsque nous fêtons des événements heureux (mariage, communion, confirmation voire des réussites à des examens) nous devons pouvoir les matérialiser par des arbres. C’est très important.
La deuxième suggestion c’est à l’endroit de la société civile (les Ong). Je voudrais leur dire qu’aujourd’hui nous devons changer notre cadre de vie, notre environnement en innovant. Ces associations peuvent donc travailler à organiser des concours : l’école la plus verte, le marché le plus vert. On peut même aller à des compétitions : parmi les 13 arrondissements de Cotonou lequel est plus vert ? Cette concurrence fera que les chefs village, les élus locaux vont vraiment reboiser, sachant que si leur circonscription administrative est sélectionnée peut-être que c’est 2 millions comme récompense. C’est une stratégie pour amener tout le monde à s’intéresser à la résolution des problèmes des changements climatiques. Des résolutions vont passer obligatoirement par le reboisement intensif.
J’ai toujours dit que nous avons hérité de nos parents une terre habitable et vivable. Nous avons la lourde mission de laisser aux générations futures une terre habitable et vivable.
Propos recueillis par Sêmèvo B. AGBON