Dans la tradition béninoise, l’infidélité chez la femme est un sacrilège. Nos aïeux ont alors mis en place tout un système mystique pour la dénoncer et la punir. Des siècles après la colonisation de l’Afrique, ces dispositions traditionnelles ont-elles pu résister à la modernité ? Quels regards les jeunes portent-ils sur elles ? Dans ce reportage, des témoignages sur une tradition intransigeante en matière de protection du mariage et des mœurs.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
Djigbé-Agué, commune de Zè. Nous allons à la rencontre de deux chefs de collectivités, gardien des temples de la tradition. Théophile Houédénou, un septuagénaire nous a reçu en premier. « Dans notre famille, commença-t-il, le vodoun Bossikpon veille sur les femmes. Il ne se révèle qu’à celle qui a commis l’adultère ». Ainsi, « dès lors qu’une de nos femmes dit avoir vu un ‘’kluitô’’, c’est qu’elle a découché ». Timothée Sodjo, le second sage qui nous a accueilli, relate une situation similaire dans sa famille.
Après des jours de recherche, nous finissons par tomber sur un témoignage frappant. Celui d’un homme marié. Lui et sa femme ont scellé leur union à l’Église. Trois enfants en sont issus. Puis un jour, le malheur arriva par une mésentente qui a duré environ trois semaines. Jacob, le cocu raconte : « C’était un vendredi soir. A mon retour du collège, je vis ma femme courir dans tous les sens dans la maison. Son corps ruisselait de sueurs, son rythme cardiaque était accéléré. Elle s’était même blessée au genou. Nos enfants pleuraient. J’accourus vers ma femme et la retins. Qu’est-ce que tu as ? ai-je demandé instamment. Elle finit par déclarer en soupirant qu’elle voyait un « kluito » (revenant) la pourchasser. J’ai compris du coup que ma belle Adèle « avait mis ses pieds dans la brousse » (tromper son mari avec un autre homme). Dans ma famille, lorsqu’une femme en arrive là, il n’y a pas deux raisons : c’est qu’elle a couché avec un autre homme ».
La suite, Jacob confie que voyant son honneur en péril (il est un cadre de l’administration publique) il a enfermé sa femme, lui a rasé la tête et lui a donné un bain comme pour la purifier en solo. « Hélas ! ça n’a pas marché. Elle continuait de revoir le revenant qui n’est rien d’autre que notre ancêtre. J’étais donc obligé de l’emmener au village pour confier la situation aux personnes ressources de la famille qui s’en chargent. C’est donc eux qui l’ont purifié. Après j’ai repris ma femme comme je l’aime toujours, malgré tout ».
« Ouslasla »
Comme chez Jacob, dans certaines familles ‘’souples’’ des rituels dénommés ‘’ouslasla’’(purification) sont prévus dans de tel cas pour restaurer la femme infidèle afin qu’elle continue à vivre avec son mari. Comment se passent-ils, ces rituels ? Nestor Kintohou est un sage du clan Ganmin de Sèhouè. Il juge cette question de trop poussée, trop curieuse. « Ça reste un secret », nous a-t-il objecté. Mais face à notre insistance, il a fini par répondre de façon laconique : « Avec quelques tantes, on conduit l’Infidèle à un dépotoir d’ordures vers 5h ou 6h. On lui enlève notamment ses perles, soutien-gorge, slip, boucler d’oreilles… » Et d’ajouter que s’il arrive que le mari soit informé et ne dénonce pas sa femme, le châtiment des ancêtres (la mort) c’est sur lui qu’il va retomber.
De nos investigations, nous découvrons que par contre, dans d’autres familles, pas de pardon pour la femme infidèle. Chez les Sodjo de Djigbé-Agué par exemple, cette femme « dégage ou elle meurt », a tranché Timothée Sodjo. « Si après avoir commis le forfait elle s’en aille librement, aucun mal ne lui arrivera », mais « si jamais elle reste dans la maison et donne même à boire à notre fils (son mari), elle mourra et rien ne pourra la sauver. C’est ainsi et ce sera ainsi de génération en génération », a-t-il insisté.
Intransigeante…
Dans la tradition, infidélité conjugale ne signifie pas forcément qu’on ait accompli l’acte sexuel avec un autre homme. C’est bien plus rigide que ça. Un simple geste, une petite erreur, une maladresse peut déjà relever de l’infidélité conjugale. Pour preuve, chez les Ganminou (Ayatô) à Sèhouè, « Une femme mariée ne pouvait pas s’asseoir à côté d’un autre homme de sorte que leurs corps se touchent. Donc elle ne peut prendre un taxi. Aussi, une de nos femmes qu’un autre homme surprend en train d’uriner est déjà infidèle aux yeux des ancêtres », a témoigné Nestor Kintohou. Cette rigueur, témoigne-t-il, a même donné une « mauvaise réputation » à leur clan. « Nos jeunes garçons trouvaient difficilement de femmes à Sèhouè. Nous avons dû diluer certaines choses. Les enfants d’aujourd’hui sont trop maladroits et peu respectueux du sacré. Devons-nous les regarder périr tout le temps ? Non ! Ce sont nos enfants », a-t-il récapitulé.
« La femme infidèle peut causer la mort de son mari »
Jacques Anato est étudiant en géographie à l’Uac. Il a rejoint son oncle au Bénin après l’obtention de son baccalauréat en Côte-d’Ivoire à vingt ans. Né et élevé au pays de Félix Houphouët-Boigny, il n’a jamais imaginé, en ce XXIè siècle, qu’une tradition serait encore aussi jalouse, aussi rigoureuse quelque part sur la planète. Nous sommes en 2015, raconte-t-il, lorsqu’au cours d’une douce discussion, il a sauté au cou d’une femme mariée avec qui il très habitué. « Comme piqué par un scorpion, elle sursauta et se mit à pleurer : « Ô ma vie ! Tu m’as salie », commença-t-elle par se plaindre. J’étais hébété. L’assistance s’en était prise à moi. On me reprocha une bêtise. Plus tard certains m’ont défendu et reconnu que mon acte n’était aucunement dans un mauvais dessein. Par la suite, il y a eu des réunions. Mon oncle a supplié en mon nom. Il a failli acheter des moutons pour une cérémonie de purification. Enfin ! lorsque tout fut heureusement apaisé, il m’a sermonné en aparté : « Ici, ce n’est pas la Côte-d’Ivoire ». Jacques venait ainsi de retenir une leçon pour la vie : « Depuis ce jour-là que j’ai vraiment compris pourquoi les Béninois sont craints à l’extérieur. J’eus envie de retourner en Côte-d’Ivoire mais comme ici c’est ma terre paternelle, j’ai choisi de m’habituer à ces mœurs, ses cultures aussi rigides soient-elles».
Cette rigueur de la tradition est bien fondée, selon Dah Kpéyi, prêtre du Fâ. « La femme infidèle peut causer la mort de son mari. C’est pourquoi dans les familles africaines, les ancêtres montent la garde autour des femmes de leurs petits-fils. Aussi, toutes les femmes qui sont mortes dans la famille pour cause d’infidélité à leurs maris, sont tellement rancunières qu’elles n’admettent pas qu’après elles, une femme du clan commette impunément le même forfait. Pour cela, elles dénoncent aussi, ou administrent la mort à toutes les fautives.» a-t-il expliqué
« Femme des ancêtres »
Autrefois, toute nouvelle femme, dès son entrée dans la famille, est confiée aux ancêtres. Chez les Ganminou, « on la présente au temple des ‘’Assangni’’ (autels sacrés représentants chaque ancêtre mort) et on demande à ces derniers de la surveiller. Une vielle femme (Tangninon) lui récite les interdits de la famille et elle promet les observer. La mariée a aussi l’obligation de citer tous les hommes avec lesquels elle avait eu des aventures. Au cas où elle aurait oublié des personnes, elle va jeter du sable et demander pardon pour le reste », raconte Nestor Kintohou. A défaut, il suffit, dans le cas où le mariage est intervenu en ville pour des raisons professionnelles ou autre, qu’on envoie une tante ou un oncle aller faire à la mariée, le point des interdits de la famille de son mari. C’est un rituel qui connecte la femme aux réalités de sa nouvelle famille », renchérit Théophile Houédénou. C’est pourquoi, ont-ils conclu, au Bénin on n’épouse pas seulement un homme, on épouse aussi toute sa famille, y compris ses parents défunts qui ont dès lors les yeux sur vous.
Comme beaucoup de jeunes filles, Alvine A., étudiante en agronomie ne veut pas ‘’être la femme d’un ancêtre’’. « Je ne vais jamais me marier dans une famille où tu dois citer tous tes ex, même si c’est 100F tu as reçu de quelqu’un. Quand même ! quelle dignité tu auras encore dans cette famille ? », s’est-elle insurgée, révoltée. Elle croit connaître les régions du Bénin où « ces genres de traditions rétrogrades », comme elle les qualifie, sont encore vivantes. Pour Ella K., une autre étudiante, 26 ans, qui confie être allée deux fois seulement au village, « C’est le mariage religieux ou rien ».
Mais les sages recommandent aux jeunes de souscrire, à côté du mariage chrétien, aux prescriptions traditionnelles en matière de mariage. Cela peut contribuer à la consolidation des couples. Car, « la fuite de l’endogène fait que beaucoup d’hommes meurent à cause de l’infidélité insoupçonnée de leurs femmes », soutient Dah Kpéyi.
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Merci pour ce manifeste qui expose les vertus de notre tradition. Merci pour ce travail considérable. Merci au journaliste Oscar Agbon. La question de la fidélité, surtout dans le parfum des nouvelles religions , ne porte plus . Nous espérons le ” Doguicimi ” , ce culte de nos mères.