Home Actualité Entretien exclusif avec Antoine Chacran, expert en géopolitique : « Ce qui se passe au Mali est une question de rapport de force »

Entretien exclusif avec Antoine Chacran, expert en géopolitique : « Ce qui se passe au Mali est une question de rapport de force »

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
0 Commentaire

Neuf mois après le renversement du président Ibrahim Boubacar Keita, le destin du Mali est maintenant aux mains du colonel Assimi Goita auteur du coup d’État. Ce dernier a été investi président de la Transition après une courte intermède civile à la tête du pays. Faut-il faire confiance à la junte au pouvoir pour voir ce pays sahélien unit et rayonnant. L’expert en géopolitique et géostratégie, Antoine Chacran est en tout cas optimiste. Il croit que le nouvel homme fort peut favoriser la restauration et la consolidation de la paix et de la stabilité face au terrorisme.

Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN (Coll.)

Bénin Intelligent : Quelle appréciation faites-vous de la crise politique actuelle au Mali ?

Antoine Chacran : Quand on fait recours aux récents événements, il y a deux paramètres sur lesquels sont comprimés les ficelles de la crise malienne. En premier lieu, il y a un disfonctionnement systémique de la classe politique interne. Et cela se traduit par l’incohérence répétitive qui gangrène l’ensemble de la classe politique du pays. En second lieu, il y a la Russie qui aujourd’hui pense que l’époque coloniale est révolue et scande aussi le fait que chaque pays étant acteur clé du système international a l’obligation de discuter de ses prérogatives avec qui il souhaite. Par conséquent, le Mali veut compter sur l’appui de cette puissance et mettre fin à la gondole de pénétration extérieure qui fragilise les composantes des politiques internes de son État.

L’influence des mouvements djihadistes, fait-elle partie des facteurs qui perturbent la quiétude du Mali et de ses habitants ?

Il est évident que l’influence des mouvements djihadistes, a un impact sur la quiétude du pays. Mais d’un autre côté, il y a l’incapacité des autorités maliennes à consolider l’effort de paix ; ce qui empêche les Maliens d’être à l’affut d’une stabilité.
Peut-on espérer un recul du terrorisme dans les pays du G5 Sahel avec la disparition du chef de Boko haram Aboubakar Shekau ?
Pour l’heure, on ne peut crier victoire. Parce que, quand on parle de mouvement ou de groupe terroriste, il est question de ramification régionale et internationale. Il est vrai que, quand le leader disparait, les disciples deviennent fragilisés. Tout juste parce qu’ils n’ont plus de boussole capable de les galvaniser. Du coup, ils sont affaiblis et touchés. Toutefois, il faut quand même être prudent et se rappeler que c’est un mouvement qui a une ramification, et qui est capable de poser des actes attentatoires un peu partout dans la sous-région. Une simple révolte peut paralyser tout le Sahel. D’où la mort de leur leader d’une part n’est pas en quelque sorte un évènement dont il faut se réjouir totalement, bien que d’autre part ça peut être considérée comme une lueur d’espoir pour le futur des pays touchés par le phénomène de terrorisme dans la zone.

Des ressortissants maliens vivant au Bénin affirment que la crise malienne est la résultante de la politique d’ingérence de la France. En tant qu’expert en géostratégie, êtes-vous du même avis ?

Il n’y a pas de preuve tangible pour dire de la France, qu’elle soutien tel mouvement nationaliste ou tel mouvement terroriste. Mais une chose est certaine. Lorsqu’il y a des groupes terroristes ou djihadistes qui détiennent des armes lourdes et qui sont capables à même d’affronter l’armée régulière, on peut se poser des questions telles que : d’où proviennent les armes ? Qui est-ce qui les financent ? Qui sont les individus qui contournent la vigilance des États pour leur fournir des munitions et les artilleries lourdes ? Alors que tout le monde sait que le Mali ne produit pas des armes, donc cela ne peut que venir de l’Occident. Mais quel pays de l’Occident envoie des armes aux terroristes pour semer la zizanie ? C’est l’équation à plusieurs inconnues. Par conséquent, le mieux serait qu’on n’indexe personne et en aucun cas un État.

Pensez-vous que le colonel Assimi Goita à la carrure politique et idéologique qu’il faut pour conduire la transition à terme, et aussi pour faire face au terrorisme ?

Oui, j’en suis convaincu. Il pourra gérer. De toute évidence, les militaires au pouvoir ont une sorte de manœuvre plus efficace que les civils. Car ce sont des spécialistes, ils maîtrisent le terrain et ils savent comment déployer plus de force nécessaire pour contrecarrer les mouvements terroristes. L’exemple du Tchad avec le feu maréchal Idriss Deby constitue une preuve. Donc, l’arrivée au pouvoir des forces de l’ordre peut un tant soit peu dissuader les terroristes sur le terrain et permettre au Mali de retrouver la stabilité et la paix.

Avec Choguel Maïga nommé premier ministre, peut-on dire qu’une partie de la société civile est aussi associée dans la gouvernance ?

Bien évidemment, il y a là ce qu’on appelle la gestion participative. Le M5 est un mouvement inclusif. Il réunit la quasi-totalité des poids lourds des partis politiques maliens. Alors, si le nouveau gouvernement a pu introduire et inclure un leader du mouvement du 5 Juin dans son système, on peut dire que l’envie de restructurer le système politique du pays est au cœur du programme des militaires de la junte. Notons aussi que par cet acte, une stabilité dans le pays peut être possible d’ici-peu.

Que comprendre par sanction diplomatique ?

C’est toute procédure brandie par n’importe quelle institution ou pays à l’endroit d’un pays pour limiter ses marges de manœuvres sur la scène internationale. Aujourd’hui, on voit concernant la situation malienne que la France, l’Union européenne et même l’instance sous-régionale Cedeao ont décidé de façon unilatérale de sanctionner le Mali. La nouvelle réalité est que cela va contraindre le Mali dans ses marges de manœuvre au niveau international en apport économique, militaire et en apport technique. Toutefois, dans la mesure où les autorités actuelles sont conscientes de la situation interne des crises qui secouent le pays depuis 2012, même s’il y a sanction, leur volonté doit être ferme pour conduire le pays vers de nouvelles perspectives.

Quelles autres conséquences peuvent toucher le Mali toujours résultant de ces sanctions diplomatiques ?

Généralement, lorsqu’il y a sanction diplomatique, les conséquences néfastes sont de haute envergure. Elles peuvent être de plusieurs ordres, économiques, politiques, techniques, etc. Par exemple, les partenaires techniques et financiers peuvent suspendre momentanément ou de façon définitive leurs appuis. On peut également obliger ou même surveiller les déplacements à l’intérieur des autorités du pays sanctionné. Il peut même être question de geler les comptes des politiciens et des autorités du pays à la banque.

Une sanction diplomatique n’est-elle pas contournable ?

Comme aujourd’hui nous sommes dans une logique de globalisation des économies et de corrélations étroites des activités ; les sanctions, même si on peut les contourner quelque part, restent des embûches à affronter. Pour être plus clair, oui on peut les contourner, et non on ne peut pas les contourner. Car ça dépend aussi des sanctions. Celles qui sont contournables se caractérisent souvent par le fait que l’on connaisse exhaustivement ceux qui sont les partenaires financiers et techniques du pays dont il est question à l’échelle internationale. Parce qu’une chose est certaine, tous les acteurs politiques ont des partenaires sur la scène internationale qui sont leurs parrains.

Quelle appréciation faites-vous principalement de la sanction provenant de la Cedeao ?

La Cedeao est bien dans sa ligne. Celle bien évidemment de permettre à l’ensemble des Etats membres de respecter les principes auxquels tous ont répondu. Donc les sanctions de la Cedeao viennent alerter le Mali pour leur dire « attention !» et leur rappeler que nous avons un canevas qui nous permet de fonctionner dans notre espace régional. Maintenant, ce n’est pas parce qu’il y a une feuille de route, et un canevas que la Cedeao fera la sourde oreille par rapport aux situations internes que vivent les Maliens. Donc même si la Cedeao, forte de ses ambitions, de ses principes, et de ses objectifs estime que le Mali a violé ses principes de base, elle doit aussi bien évidemment avoir une oreille attentive pour écouter les différents acteurs à divers niveaux afin d’agir dans le sens des retrouvailles de la paix ainsi que de la stabilité dans le pays.

Comment pourrait-on justifier les sanctions venant de tout bord à l’encontre du Mali alors que la gouvernance au Togo, en Côte d’Ivoire, en Guinée de Alpha Condé et au Tchad suscite de vives polémiques ?

Les réalités dans ces différents pays et au Mali ne sont pas pareilles. Aussi, les circonstances ne sont pas les mêmes. En Côte d’Ivoire, en Guinée et au Togo, il y a l’existence d’un code électoral et démocratique. Même si d’aucuns estiment qu’il y a incohérence de l’ordre démocratique, notons que le cas du Mali est plus spécial. Au Mali, il y a un coup de force donc c’est deux choses, comme on le dit vulgairement c’est deux poids deux mesures. Donc deux situations différentes.

Lire aussi

Laisser un commentaire

A propos de nous

Bénin Intelligent, média au service d’une Afrique unie et rayonnante. Nous mettons la lumière sur les succès, défis et opportunités du continent.

À la une

Les plus lus

Newsletter

Abonnez-vous à notre newsletter pour être notifié de nos nouveaux articles. Restons informés!