La construction d’une société inclusive dépend d’une éducation inclusive. C’est le combat quotidien des acteurs du système éducatif béninois. Des défaillances repoussent l’objectif visé. Des handicaps sévères comme chez les non-voyants, nécessitent des moyens colossaux pas toujours promptement disponibles.
Par Koladé Raymond FALADE
Isidore N. Ahouangbato est un non-voyant tardif. La cécité l’a rattrapé alors qu’il était en année de maitrise en Sciences économiques et de gestion à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac). Impossible de poursuivre ses études, il a été admis au Centre de promotion social des aveugles (Cpsa) de Sègbèya à Cotonou après avoir passé quelques années à la maison. Suite à la réadaptation, il a décidé de reprendre les études en s’inscrivant, cette fois-ci, en Kinésithérapie puisque là-bas « c’est le touché ». Il a déposé son dossier et l’inscription a été favorable. Malheureusement, il ne l’a su que deux mois après le démarrage des cours. « L’année qui a suivi, j’ai constitué un nouveau dossier. Ils ne m’ont rien dit. J’ai été voir la vice-doyenne de la Fss qui m’a dit d’aller voir le coordonnateur de la Kiné. J’ai appelé celui-ci pour prendre rendez-vous. C’est là qu’il me faisait comprendre au téléphone, que je ne peux pas suivre cette formation puisque je suis un handicapé visuel, qu’il me faut un dispositif tout au long de ma formation or eux n’en ont pas les moyens. Il m’a alors orienté vers les pays comme la Côte d’Ivoire, le Niger », raconte Isidore N. Ahouangbato. Aujourd’hui répétiteur de maison et encadreur d’enfants voyants comme non-voyants en mathématiques, Physiques, chimie et technologie (Pct) et en Anglais, il pense que son droit à l’éducation a été bafoué et crie à la discrimination. Sa situation n’est pas isolée. Plusieurs jeunes malvoyants ou amblyopes étudient dans des conditions difficiles ou n’arrivent simplement pas à réaliser leurs rêves du fait de leur handicap.
Depuis 1983, le Bénin a mis en place à Cotonou, un centre de prise en charge des non-voyants, tardifs ou non. Ce centre en accueille de tous les âges, grand comme petit pour leur prise en charge, la réadaptation et l’éducation, explique Elvire Ranti Doumatey, enseignante spécialisée, cheffe service enseignement primaire, maternel et réadaptation au (Cpsa) à Cotonou. Après le Certificat d’études primaires (Cep), ces apprenants sont envoyés au Collège d’enseignement général de Sègbèya, non loin du centre, pour la poursuite de leurs études jusqu’en classe de Terminale. Dans le collège, les voyants et non-voyants cohabitent. Mais toutes les conditions ne sont réunies pour une tâche facile. « Le premier jour que je suis arrivé au collège, je ne connaissais personne. J’étais avec les amis non-voyants comme moi. Arrivé au Ceg, nous avons reçu un enseignant. Le professeur a écrit au tableau et c’était difficile à recopier », se souvient Juste Agon, élève en classe de 5è au Ceg Sègbèya. Si les cours sont difficiles à recopier, les devoirs de maison, les interrogations et les évaluations semestrielles ne sont pas épargnés. « Quand on nous donne des exercices, si quelqu’un à l’amabilité de t’aider à lire un peu ces documents, tu vas pouvoir le faire. Mais, s’il refuse, tu laisses carrément l’exercice. Il y a des professeurs qui ne savent même pas qu’il y a des non-voyants dans leur salle. Ils viennent et déroulent leur cours simplement. Donc, tu fais exercice, tu ne fais pas, c’est à tes risques et périls », reproche Bouraïma Achamou, élève en classe de 2ndeA. Il ajoute que les voyants qui pouvaient les aider à mieux recopier les cours préfèrent parfois se moquer d’eux. « Il y a des camarades qui vont vous objecter que « (Iya ché ma zé mi do azon mè ma do dicté cours na mè dé” (lire en fon) Ma maman ne m’a pas envoyé à l’école pour dicter le cours à quelqu’un d’autre » Ou « Mes parents m’ont interdit de dicter le cours à une personne handicapée visuelle parce qu’elle va me contaminer », épingle-t-il.
Or, la cécité n’est pas que l’affaire des autres, c’est l’affaire de tout le monde, insiste la cheffe service enseignement primaire, maternel et réadaptation au Centre de promotion sociale des aveugles de Sègbeya (Cpsa). Pour Elvire Ranti Doumatey, « il n’y a pas une société à part pour les non-voyants. Ils sont appelés à vivre dans la société. Ils ont besoin d’être accompagnés, d’être aidés. Eux aussi peuvent aider. Ils ne sont pas que des colis qu’on doit transporter, non ! » a-t-elle défendue.
Situation non reluisante
La situation aujourd’hui n’est pas assez reluisante pour la prise en charge des personnes handicapées au niveau de l’éducation, signale Nansirou Domingo, président de la Fédération des associations de personnes handicapées du Bénin (Faphb). Alors que, soutient-il, une société inclusive passe par une éducation inclusive. Plusieurs facteurs empêchent le Bénin de se mettre sur les rails. Il s’agit surtout, évoque-t-il, des ressources humaine et financière insuffisantes. « Il faut adapter l’école au handicap. C’est-à-dire que l’éducation doit être adaptée à l’enfant et non adapter l’enfant à l’éducation », martèle-t-il.
L’État béninois ne manque pas de se battre pour l’accès de tous les citoyens à l’éducation. D’abord, rappelle le directeur départemental de l’Enseignement secondaire technique et de la formation professionnelle (Ddestfp) Atlantique, Dr Edmond Houinton, la Constitution du Bénin stipule que tous les citoyens ont droit à l’éducation. À cet ancrage constitutionnel de l’éducation inclusive, s’ajoute la ratification de tous les accords de l’Unesco. « Aujourd’hui, lorsque l’État construit, on fait leur rampe notamment pour les handicapés moteurs, les handicapés visuels etc. » Certes des défis restent aujourd’hui à relever pour ce qui est du renforcement des capacités des enseignants dans le domaine, reconnait Edmond Houinton. « À la direction départementale, nous faisons un effort pour demander aux chefs d’établissement de tout faire pour que ces apprenants portant un handicap soient plus ou moins bien traités », partage-t-il.
Polémique autour des écoles spécialisées
La cohabitation entre voyants et non-voyants à l’école n’est pas chose aisée. Les conditions d’étude et de travail ne sont pas réunies. Le manque de matériel didactique et la quasi inexistence d’une pédagogie adaptée à ces établissements mixtes font également défaut. Face à cette situation, certains proposent la création d’écoles spécialisées vu les spécificités de chaque catégorie. L’idée ne passe pas chez les responsables d’associations de personnes handicapées ainsi que les organisations de défense de leurs droits. Elle n’est pas la bienvenue dans un contexte où toutes les nations prônent une société inclusive. Selon le président de la Faphb, Nansirou Domingo, « ensemble, on peut avoir une éducation de qualité ». Il soutient que l’inclusion scolaire permet à tous les enfants de comprendre la différence de leurs pairs. Elvire Ranti Doumatey, l’enseignante spécialisée, au Cpsa de Cotonou approuve cette position. Pour elle, une société inclusive doit passer forcément par une éducation inclusive. L’enfant doit être libre d’aller dans n’importe quelle école de sa localité quel que soit son handicap. Il revient à l’État de prendre ses dispositions en dotant les écoles de la maternelle jusqu’à l’université des outils nécessaires qui tiennent compte des spécificités de chaque apprenant. Ainsi, lorsqu’il finira ses études et qu’il voudra travailler, « on ne va pas hésiter à le prendre parce qu’on le connait déjà », souligne-t-elle. Le Ddestfp/Atlantique Dr Edmond Houinton soutient le contraire. La meilleure solution pour une éducation de qualité consistera, pense-t-il, à créer des écoles spécialisées pour les personnes porteuses d’un handicap “sévère”. Le faire, n’est pas de la discrimination, précise-t-il. Au contraire, cela permettra à ces apprenants de mieux assimiler les cours. « On ne saurait mettre des apprenants portant un handicap sévère, les malvoyants, les amblyopes et autres avec des apprenants “normaux”, jamais…», a-t-il réfuté. Toutefois, il a fait observer que celui qui porte un handicap simple peut rester avec la masse et fréquenter les mêmes écoles, rester dans la même classe que les apprenants non handicapés. A titre d’exemple, un handicapé moteur peut rester avec les autres.
La question de l’éducation inclusive reste une préoccupation importante pour les différents acteurs du système éducatif béninois. Les avis sont divergents sur la méthode à adopter au regard des spécificités et du type de handicap. Néanmoins, ils sont unanimes sur l’urgence et la nécessité de rendre l’éducation accessible à tous.