Un spectacle pas comme n’importe lequel. C’est ce à quoi les usagers de l’espace culturel Le Centre ont assisté, samedi 11 février à Lobozounkpa. À travers ‘’Trône vide’’ de l’Ucae -Union culturelle et artistique des étudiants de l’Uac, ce sont les intrigues politiques dévastateurs en Afrique qui ont été mis en scène et habilement dénoncés. Une représentation assaisonnée à l’humour et à la démonstration de la richesse musicale, vestimentaire et culturelle qui s’achève sur une note d’exhortation à l’unité vis-à-vis de la destinée du berceau de l’humanité.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
À la mort de leur père, un « héritage d’uranium » va hanter la quiétude du pays. Chacun des deux frères se réclamant légitime propriétaire. Sur un plateau simulé, une interview avec les deux protagonistes situe le spectateur au Tchad où le metteur en scène prend la mort du Maréchal Idriss Déby Itno pour socle. Un oncle entre en scène. « Vous allez vous entretuer autour de cet héritage qui sera témoin de votre mort un jour ? », leur demande-t-il. Il fit alors asseoir autour de lui chaque camp avec ses partisans. « Je vais vous raconter une histoire. Il était une fois‚ un roi… »
Le ‘’Trône vide’’ est donc une tragique histoire racontée à une jeune génération divisée. L’oncle qui maintient la mémoire de « ce passé éloigné mais qui ne doit pas être méconnu », espère que les jeunes y trouvent la force nécessaire d’aplanir leurs divergences. Sinon, hier comme aujourd’hui et jusqu’à demain, les divisions ne conduisent qu’au port de la mort, le fratricide. Tayé et Keyi, uniques fils du roi Unoka, en sont la parfaite illustration. Qui va succéder au défunt roi ? Écheveau pas aisé à démêler ! Puisque les deux sont des jumeaux (Hoxo). En choisissant ces êtres particuliers et extraordinaires aux yeux de la tradition africaine, le metteur en scène Germain Iroko Ouédraogo Oussou a visiblement tout complexifié. « Moi je suis Jumeau et dans notre culture ici, on ne peut pas traiter les Hoxo de façon inégalitaire. On ne peut pas donner un à l’un et deux à l’autre. Autrement les jumeaux n’ont pas droit au trône. Voilà que le roi n’a que deux fils après dix ans d’infertilité et qui sont des Hoxo. Voilà que le trône est un et indivisible. Partant de cette métaphore nous nous sommes dit : et si les jumeaux devaient se disputer un trône, qui va laisser qui s’asseoir ? L’aîné ou le cadet ? », questionne-t-il. Et de résumer que « ‘’Trône vide’’ soulève les questions politiques de l’Afrique. Les questions politiques, les rapports entre gouvernements, les capitalistes, les politiciens… »
Les traditions, encore utiles aujourd’hui
Le spectacle offre en filigrane une belle défense des valeurs traditionnelles que d’aucuns considèrent comme rétrogrades dans un monde qui se prend orgueilleusement pour moderne. Le Théâtre présente par exemple le Fâ, cette géomancie du golfe de Guinée comme une voix de conciliation non écoutée. En ce sens que lors d’une consultation, le Fa-Dù révélé attribue le trône à Tayé. L’autre jumeau, soutenu par un Sage cupide de la Cour, proteste. « Ce n’est pas parce que ton frère jumeau est choisi que tu es écarté. Tu peux être son premier ministre »‚ apaise leur mère, la reine. « Que je sois foudroyé si je travaille sous mon frère », jure-t-il. S’ensuivent les insultes : « Frère truqué. Cancre ». Le verdict du Fa est contesté. Même le Bokɔnɔ a essuyé les injures les plus abjects. On passe au duel. Dans un jeu de lumières où le noir, symbole du deuil, et le rouge préfigurateur du danger s’alternent, Kayé réussit à tuer Tayé. Pleurs et fièvre s’emparent de la Cour. Le public lui, est pris de frissons. Le meurtrier s’installe dans le trône. Mais il n’aura pas de règne. Bientôt une vengeance verticale vient lui infliger le même sort fatal. « Tu as tué ton frère juste pour hériter du trône que tu ne mérites pas. Je vais t’ôter la vie ! ». La voix grave agite l’espace puis « Vaaaaaaa ! », Kayé tombe lui aussi, raide mort. La voix qui résonne ici et là dans le public pour lancer les différents épisodes, avait prévenu que « Des humains disciplinés manquent à notre monde. On veut braver le monde‚ les lois ; on veut montrer que Fa n’a plus sa place ».
La reine est inconsolable. Elle sait que les Sages qui ont attisé la division entre les Hoxo vont à présent s’emparer du trône. Elle les devance. « Si ces seins qui ont vu ces enfants naitre sont les mêmes à les voir mourir, je maudis ce trône. Quiconque essaiera d’y s’installer ira dans l’au-delà sans argent de transport »‚ décrète-t-elle en pleurs.
La rétrospective historique s’achève. Public et acteur redescendent dans le présent. L’oncle remonte sur scène et confirme que « jusqu’à ce jour le trône est resté ainsi ». Mais une histoire imaginaire de trône face à une querelle autour d’une réserve d’uranium, quel rapport ? interroge les deux frères du président défunt. L’oncle, loin d’être contrarié, leur renvoie une autre question : « Voulez-vous mourir comme les deux princes jumeaux ? » Question délicate ! Les deux ont-ils pris enfin conscience de la dangerosité de leur litige autour de la ressource ? Les spectateurs les voient se mettre en aparté. « On investit dans l’uranium ensemble. On partage les recettes 50%-50% », propose l’un après concertation avec ses partisans. L’autre acquiesce également au bout d’un moment de cogitation. « C’est ce qu’il fallait pour notre continent », exulte la scène. « Les puissances sèment la division pour nous exploiter. Bientôt des Soudans‚ des Mali‚ des Burkina Faso et …des Tchaourou… ? Arrêtez vos histoires d’opposants ici‚ patriotes là-bas‚ de terroristes‚ de kamikaze. Un continent qui n’avait rien à envier aux autres est devenu quémandeur potentiel de génuflexion », les mots touchent le public devenu silencieux.
Décor expressif
Dans ‘’Trône vide’’, aucune place au superflu. Des signes de Fâ gravés sur un fond noir, la calebasse, le ‘’asɔgwe’’ (sorte de castagnette), les parements des acteurs et ce tableau présentant des cases en paille avec des oiseaux voltigeant, les proverbes et panégyriques dithyrambiques…tout rappelle et ressuscite excellemment l’univers initiatique, monarchique et écologique de l’Afrique ancienne. La chorégraphie qui en rajoute à la beauté du spectacle est l’œuvre de Ferdinand Adanvessodé. Les danseuses et danseurs, sur le rythme yoruba ‘’bɔlɔjɔ’’ dont l’artiste Zeynab est le porte-flambeau au Bénin ou encore les résonnements mesurés du ‘’Gbɔn’’ rituel, ont fait sensation. Ajouté à leurs riches parements traditionnels, ils ont décroché de temps en temps les applaudissements nourris du public conquis. « On sent qu’un travail a été fait. Il y a beaucoup de mouvements et de vibrations », salue Mawugnon Jean baptiste, élève 2nde C a manqué de mots pour décrire ce qu’il a vécu ou ressenti. : « Je n’ai pas les mots pour décrire mais c’est très beau, magnifique. J’ai aimé la mise en mise. Ils ont un bon talent. »
Tout le travail abattu concours à la délivrance d’un message. « Qu’est-ce que nous voulons ? » Mains dans les mains, la scène répond en chœur « Unité mondiale ! ». L’exhortation, sans doute, est saisie dans le public. « J’ai compris en bref que les querelles entre frères ce n’est pas bon. Il faut savoir écouter son prochain pour partager un bien, il ne faudrait pas que cela nous détruise », avoue Jean baptiste. Diogo Nathanaël, l’historien de formation lui souhaite quant à lui, la réédition de l’exploit théâtral. « J’ai suivi le spectacle et aimé. On sent une préparation. Surtout la chorégraphie, les paroles tout était dans l’ordre. Franchement si on peut avoir des choses comme ça dans l’espace culturel ça nous fera beaucoup plaisir », a voué l’homme élancé l’air très heureux. Fier d’avoir donné de fortes émotions au public, le metteur ne compte pas s’arrêter là.
D’autres sorties sont promises. Mais avant « Nous aimerions vivement que nos autorités aient un regard positif envers ce spectacle », formule-t-il.