Epmb -l’Église protestante méthodiste du Bénin fête 180 ans d’existence et d’évangélisation en 2023. Bien que première église implantée au Bénin (depuis 1843), elle est peu visible et peu influente comparativement à d’autres confessions postérieures. Le Rév. Dr. Sègbégnon Mathieu Gnonhossou, théologien méthodiste‚ professeur de Missiologie wesleyenne à l’Université protestante d’Afrique de l’ouest (Upao/Porto-Novo), président du Mouvement de réveil méthodiste et pasteur consacré dans l’Église méthodiste libre des États-Unis explique. Il dévoile les pesanteurs ayant ralenti l’Epmb ou le méthodisme béninois et avance des solutions de renaissance.
Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON
Bénin Intelligent : Quelles sont les grandes étapes‚ les moments forts à retenir de ce long parcours de l’Epmb ?
Rév. Dr. Sègbégnon Mathieu Gnonhossou : Je ne serai pas trop détaillé ici sinon ce serait un cours sur l’histoire du Méthodisme au Bénin. Mais certains points saillants peuvent être utiles.
La première étape c’est l’arrivée sur terre dahoméenne le 1er janvier 1843 du missionnaire métis anti-esclavagiste Thomas Birch Freeman. C’était au moment où la traite négrière devenue surtout clandestine et en défiance aux lois abolitionnistes battait encore son plein. Très patient à attendre, Freeman rencontra l’autre métis pro-esclavage, Felix de Souza, et plus tard le roi Guezo.
«Le méthodisme étant d’origine britannique, son traitement par les autorités françaises n’était pas de la rosée, ce qui défavorisa les méthodistes.»
En 1850 le roi Guezo donna l’autorisation pour l’implantation de la mission Méthodiste à Ouidah. Dans les années après Guezo, le Méthodisme rencontra des oppositions farouches de la part des successeurs de Guezo et des gouverneurs Français. Ceci devint plus intense quand le Bénin vacilla entièrement vers la France comme puissance européenne colonisatrice. Le méthodisme étant d’origine britannique, son traitement par les autorités françaises n’était pas de la rosée, ce qui défavorisa les méthodistes. Ce furent aussi des années d’un méthodisme vibrant, marqué par des multiplications d’églises sur la base d’évangélisation et d’impacts publics et spirituels réels ressentis par le peuple. On peut estimer cette période entre 1860-1930, des années marquées par une synergie avec le Méthodisme du Nigeria, à partir de Badagry.
À partir de 1930 commencèrent les formations théologiques plus ou moins formelles, et de plus en plus eurocentrées. Mais elles permirent aussi de faire valoir la capacité des autochtones à diriger l’Église, ce qui permit à des Dahoméens d’administrer les méthodistes du Dahomey-Togo. Il reviendra au feu Rév. Harry Yédénou Henry d’organiser le Méthodisme du Togo en une structure indépendante, et ensemble avec celui du Bénin vers l’autonomie en 1993. Sa présidence conduisit l’Epmb à l’autonomie administrative de l’Église vis-à-vis de la Grande Bretagne en 1993. Il présida l’Église autonome jusqu’en 1998. De 1998-2016, le méthodisme fut une dénomination de frères et sœurs en crise jusqu’à sa réunification par l’implication personnelle du président Patrice Talon.
Elle a connu deux crises (la première a donné les méthodistes “Èlèdja” et la seconde a conduit à l’Epmb/Epmbc désormais réunifiées). Peut-on supposer que l’Epmb a suffisamment appris de ces crises et que «plus jamais ça !» à l’avenir ?
Il y en a eu plus que ça. Je peux vous donner d’autres noms d’Églises au Bénin qui sont des émanations de crises mal gérées parmi les méthodistes. Les crises telles que celles auxquelles vous faites référence sont comme des blessures profondes. Ainsi, c’est avec le temps qu’on constate si la chirurgie appliquée et/ou le pansement en cours d’administration ont permis de guérir les blessures.
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Lorsque la réunification a commencé en 2016, nous étions ainsi rentrés dans la phase active de pansement des blessures. Il vous reviendra d’apprécier avec le temps, de loin comme de près, si la plaie est en train de guérir. Certainement que mes collègues pasteurs et autres dirigeants laïcs en charge de l’Epmb—agissant comme des infirmiers et sages-femmes—sont en train de faire les pansements qu’il nous faut. Attendons de voir dans la foi et dans la prière et vous aurez le temps d’en parler au peuple béninois à travers votre journal.
Ça murmure que l’Epmb est “pro gouvernement”. À cet effet on se réfère à ses communiqués aux côtés du Coneb lors des crises sociopolitiques. Votre point de vue.
Il serait indélicat de parler avec assurance sur la base des murmures. Je sais pourtant que mon domaine de spécialisation théologique—théologie politique—me permet d’en parler de manière disciplinaire.
Dans les normes de théologie politique, et eût regard aux cas bibliques et historiques, c’est dangereux pour toute Église ou toute religion de s’allier étroitement avec quelque gouvernement, même si ledit gouvernement fait un très bon travail de gestion de la cité à un instant donné.
La sagesse biblique et historique est que les chrétiens, en tant qu’individus comme entités ecclésiastiques, doivent toujours maintenir une distance critique ou une proximité critique vis-à-vis de tout gouvernement. Distance, quand ils sont largement en défaveur de la doctrine politique ou de l’approche politique du gouvernement en place, mais distance critique dans le sens de l’honnêteté et le sens de justice qui les oblige à apprécier positivement lorsque ledit gouvernement, quoique désavoué, fait quelque chose de bon. Proximité, lorsqu’ils épousent largement ce que fait le gouvernement, mais proximité critique afin de garder leur capacité prophétique consistant à prendre la parole pour dénoncer quelque mal, quelque projet ou pratique déshumanisante à toute personne, qui viendrait du gouvernement dont ils seraient proches.
S’il n’y a pas cette dimension critique vis-à-vis de la chose politique, l’Église ou la religion perdrait sa saveur dans la société et ne jouera plus son rôle prophétique à lui assigner par les textes sacrés. Avec cette approche théorique je vous laisse la charge d’apprécier ce que font Catholiques, Protestants, et les autres.
L’Epmb est peu visible au Bénin malgré qu’elle soit l’aînée de toutes les autres confessions. Comment expliquer cette situation et comment peut-elle s’en remettre ?
Comme je l’ai insinué plus haut, il y a eu, dès le départ, plusieurs pesanteurs y compris ceux politiques ayant milité en défaveur du progrès méthodiste, malgré ou à cause de sa dimension anti-esclavagiste et par suite logique, anticoloniale. Cependant il n’est pas à occulter les tares que traine le peuple méthodiste lui-même pour avoir abandonné certains principes de base et pour n’avoir pas su bâtir proprement sur l’héritage des premiers missionnaires et des premiers autochtones qui avaient travaillé avec abnégation pour le bonheur du peuple béninois.
Devant une telle multiplicité de causes, nous pouvons nous en remettre avec une multiplicité de solutions qui seront d’ordre de gestion administrative, de formation des dirigeants (laïcs et clergés), de personnel adapté aux défis à relever, et de réveil spirituel permettant aux fidèles et dirigeants de quitter l’hypocrisie religieuse pour devenir de « réels chrétiens » au lieu de « presque chrétiens », comme le dirait John Wesley, le fondateur du mouvement méthodiste au 18ème siècle en Angleterre.
C’est surtout sur cette dernière dimension que le mouvement similaire au méthodisme originel que je co-dirige depuis 1998 s’était accentué, quoique reconnaissant désormais l’importance capitale des autres aspects pour une visibilité de la foi chrétienne d’expression méthodiste.
«La sagesse biblique et historique est que les chrétiens, en tant qu’individus comme entités ecclésiastiques, doivent toujours maintenir une distance critique ou une proximité critique vis-à-vis de tout gouvernement.»
Toutes ces dimensions sont importantes en tant que préoccupation distinctement méthodiste parce que l’inculturation est une préoccupation déjà dépassée.
Quoiqu’encore discutée dans les ex-colonies françaises, elle ne fait plus une préoccupation majeure ailleurs. Dans les autres pays, surtout anglophones, la foi chrétienne s’invite plutôt sur la place publique dans le sens de la reconstruction totale de la société.
Par reconstruction totale, il s’agit de contribuer aux débats utiles portant aux redressements des aspects économique, politique, diplomatique, commercial, et même militaire de la société, afin qu’ils deviennent des systèmes au service du bien-être de tous. Telle devrait être la préoccupation majeure du méthodisme guéri et qui cherche à avoir d’impact public. L’inculturation, c’est ramener la barre trop basse.
Merci, pasteur.
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Excellente intervention du Dr Gnonhossou. Bon usage à qui elle profiterait.