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Démocratie en Afrique : Le faux procès 

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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La démocratie en Afrique compte de plus en plus de contempteurs. Les partisans de coups d’État estiment que la remise en cause de l’ordre constitutionnel permettrait de “dégager” des dirigeants corrompus et peu soucieux de la satisfaction des besoins des populations. Mais, ce procès suffit-il à chanter le requiem de la démocratie ? Si la soif de bien-être des populations se comprend, il faut prendre garde de retomber dans l’anarchie, négation de liberté.

Par Arnauld KASSOUIN

Depuis peu, suite aux récents événements ayant fait l’objet d’une couverture médiatique dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, on observe une contestation de la démocratie, sous différentes formes, et par conséquent, de l’abandon de l’État de droit au profit de la légitimité populaire. Ce débat a été alimenté, pendant des heures et des jours, sous différents angles, tant du côté de certains “panafricanistes” que d’intellectuels chevronnés et de simples citoyens soucieux de l’avenir de la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest après le coup d’État du 26 juillet au Niger.

Un sondage d’Afrobarometer alertait déjà de ce que le soutien à la démocratie « a fortement chuté » dans plusieurs pays africains entre 2014/2015 et 2021/2022. Une « tendance inquiétante » causée par la corruption et la mauvaise gouvernance. Selon ce réseau panafricain, 53% d’Africains sont favorables à une intervention militaire si les élus abusent de leur pouvoir.

Si les coups d’État survenus le 19 août 2020 au Mali, le 5 septembre 2021 en Guinée Conakry et le 30 septembre 2022 au Burkina Faso n’ont pas rassemblé autour du retour de l’ordre constitutionnel dans ces pays cités, l’interventionnisme militaire caractérisé, qui se manifeste de plus en plus de la part des chefs d’État de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest, est « le bouc qui sens mauvais » et met mal à l’aise. Mais faut-il pour autant abandonner la démocratie au profit de la volonté populaire ?

La démocratie pleine et entière n’arrive pas toute faite, elle ne tombe pas du ciel, affirme à ce sujet le politologue bénino-canadien Richard Boni Ouorou (2020). Dans le même sens, Gilles Yabi, directeur exécutif de Wathi, déclare sans équivoque que «l’option démocratique, réduite à la réalité de l’exercice de la souveraineté du peuple, ne permettra pas aux pays africains de résoudre les graves problèmes immédiats auxquels sont confrontées leurs sociétés. C’est lorsqu’elle est substantielle, donc solidement ancrée dans les esprits des élites et d’une masse critique de citoyens, que la démocratie peut pleinement montrer ses bienfaits, sa capacité à résoudre les conflits de manière pacifique et à imposer des règles aux différents groupes aux intérêts contradictoires afin de préserver l’essentiel, une certaine idée de l’intérêt général», comme on peut le lire dans l’un de ses articles intitulé «L’Afrique n’a pas besoin de démocratie “kpayo” (2015)».

Objectivement, le problème n’est donc pas la démocratie en elle-même, mais plutôt l’applicabilité des principes qui la fondent. D’ailleurs, la philosophie politique de Platon l’a bien exprimé en disant : «Tout homme est pour tout homme un ennemi et en est un pour lui-même »(Lois, 626c). Est-ce là une des raisons qui explique la crise démocratique en Afrique de l’Ouest francophone ?

«La crise de la démocratie en Afrique de l’Ouest n’est cependant pas un phénomène isolé», recadre Ornella Moderan, analyste des questions politiques et de sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest, dans une tribune publiée sur Afrique XXI. Selon elle, cette tendance est la résultante d’une « tendance mondiale» entre «la concurrence de la démocratie libérale promue par l’Occident et les modèles de gouvernance autocratique qui affichent un certain niveau de performance économique». «La démocratie est le meilleur système politique», objecte Zacharie Sall, professeur de philosophie à Mayotte (France), lors d’un webinaire sur «Conflits en Afrique: Putschs et violences politiques, comment atténuer ces menaces qui pèsent sur la paix ?».

Et de poursuivre, «le problème, ce sont les hommes». Cet avis est partagé par la diplomate de carrière Sanata Elisabeth Lahami. L’intérêt personnel et la mauvaise gouvernance sont souvent à l’origine de l’état dégradé de nos démocraties. Ils contribuent ainsi aux renversements de nos présidents démocratiquement élus, a-t-elle observé.

La démocratie est anti-putsch 

La démocratie elle-même condamne les coups d’État. Parce que la prise du pouvoir par les militaires suppose le renversement illégitime et souvent violent d’un gouvernement en place pour prendre le contrôle du pouvoir politique.

Indubitablement, cela se fait généralement en violant les procédures constitutionnelles et en contournant les voies démocratiques normales telles que les élections. D’ailleurs, « les constitutions africaines, votées lors d’une période de renouveau ou d’adoption de la démocratie, interdisent radicalement les coups d’État » rappelle Julien Assogba, juriste de formation. Même la nouvelle constitution promulguée au Mali le 22 juillet 2023 par voie référendaire indique en son article 187 que « tout coup d’État ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien ». Malgré le fait que le gouvernement l’ayant soumis est issu d’un coup d’État.

Toutefois, le juriste de formation pense « qu’avec l’option démocratique, l’exercice de la force appartient au peuple. Seul le peuple peut exercer sa force diplomatique lors des occasions où il souhaite se faire entendre ».

La démocratie est un système politique dans lequel la voix du “peuple” est prioritaire. De ce fait, Koné Aboubakar Sidik, politiste, estime que « fondamentalement, les coups d’État ne devraient pas trouver de motif légal ou de justification dans les régimes démocratiques ».

Puisque pour lui, la démocratie repose sur trois éléments. « Le premier, c’est l’égalité de tous devant la loi. Sous quel prétexte une personne pourrait-elle estimer qu’elle a raison de prendre le pouvoir par la force ? Le deuxième élément, c’est la participation, ce qui implique la participation de tout le monde au processus de prise de pouvoir. Le troisième élément, qui est le plus fondamental, se caractérise par le respect des règles établies ou préétablies. »

Parfaire

La démocratie n’est pas parfaite. «Si les processus démocratiques ne sont pas encore parfaits, il faut travailler à les améliorer. Mais on ne peut pas permettre qu’un autre moyen, par exemple les armes, soient un moyen de décision, soient un moyen de choix des gouvernants des pays», a justement reconnu le président Patrice Talon à l’issue d’un sommet à Abuja.

Aucun régime démocratique sous les cieux n’est d’ailleurs à l’abri de soubresauts. En témoignent les crises politiques ou sociétales aux Etats-Unis avec les comportements de l’ancien président Donald Trump et la réforme des retraites en France. Nonobstant ces moments de tempête, il n’est passé à l’idée de personne que des militaires pouvaient, dans ces pays, faire irruption sur la scène politique pour déposer le président et s’accaparer du pouvoir.

Sous les tropiques également, le sens de la démocratie ne doit pas déserter les consciences. La démocratie reste à ce jour le meilleur régime politique qui garantit liberté, élection et séparation des pouvoirs. Elle prévoit les mécanismes de règlement des crises qui peuvent surgir et dont le règlement passe par les voies républicaines et non par la force ou la remise en cause du processus.

Si la soif de bonheur des citoyens se comprend, ils ont le droit de sanctionner leurs dirigeants ou de leur décerner un satisfécit en leur renouvelant leur confiance. L’apologie de la violence conduira à coup sûr à la mort de l’État. En effet, si l’on accepte que dans une circonscription électorale, dans une commune, si pour une raison ou une autre on n’est plus d’accord avec le député ou le maire, on peut recourir à la force pour mettre fin à ses fonctions, alors on retombe dans l’anarchie.

Les militaires doivent retourner dans leurs casernes et laisser le jeu démocratique se faire. Au moment des élections, les populations exprimeront leur choix et diront par la même occasion, leur appréciation de l’action politique menée par les dirigeants du moment.

 

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1 Commentaire

COMBEY août 14, 2023 - 6:09 pm

Bonne réflexion

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