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Alliance des États du Sahel

Codjo Orisha : « À moyen terme, l’Alliance des États du Sahel devient une organisation concurrente à la Cedeao » 

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« La création de l’Alliance des États du Sahel a eu…l’assentiment de Moscou »

« Si l’Alliance des États du Sahel devrait avoir une longévité ça dépendra de son succès contre l’insurrection djihadiste »

Le politologue Codjo Orisha note une innovation dans la création de l’Alliance des États du Sahel (Aes) instituée par la ‘’Charte du Liptako-Gourma’’. Il s’agit de son modèle de financement autonome basé sur la contribution des Etats membres. Officialisée samedi 16 septembre, ladite charte a pour objectif « d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes ». Les trois parties -Mali, Burkina Faso et le Niger- y affichent leur engagement à « lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et la criminalité en bande organisée ». La création de l’Alliance des États du Sahel n’est pas anodine, relève Codjo Orisha, au regard du contexte marqué par l’hostilité envers la présence militaire française en Afrique et la menace de la Cedeao d’intervenir militairement au Niger pour rétablir le président déchu, Mohamed Bazoum. Le politologue croit que l’AES est parrainée par la Russie et qu’elle pourrait menacer la Cedeao dans son existence. Entretien 

Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON

 

Bénin Intelligent : La création de l’AES, quelle opportunité aujourd’hui ?

Codjo Orisha, politologue : La création de l’Alliance des États du Sahel (AES) intervient dans un contexte particulier. Le 26 juillet 2023 il y a eu un coup d’Etat au Niger ; le coup d’Etat de trop pour la Cedeao qui a décidé en cas d’échec des négociations d’intervenir militairement dans le pays. Très vite cette menace a suscité une alliance de front entre le Mali et le Burkina Faso qui ont brandi la menace qu’en cas d’intervention de la Cedeao ils répondraient à la Cedeao mais également à tout pays qui soutiendrait cette agression de la Cedeao.

Dans le viseur il y a la France qui a été renvoyée du Mali dès 2022 avec la fin de l’opération Barkhane mais également du Burkina Faso avec la fin du dispositif Sabre en 2023. Actuellement, c’est le Niger qui demande le départ de la France sur son territoire.

Donc l’objectif pour ces trois États à travers la création de l’Alliance des États du Sahel, est de formaliser ou de légitimer leur alliance en signant un partenariat de protection ; puisque dans les articles 4, 5 et 6 de la Charte du Liptako-Gourma on note qu’il y a non seulement la lutte contre le terrorisme, le grand banditisme et les différents trafics dans le Sahel que ces trois États se partagent, mais également au-delà il y a la volonté de répondre à toute forme d’agression venant de n’importe quel pays et autre type de menace que ce soit sur le territoire sahélien de ces trois Etats mais également sur autre territoire que ce soit.

La création de l’Alliance des États du Sahel a eu quand même l’assentiment de Moscou, c’est-à-dire la Russie parce qu’il faut souligner que quelques heures avant la communication officielle de la création de l’AES et de sa charte qui comporte 17 articles, il y a avait eu la visite du vice-ministre russe de la Défense qui a assisté à une conférence tripartite entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

 

Vu que l’Alliance des États du Sahel est mise en place par des transitions militaires, n’est-elle pas mort-née ? 

Le fait que ce soit des régimes en transition pose un problème. Sauf que ce ne sont pas les régimes qui signent des accords dans le domaine international, ce sont des États qui signent des accords. Mais un autre régime peut retirer un État d’une organisation telle que l’AES. Mais c’est très peu probable pour le moment puisque la transition nigérienne c’est déjà trois ans même si la Cedeao n’est pas d’accord ou que la communauté internationale est en train de mettre la pression pour l’organisation des élections.

-La création de l’Alliance des États du Sahel a eu quand même l’assentiment de Moscou, c’est-à-dire la Russie parce qu’il faut souligner que quelques heures avant la communication officielle de la création de l’AES et de sa charte qui comporte 17 articles, il y a avait eu la visite du vice-ministre russe de la Défense qui a assisté à une conférence tripartite entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.-

Mais il ne faut pas se leurrer : que nous soyons au Mali, au Niger ou au Burkina ce sont des régimes appelés à durer en se légitimant par le biais des élections ; pour le cas du Mali et la fin de la transition, pour le cas du Niger. Le Burkina Faso actuellement n’envisage pas un processus électoral puisque leur principal objectif c’est mettre fin à la menace sécuritaire.

Si l’Alliance des États du Sahel devrait avoir une longévité ça dépendra de son succès contre l’insurrection djihadiste qu’on observe dans la zone du Liptako-Gourma. Puis, si l’organisation arrive à rapidement intégrer un certain nombre de structures socioéconomiques, il est fort probable que ça devient plutôt une concurrence pour la Cedeao.

 

Justement, la création de l’Alliance des États du Sahel menace-t-elle la Cedeao de disparition ?

Pour le moment, les trois États (le Mali, le Niger et le Burkina Faso) font encore partie de la Cedeao. Quand bien même on reconnaît que l’Alliance des États du Sahel est une réaction par rapport à la réaction de la Cedeao de restaurer l’ordre constitutionnel au Niger par la force armée.

Toutefois, le fait que les trois Etats soient encore dans la Cedeao voudrait dire qu’elle n’est pas encore menacée. Mais l’article 11 de la Charte du Liptako-Gourma permet de savoir que, à moyen terme, l’AES devient une organisation concurrente à la Cedeao dans la mesure où elle laisse une porte ouverte à des intégrations futures d’Etats ou d’organisation qui partagent les mêmes réalités que les membres de l’AES. Donc en ce moment la Cedeao risque de devenir caduque ; puisque, un certain nombre de gaffes sont reprochées à cette organisation, notamment une dépendance vis-à-vis de la France et aussi de ne pas être dans le sens de la géopolitique actuelle qui voit l’émergence d’une société civile africaine très réfractaire aux ingérences extérieures.

 

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont tous membres aussi du G5 Sahel. Faut-il s’attendre désormais à la mort définitive de celui-ci ?

La création de l’Alliance des États du Sahel (AES) tue le G5 Sahel mais cette organisation était déjà en état de mort cérébrale puisque elle souffrait de financement. Le budget avancé était de 400 millions de dollars mais la moitié n’a jamais pu être réunie. En plus de ça le Mali s’est retiré du G5 Sahel parce qu’on lui avait refusé la présidence tournante de l’organisation à cause du deuxième putsch du camp d’Assimi Goïta.

-Mais l’article 11 de la Charte du Liptako-Gourma permet de savoir que, à moyen terme, l’AES devient une organisation concurrente à la Cedeao dans la mesure où elle laisse une porte ouverte à des intégrations futures d’Etats ou d’organisation qui partagent les mêmes réalités que les membres de l’AES. Donc en ce moment la Cedeao risque de devenir caduque.-

Enfin, il faut souligner qu’il y a cinq Etats dans le G5 Sahel. Sur les 5 trois font partie des mêmes organisations régionales (Burkina Faso, Niger, Mali) ; les deux autres, la Mauritanie est beaucoup plus dans des organisations centrées sur le Maghreb, tandis que vous avez le Tchad qui est centré sur les organisations basées en Afrique centrale. Ce qui fait qu’il y avait un véritable problème de coordination de la lutte contre le terrorisme.

Parce que la question de la contre-insurrection n’est pas que militaire sur le terrain ; elle est également sociale et économique. Lorsqu’on prend la question de la lutte contre le blanchiment d’argent par exemple, ce ne sont pas les mêmes organisations qui régissent cette lutte au sein du G5 Sahel, ce qui pose un véritable problème. Donc globalement vous avez une organisation qui n’est d’abord pas efficiente et qui souffre de problème de financement et qui avait du mal à obtenir l’aval des Nations unies.

L’Alliance des États du Sahel est régie par 17 articles qui forment la Charte du Liptako-Gourma, une région à cheval entre le Burkina Faso, le Niger et le Mali et qui est aujourd’hui l’épicentre du terrorisme. Les trois Etats s’entendent à lutter contre le phénomène djihadiste (article 4). L’AES fonctionnera sur contribution des Etats membres (article 10), ce qui constitue une véritable avancée parce que, à force d’attendre le financement extérieur le G5 Sahel était resté très peu opérationnel.

 

Avec la création de l’Alliance des États du Sahel, va-t-on vers une fédération d’État entre ces trois pays ?

C’est bien possible puisque dans l’article 3 il est bien dit que les institutions qui doivent servir de tremplin à l’AES n’ont pas été toutes mises en place donc nous sommes sur une ébauche. Toutefois lorsque vous lisez la presse de ces différents pays il y a une certaine satisfaction, euphorie et vous sentez les termes de « première marche vers la fédération » qui sont annoncées dans la plupart des médias.

Donc il y a une certaine volonté des populations de ces États d’aller vers le fédéralisme. Maintenant, est-ce le moment de l’annoncer ? L’idée a déjà germé avec la Fédération du Soudan au début des années 1960 puis récemment un nom était même apparu : une fédération entre le Mali, le Burkina et la Guinée. Ce sont des idées explorées par les populations de ces régions. Cela va-t-il germer dans la tête des acteurs des différentes transitions au sein de ces Etats ? C’est bien possible ! Il faut observer mais c’est déjà un premier pas. La mise en place d’une architecture de sécurité collective peut être un tremplin vers la création d’une fédération du Mali, du Niger et du Burkina Faso ; c’est souhaitable. L’organisation reste ouverte à d’autres Etats, dans ce cas on peut dire qu’elle restera une organisation refuge pour des transfuges de la Cedeao.

 

Défense collective et assistance mutuelle. L’AES signifie-t-elle une « OTAN » bis ?

Nous sommes face à une alliance qui a pour première vocation la sécurité collective. Elle peut s’enrichir d’autres institutions pour lui donner une valeur économique, sociale, etc. Donc une OTAN [Organisation du Traité de l’Atlantique nord] bis ou une OTAN en miniature, c’est bien possible. Cette organisation est quand même parrainée par Moscou. Donc ce n’est pas une organisation créée ex nihilo.

 

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