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Dockers au port de Cotonou : Ils s’impatientent dans la misère

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Dimanche 15 octobre, un docker a rendu l’âme à l’infirmerie de l’ex Sobemap, à Cotonou des suites d’un malaise alors qu’il revenait des toilettes. Cette fin de vie tragique, aux yeux de ses collègues, illustre le dénuement dans lequel ils végètent. Ils appellent à l’accélération des réformes. Reportage !

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON 

Depuis deux semaines qu’il « vit » à l’« Embauche de la Sobemap », Joseph dit n’avoir gagné que « 4700F en une seule tâche ». Pour cause, « les navires ne viennent plus [massivement, ndlr], rien ne marche ».

En cet après-midi ensoleillé du vendredi, les dockers manifestent leur intérêt de voir des journalistes descendre dans leur milieu de travail. Les uns assis sur leurs motos garées, les autres couchés à même le sol ou sur des bancs. Ils se relèvent aussitôt et, s’agglutinent autour de nous. Chacun tient à partager ce qu’ils appellent « notre misère quotidienne ». Nous étions assaillis de témoignages.

Dans leur rang le mécontentement est palpable. N’empêche, ils osent sourire parfois. « Nous souffrons. Moi j’ai déjà fait 38 ans de service, je n’ai pas de retraite », souffle Cosme, un ‘’vieux’’ visiblement respecté dans le corps. Ses jeunes collègues approuvent son témoignage. Aujourd’hui, ils partagent le leitmotiv du « ça ne va pas du tout ». « La prison est meilleure à la vie ici », exagère quelqu’un dans le groupe. « Le docker est depuis des années marginalisé, aliéné et maintenu dans un esprit de pauvreté qui fait de lui le plus malheureux et pauvre de la société béninoise », déplore Aliou Y., lui-même docker spécialiste pointeur, carrière à laquelle il a renoncée cette année.

Au Port autonome de Cotonou, en effet, ils constituent un effectif considérable : plus de dix milles, les tâcherons y compris, selon leurs dires. Le Bureau d’embauche unique (Beu) mis en place le 1er février 2023, dit avoir recruté 7000 dockers en un mois seulement, du 2 au 31 janvier dernier. Ce sont eux qui chargent et déchargent les navires. Ils sont payés pour cela à la tâche. « Donc s’il n’y a pas de boulot, c’est la misère. Autrement, quand il n’y a pas de navire, les dockers dans l’ensemble n’ont rien comme source de revenus », explique un spécialiste.

Selon les prix pratiqués par le Bureau d’embauche unique et obtenu auprès des travailleurs, la vacation coûte 3900F pour les tâches effectuées de 7h à 15h ; 4100F de 15h à 23h ; et 4300F la nuit (23h à 7h du matin). Mais, seul couac, « le quai est désert », les navires se font rares. Le quai n’est plus « prospère comme auparavant », assure, dépité et nostalgique Cosme.

Cette situation remonterait à quelques mois déjà, selon un chef de groupe. « Depuis l’avènement du Bureau d’embauche unique (Beu), on n’a plus assez de navires ». Il estime à environ 3 le nombre qui accosterait par mois. Assez insuffisant pour que chacun soit appelé à la tâche dans le long cycle de la rotation.

«Depuis l’avènement de Bureau d’embauche unique (Beu), nous travaillons par rotation. Le groupe A commence à 7h et descend à 23h pour laisser place au groupe B qui conduit jusqu’au lendemain 7h. Les tâches sont distribuées à partir de 6h pour ceux qui vont commencer à 7h. Du coup, il faut être là bien avant 6h. Pour quelqu’un comme moi qui quitte Togba, il faut se lever à 4h pour pouvoir être à l’heure car lorsqu’on fait appel et tu n’es pas à l’heure, quelqu’un d’autre te remplace », décrit l’homme d’un âge certain.

Un navire transportant du riz par exemple, ne dispose que de 4 cales. Or, des explications recueillies, deux dockers se chargent d’une cale. « Prendre 8 personnes sur des milliers, à quand chacun aura son tour ? » interroge-t-il.

Vie difficile

Le poumon économique du Bénin tourne davantage au ralenti avec la crise nigérienne. Le Bénin ayant fermé ses frontières par solidarité aux décisions de la Cedeao contre la junte. Le Niger constitue un acteur commercial majeur du pays. En 2021, il figure parmi les « dix (10) partenaires les plus représentatifs dans les exportations du Bénin », soit 3,1%, selon le statisticien national.

Avant la crise politique, plus de 1000 camions en provenance du port de Cotonou franchissent au quotidien la frontière entre les deux pays. « Lorsque vous considérez le trafic d’importation seulement, le transit vers le Niger représente un gros tiers de ce transit, ça fait 30–35% et c’est ce qui va s’arrêter de façon brusque lorsque les frontières ont été fermées. Et si la situation perdure, ces 30-35% du trafic d’importation au port de Cotonou, ou 70 à 80% du total du transit va s’arrêter », décrypte à la Deutsche Welle, l’économiste béninois Albert Honlonkou.

Les dockers viennent de partout du pays, loin de Cotonou. Parmi ceux rencontrés ce vendredi-là, figurent des ressortissants de Tori, Ouidah, Allada, Abomey voire de Savalou, ville située à 231,8km de la capitale économique. Impossible de rentrer chaque soir en famille. Ceux dans le cas ont développé une stratégie : la vaste enceinte du hall connue d’eux comme l’« Embauche de la Sobemap » sert de dortoir. Ainsi, certains dockers gardent sur eux nattes, pagnes ou autres biens nécessaires. Ils y résident tout le temps qu’ils ne peuvent retourner en famille du fait de la distance ou des moyens.

« Je passe deux semaines ici au hall avant d’aller chez mon oncle à Maria Gléta. Ce n’est que 3 mois après que je retourne à Abomey ». La morosité du trafic au niveau du quai éprouve leur survie. « Depuis le matin je n’ai mangé qu’un pâté de 50F (à 17h27). J’ai dû emprunter de l’argent pour renflouer le réservoir de ma moto », témoigne Franck en soulevant sa chemise laissant voir son ventre épuisé. « Pour toi est meilleur. Des personnes ici n’ont pas mangé depuis le matin », renchérit Cosme A.

Des « engins laissés au garde-vélo et pas de sous pour les récupérer », souligne un autre. « Chaque jour passé sans travail, les frais de garde s’amoncellent. Les motos sont là, on va les reprendre comment ? On n’a même pas d’essence dedans pour rentrer chez nous », déclare un autre.

Le Beu dans le viseur

«Depuis la mise en place provisoire du Beu, les droits et acquis des dockers sont annulés», dénonce un chef sous anonymat. L’ère de la Société béninoise des manutentions portuaires (Sobemap) reste encrée dans les esprits. Les dockers en sont nostalgiques.

Le gouvernement a dissout la Sobemap le 30 novembre 2022 puis a mis en place le Bureau d’embauche unique (Beu). Celui-ci, créé en conseil des ministres du 14 septembre 2022, a vocation de favoriser un meilleur encadrement du travail des dockers dans le respect des règles de sûreté et de sécurité sur les espaces portuaires.

Le Port dans un communiqué en date du 3 mai reconnaît que « Les mauvaises conditions de vie et de travail ont souvent été décriées par les dockers, tacherons et ouvriers travaillant au Port de Cotonou. Le gouvernement béninois a donc fait suite à leurs plaintes légitimes en initiant cette réforme dont l’objectif est clairement d’améliorer leur situation. C’est à cet effet que le Chef de l’État a décidé de créer le Bureau d’Embauche Unique ».

Le Beu, groupement d’intérêt économique, a pour principale mission d’embaucher, gérer et mettre à disposition des structures utilisatrices, la main-d’œuvre docker dans les ports maritimes et ports secs en République du Bénin. Il « offre de nombreux avantages qui participent à améliorer les conditions de vie et de travail des dockers. En plus des nombreux avantages sociaux (sécurité sociale, couverture maladie, assurance santé, etc.) et salariaux, les dockers pourront bénéficier d’accès au crédit bancaire, de formations adaptées qui garantissent leur sécurité, d’équipements de protection individuels », détaille l’administration du Port dans son communiqué.

Mais du côté des bénéficiaires, l’attente dure. Les «réformes peinent à prendre », déplore le pointeur. Selon celui-ci, « depuis l’installation de l’équipe qui conduit la transition (de six mois, mais prolongée) pour mettre en place le Beu, les dockers n’ont plus une prise en charge sanitaire ». Ce que souhaitent alors ceux-ci, c’est « la mise en place effective du Beu afin d’avoir une convention collective et des prises en charge sanitaire ».

La convention collective régit l’organisation du travail et fixe les droits et devoirs des deux parties (employeur/employé). « Depuis 1969 le docker n’a pas de convention en République du Bénin », rappelle-t-il.

 

« Comme les navires ne viennent plus, rien ne marche » 

Cosme A, chef de groupe de dockers

« Depuis l’avènement de Bureau d’embauche unique (Beu), nous travaillons par rotation. Le groupe A commence à 7h et descend à 23h pour laisser place au groupe B qui conduit jusqu’au lendemain 7h.

Les tâches sont distribuées à partir de 6h pour ceux qui vont commencer à 7h. Du coup, il faut être là bien avant 6h. Pour quelqu’un comme moi qui quitte Togba, il faut se lever à 4h pour pouvoir être à l’heure car lorsqu’on fait appel et tu n’es pas à l’heure, quelqu’un d’autre te remplace. Mais depuis trois mois, nous venons ici en vain. Les navires sont très rares. Depuis un mois, c’est avant hier que nous avons reçu un navire. Je ne sais pas quand est-ce qu’on aura la chance de travailler la prochaine fois afin de nourrir nos familles respectives. Sinon c’est en octobre que viendront quelques divers; c’est ce que j’ai appris.

Les tarifs du Beu sont différents de ceux de la Sobemap. Avant on était payé les jeudis selon le nombre de fois que nous avons travaillé dans la semaine. Mais avec le Beu, les matins nous sommes payés à 3900F (7h à 15h), de 15h à 23h, on est payé à 4100F et la nuit (23h à 7h) à 4300F. Mais comme les navires ne viennent plus, rien ne marche.

Les âges varient ici. 34 ans, 35 ans, 36 voire 38ans. Alors qu’à 60 ans nous devons aller à la retraite. Nos supérieurs sont à 400 000F ou 600 000F alors que nous qui sommes les vrais travailleurs, nous formons les premières mains d’œuvre et on refuse de nous payer. Avant nous recevons nos sous en mains propres mais maintenant c’est à la banque nous allons. »

Propos recueillis par Félicité DJIGLA (Stag.)

 

Le cas Coffi et appel au chef de l’État 

Le nommé Coffi, chef de groupe est conducteur d’engin au port de Cotonou. Dimanche, il était au poste pour l’embauche de l’après-midi (vacation de 15h à 23). « Il devait me communiquer le numéro matricule des dockers qui doivent travailler. Puis il est allé aux toilettes. J’apprends après qu’il a piqué une crise et qu’on va l’évacuer», confirme explique un agent.

Ses collègues crient à « l’homicide involontaire ». « Si Coffi avait reçu les premiers soins adéquats, il ne serait pas mort. Nous n’avons pas un emploi sécurisé », critique un proche. « Il a eu quelque malaise et s’est rendu aux toilettes. Vers 13h05 il est tombé en sortant des toilettes. Et il ne s’est plus relevé. On a appelé les agents de l’infirmerie, aucun d’eux n’est venu. Nous avons dû l’emmener sans brancard à l’infirmerie. Les agents ne l’ont pas touché, ils n’ont rien fait. Nous ses collègues avons demandé qu’on le conduise alors à un centre hospitalier avec l’ambulance de la maison ; mais il paraît que les chefs doivent donner l’ordre d’abord. Ainsi Coffi est mort vers 15h-15h sans avoir reçu une intervention », relate un témoin.

«L’ensemble des dockers demandent au chef de l’État de réellement penser à leur situation sociale car depuis la mise en place provisoire du Beu les droits et acquis des dockers sont annulés et nous demandons une véritable amélioration des conditions de vie et surtout la revalorisation de nos primes et surtout nous demandons une convention qui va donc régir la fonction dockers en République du Bénin», délivre un chef de groupe au nom de ses camarades.

 

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