La demande de pardon de l’Église Catholique pour sa complicité dans l’esclavage et la colonisation est certes une “décision courageuse” mais pas suffisante, estime l’historien Dieudonné Gnammankou. Car, en plus d’avoir «donné le feu vert idéologique et politique» de l’esclavage, l’Église Catholique, «financièrement, … s’est enrichie pendant des centaines d’années sur le dos de ce crime». L’historien encourage alors le Vatican à payer «la réparation qui se doit».
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Bénin Intelligent : Comment comprendre aujourd’hui la décision du Vatican de reconnaître sa complicité alors que le déni a prévalu chez certaines figures et activistes de l’Église pendant longtemps ?
Dieudonné Gnammankou : Je pense qu’on peut comprendre cela de plusieurs façons. Mais l’une des premières explications qui me vient à l’esprit c’est que la direction de l’Église Catholique est rattrapée par le temps. Vous savez, il y a des choses qu’il faut faire et quand on ne les fait pas quand il faut, tôt ou tard, on finit par les faire.
Même s’il y a eu des démarches antérieures, l’Église Catholique est rattrapée parce qu’il y a quelques mois, on a appris par l’actualité internationale que l’Église anglicane d’Angleterre avait elle-même demandé pardon aux africains et aux descendants d’africains qui ont été victimes de l’esclavage et de la déportation, du fait justement du royaume d’Angleterre, avec la complicité de l’Église d’Angleterre. Donc ils ont demandé pardon. Et je pense que tout le monde se demandait quand est-ce que l’Eglise catholique allait le faire.
Pourtant, certains dirigeants de l’Eglise catholique – comme le pape Jean-Paul II – avaient déjà reconnu que l’Église avait commis des actes impardonnables puisqu’elle avait été complice de la traite négrière et de l’esclavagisation des africains. Mais ce n’est pas suffisant.
Croyez-vous à une volonté sincère de repentance ?
Nous n’avons pas de raison de remettre en cause la sincérité du pape François et du cardinal Czerny qui a lu cette demande de pardon du pape. Mais je pense que tous les africains et les descendants d’africains dans les Amériques attendaient depuis longtemps justement que l’Église se prononce clairement.
L’une des choses les plus importantes est de savoir si l’Eglise, en reconnaissant avoir commis un péché – non seulement en étant complice des crimes contre l’humanité qu’ont été la traite négrière et la colonisation, mais en ayant été à l’origine de ces crimes. Parce que c’est bien un Pape, Nicolas V, qui en 1454 a promulgué la bulle papale qui a autorisé le roi du Portugal et tous les rois qui vont lui succéder, y compris ceux d’Espagne plus tard, à aller attaquer les africains, à les agresser, à les convertir au christianisme par la force, et surtout, à les réduire en esclavage perpétuel. Et donc l’Eglise à travers la papauté, doit montrer que ce n’est pas une simple déclaration d’intention.
La déclaration qui a été lue par le cardinal Czerny a été écrite selon le média Vatican news, par le pape lui-même. On peut donc imaginer que le pape a estimé qu’il était important de reconnaitre ce péché. Maintenant ce que les africains et les descendants des africains attendent de l’Eglise catholique, c’est qu’elle ne se limite pas à cette demande de pardon, cette reconnaissance d’avoir commis un péché contre les peuples d’Afrique, mais surtout, qu’elle commette la réparation qui se doit.
L’Eglise d’Angleterre a donné l’exemple – même si elle a fait un pas timide – en créant un fonds de réparation pour les victimes de l’esclavage britannique. Un fonds de 100 millions de Livres Sterling, qu’un comité a fait comprendre à la direction de l’Église anglicane que cette somme était insignifiante. Et qu’il fallait un minimum de 1 milliard de Livre Sterling. Donc on peut espérer que le Vatican va prendre des mesures importantes. Parce que c’est un pape au Vatican qui a donné le feu vert idéologique et politique à la mise en déportation et en esclavage des africains.
Cette réparation entre autres économique, à quoi peut-elle servir pour les peuples africains, si d’aventure, l’Église faisait ce pas ?
L’Église doit faire ce pas parce que tout crime commis mérite réparation. Dans toutes les sociétés humaines, ceux qui ont commis des forfaits et des crimes et qui ont été reconnus coupables, doivent réparation à leurs victimes. Pour l’instant, ce qu’a fait l’Église d’Angleterre et ce que pourrait faire l’Eglise catholique, c’est de décider d’elle-même. Parce que ce n’est pas un tribunal qui a condamné l’Eglise Catholique à reconnaitre sa participation à ce crime. C’est le pape lui-même qui a reconnu ce péché et qui a décidé de l’avouer mondialement.
Donc ce que les descendants des victimes peuvent attendre, c’est que l’Eglise elle-même tire les conclusions du profit qu’elle a eu. Parce que l’Eglise Catholique a tiré profit de la traite négrière et de l’esclavagisation des africains. Des millions d’africains réduits en esclavage ont travaillé pendant plus de 400 ans gratuitement pour bâtir la richesse de l’Europe et de l’Amérique. Donc c’est à l’Eglise de tirer les leçons de cela, et de réaliser les réparations à la hauteur du péché, des crimes qui ont été commis.
Mais l’une des choses qu’on attend aussi de l’Eglise, c’est de savoir si toutes les bulles papales précédentes, depuis le 15e siècle qui ont autorisé l’esclavage ont été abrogées. Si c’est le cas, il serait bien que l’Église redonne cette information au grand public. Si non, il serait temps que l’Église, à travers la papauté, puisse abroger toutes les bulles papales qui la rendent coupable d’être à l’initiative de crimes contre l’humanité, ici, crimes contre les peuples africains qui ont été mis en esclavage.
Ce que nous pouvons attendre d’autre, c’est que les historiens ont démontré que l’esclavage et la colonisation ont sous-développé l’Afrique, l’ont retardé dans son évolution normale, économique, technique, scientifique, sociale, dans tous les domaines. Et même du point de vue démographique puisque des centaines de millions d’africains selon les travaux de plusieurs historiens, ont été victimes de ce crime contre l’humanité.
Outre les bulles papales que vous aviez évoquées, quelles sont les autres preuves scientifiques ou historiques irréfutables qu’on a aujourd’hui de la complicité de l’Église Catholique dans l’esclavage et la colonisation ?
On sait par exemple que depuis le 15e siècle, donc depuis la période de la Renaissance, plusieurs papes ont cautionné, en se servant même de la Bible et d’enseignements bibliques, la conversion forcée des africains, mais à travers les guerres qui leur ont été menées par les européens et aussi leur réduction en esclavage. Les historiens savent que le fruit, les recettes, l’argent qui était gagné suite à la vente des africains en esclavage en Amérique, une part était reversée à l’Eglise Catholique. Donc financièrement, l’Église Catholique s’est enrichie pendant des centaines d’années sur le dos de ce crime qui a été commis contre les africains.
Il faut rappeler qu’avant même qu’il y ait eu la bulle papale de 1454, il y avait le pape Martin V qui en 1425 avait menacé d’excommunier ceux qui s’engageaient dans le commerce des esclaves. Ça, c’était avant que les africains ne soient massivement réduits en esclavage. Doit-on alors comprendre que à ce moment-là, en Europe, ceux qui étaient esclaves, étaient des blancs ? Doit-on comprendre que c’était pour cela que ce pape avait menacé d’excommunier tous ceux qui pratiquaient l’esclavage ? Puisque quelques décennies plus tard, en 1454, un de ses successeurs, Nicolas V, va accorder au roi du Portugal, le droit de mettre en servitude perpétuelle, les africains et les réduire en esclavage.
Il y a eu donc des activités commerciales, économiques qui ont été menées pendant tous ces siècles sur le sol européen d’abord, puis sur le sol américain.
Il faut savoir qu’en Europe, les africains ont été déportés à partir des années 1440 jusqu’au 18e siècle. Sur le sol du sud du Portugal, de l’Italie, de la France, de l’Espagne, des centaines de milliers d’africains qui avaient été déportés là-bas, qui étaient en esclavage, parmi eux, une bonne partie appartenaient à des monastères, à des églises. Ils travaillaient donc comme esclaves pour ces églises. Certains étaient des agriculteurs, d’autres des artisans, etc.
Il y a eu une exploitation économique à laquelle a malheureusement participé l’Église catholique, mais on l’a vu déjà aussi, l’Église protestante, anglicane d’Angleterre et d’autres courants religieux chrétiens.
N’y aurait-il pas un autre type de réparation que les africains seraient en droit d’exiger, notamment pour les torts psychologiques infligés non seulement aux victimes de ces crimes, mais également à leurs descendants jusqu’à aujourd’hui, relativement à la culture et la couleur de peau ?
Absolument ! Les africains n’ont pas été victimes seulement physiquement des guerres qui ont ensanglanté le continent africain, qui ont dévasté les royaumes africains, qui ont causé la mort de centaines de millions d’africains et la déportation de plusieurs dizaines de millions d’africains en Amérique, réduits en esclavage.
Ce système criminel qui a été mis en place à partir du milieu du 15e siècle et qui a duré plus de 450 ans, a eu des conséquences dramatiques pour les peuples africains. Donc non seulement pour les victimes immédiates, directes à l’époque, mais bien sûr depuis que l’esclavage a été aboli, – selon les royaumes européens négriers, que ce soit les anglais (1807 pour la traite, 1833 pour l’esclavage), les français (1848, dans leurs colonies américaines), les États-Unis d’Amériques (1865), le Brésil (1888), – ce sont les descendants de ces africains-là qui ont été victimes d’exclusion sociale, de racisme, de discrimination, de ségrégation sous toutes les formes, de lynchages même, d’agression, d’assassinat, qui sont restés impunis. On pouvait tuer impunément des africains, des noirs tout simplement sans que justice ne soit faite. Et cela a duré plus d’un siècle encore. Il y a encore des injustices aujourd’hui. Tout le monde se souvient de l’assassinat aux Etats-Unis de Georges Floyd.
Les africains et les descendants d’africains continuent donc de subir des discriminations raciales. C’est d’ailleurs pour ça que les Nations unies ont proclamé en 2014 la décennie Mondiale des afrodescendants. Pour rappeler à tous les États qui ont des populations d’origines africaines hors d’Afrique, en Europe, en Amérique et ailleurs, qu’il était temps de mettre fin à toutes les discriminations subies par les descendants d’africains du fait justement des conséquences de l’esclavage.
Et donc, oui, il y a effectivement des actions importantes que l’Eglise doit mener en dehors des réparations qui seraient pécuniaires. Et bien sûr elles sont d’ordre moral, mais pas seulement.
Le professeur Olabiyi rappelait lors d’une conférence il y a quelques années, que l’Église doit réparation à l’Afrique pour avoir discrédité sa culture, pour avoir permis le discrédit des croyances africaines, des spiritualités africaines, des religions africaines, des cultes endogènes africains, qui ont été considérés comme barbares, comme sauvages du fait qu’ils étaient taxés de paganisme. Ce qui a justifié justement cette entreprise qui était d’ordre criminel puisqu’elle est reconnue enfin comme un crime contre l’humanité.
D’ailleurs le prosélytisme dont a fait preuve l’Église comme l’a fait aussi l’Islam pendant des siècles également; ce prosélytisme qui consistait à considérer que la foi en Dieu qu’on a parce qu’on était chrétien ou musulman autorisait justement les chrétiens et le clergé – la direction de l’Église – (puisqu’on parle de la décision du pape) à aller attaquer d’autres peuples, leur faire la guerre, causer la mort, la destruction au nom de leur conversion au christianisme. Ce crime-là est une preuve, une marque d’intolérance. Il est heureux justement que le pape ait reconnu ce péché, ce crime.
Et je pense qu’il faudrait rappeler aussi, l’aliénation culturelle dont souffrent aujourd’hui la majorité même des africains, il y a eu aussi une aliénation religieuse. Le choix de sa foi est un acte personnel, individuel. On ne peut pas forcer des gens à embrasser une religion. Ces africains ont le droit, la liberté de devenir des chrétiens s’ils le souhaitent, ou d’être adeptes d’autres religions. Mais il faut que cela se fasse de façon libre. Or la christianisation des africains a commencé avec la traite négrière et l’esclavage et puis la colonisation.
Et surtout je parlais d’aliénation parce qu’il faut rappeler que même si des africains sont librement chrétiens de nos jours, il n’est pas normal que dans les églises l’iconographie qui est présentée, qui est vue dans les églises soit une iconographie où tous les personnages bibliques sont blancs. Ça aussi c’est un facteur important de colonisation. C’est une colonisation mentale. Il est temps que l’Église y mette fin. Parce que les africains chrétiens ont le droit d’aller dans leurs églises prier des saints qui leur ressemblent, un Dieu qui leur ressemble, un fils de Dieu et une mère du fils de Dieu qui leur ressemblent. Ce qui ne serait d’ailleurs que justice parce que depuis 2000 ans, on a commencé par prier la Vierge Marie à la peau noire et l’enfant Jésus à la peau noire.
Encore aujourd’hui en Espagne, au Portugal, en France, en Suisse, en Allemagne, en Suède, en Pologne, en Russie, dans des milliers d’églises et de cathédrales, dans des chapelles, des millions d’européens continuent de prier une Vierge Marie noire et un enfant Jésus noir, qu’on peut voir à la cathédrale de Chartres en France, à la cathédrale d’Orléans en France, qu’on peut voir à la chapelle du mont St Michel en France, à la sainte église de Notre-Dame de Czestochowa en Pologne.
C’est pour cela que le pape Jean-Paul II portait toujours sur sa poitrine l’effigie de la Vierge Marie noire.
Pourquoi donc l’Église impose-t-elle en 2024, disons même en 2025, à ses fidèles chrétiens catholiques africains, l’images des saints, d’apôtres, de personnages bibliques qui sont tous blancs ? C’est de la colonisation mentale.
On parle depuis de néocolonialisme, de l”’esclavage moderne”. L’Église est-elle toujours coupable de la rémanence de ces crimes dont elle s’excuse aujourd’hui ?
L’Église continue de porter une responsabilité. Même si cela fait longtemps, – depuis la fin de la période coloniale – progressivement, l’Église a commencé à reconnaitre que son rôle, sa participation dans ces discriminations, dans ces politiques raciales, racistes, il ne faut pas oublier que même aux États-Unis, les membres du Ku Klux Klan étaient tous des chrétiens. Ils allaient à l’église et après la messe ils allaient tuer, lyncher des africains, des noirs. Donc nous parlons d’évènements qui ont eu lieu au 20e siècle. Donc effectivement l’Église a une responsabilité historique malheureusement dans tous ces crimes, toutes ces malversations.
Mais bien sûr l’Église à différentes époques s’est rappelée que sa vocation n’était pas de soutenir ou d’être complice de ce genre de crime. Et on sait que certains dignitaires de l’Église, certains prêtres et religieux ont combattu ces crimes-là. Mais leurs voix n’étaient pas suffisamment puissantes pour mettre fin à cela.
Le pape reconnait aujourd’hui que l’Église a sa part de responsabilité dans le rejet des migrants, ces réfugiés qui fuient la guerre dans leurs pays. Sachant que l’Occident a une part importante de responsabilité dans ces guerres-là dans un certain nombre de pays, dans la spoliation des richesses des pays africains.
Cette jeunesse qui fuit l’Afrique ou d’autres régions du monde parce qu’il y a la guerre, l’instabilité, l’insécurité, et qui est rejetée en Angleterre, en Italie même où se trouve le Vatican; cette jeunesse qui est rejetée en France, en Allemagne et dans de nombreux pays européens, l’Église se rend bien compte qu’elle a une part de responsabilité. Et d’un point de vue moral, elle a un rôle important à jouer parce qu’elle peut influencer les dirigeants politiques européens, occidentaux en général et du monde en entier.
En jouant ce rôle, toutes ces vicissitudes, tous ces avatars de l’esclavagisation des africains qui existent encore dans les sociétés modernes pourraient disparaître plus rapidement avec un engagement fort de l’Église.
Dans le contexte actuel de réveil panafricaniste marqué par des actes de ”retour aux sources”, la déclaration du Vatican pourrait-elle calmer les ardeurs et éviter par exemple à l’Eglise Catholique le rejet que subit la France sur le plan politique ?
Je pense que cela n’est pas exclu dans la mesure où le monde entier se rend compte que le vent est en train de tourner. Les africains sont au cœur de ce mouvement qui depuis quelques années, se met en place. La jeunesse africaine en particulier.
Ce mouvement, c’est la réclamation de la souveraineté pleine et totale des peuples des africains, de leurs biens, de leurs richesses, de leur sous-sol et la jouissance totale de tout leur droit.
Dans ce processus-là, il y a aussi un mouvement de retour vers soi, de redécouverte de sa culture, de sa spiritualité, de ses religions. Ce mouvement qui se met en place en Afrique peut être perçu par certains responsables de l’Église, sinon comme une menace, peut-être comme un mouvement qui pourrait effectivement à terme, réduire leur influence sur le continent africain. Cela n’est pas exclu. Il est vrai que beaucoup d’africains estiment aujourd’hui qu’ils doivent arrêter de regarder de façon négative l’héritage culturel, spirituel de leurs ancêtres et qu’ils doivent le redécouvrir.
L’esclavage et la colonisation ont été abolis respectueusement il y a plus de 170 ans (1848) et 64 ans. Pourquoi il a fallu attendre autant de temps pour que l’Église Catholique fasse son mea culpa ?
Je pense que l’une des premières raisons c’est qu’au sein de l’Église il n’y a pas eu unanimité. À des époques anciennes, il y a eu des voix qui se sont opposées. Tout à l’heure j’évoquais certains dirigeants de l’Église qui s’étaient opposés. On peut rappeler par exemple le Pape Pie II (1458 à 1464). C’est lui qui a succédé au pape Nicolas V qui avait autorisé les européens à mettre en esclavage les africains. Ce pape Pie II avait condamné la réduction en esclavage des noirs et avait ordonné aux évêques d’imposer des sanctions ecclésiastiques à ceux qui le pratiquaient.
Le pape Paul III (1534 à 1549), dans sa bulle ”Sublimis Deus” du 02 juin 1537 avait lui aussi condamné l’asservissement injuste des peuples natifs, donc africains et amérindiens. Il excommuniait quiconque les réduisait en esclavage et insistait que la seule manière de les convertir était en prêchant et en montrant le bon exemple. Non pas en les traitant avec sévérité ou en les forçant à travailler.
Cela veut dire que certains dirigeants de l’Église s’étaient opposés à cette politique d’asservissement des africains ou des amérindiens. Mais comme je le disais, il n’y a pas eu une vision unanime au sein de la direction de l’Église. Très vite les intérêts économiques, financiers vont balayer ces décisions de ces papes du 16e siècle qui, eux, se sont opposés à la bulle de Nicolas V. Les intérêts financiers étaient énormes.
L’Europe s’est enrichie de façon extraordinaire sur le sang des africains et l’Église a suivi. Donc ces désaccords, et finalement l’intérêt financier étant plus fort, du 16e au 20e, les voix qui ont essayé de se faire entendre au sein de l’Église étaient inaudibles, très faibles, et plus que minoritaires. De ce fait, la majorité n’a pas suivi la voix de la raison, la voix de la justice, qui était la voix recommandée par l’Eglise, par la religion chrétienne, par le christianisme.
Je pense que l’intérêt pécuniaire a pris le dessus. Et l’Église était aux côtés des puissants, or les puissants du monde du 16e au 20e siècle, c’était les européens, les euro-américains qui avaient mis en place un système esclavagiste, puis capitaliste, pour qui c’était plutôt l’intérêt matériel qui était le plus important. Et malheureusement, l’Église n’a pas eu suffisamment de force pour mettre fin à cela.
Bien sûr quand il y a eu les mouvements abolitionnistes à la fin du 18e, d’abord en Angleterre, puis en France et dans d’autres pays européens, l’Eglise a commencé à se poser la question si d’un point de vue moral, il était possible de cautionner l’enfer que subissaient les africains, par millions, victimes de guerre, déportation et réduction en esclavage. Certaines voix autorisées de l’Église avaient commencé à s’opposer à cela. Mais ce processus a mis trop de temps : 170 ans après l’abolition de l’esclavage, 64 ans après la vague des indépendances africaines. L’Église a louvoyé, a fait preuve d’atermoiement. Et cela est inadmissible.
Il est donc temps que l’Église, d’une voix monocorde, d’une voix unanime, à la suite de cette dernière déclaration papale de ce synode, reconnaisse que ces péchés ne peuvent plus être reproduits et que les chrétiens ne doivent plus cautionner ce genre de crime.
Quelles pourraient être les conséquences d’un tel mea culpa sur la perception, voire la crédibilité de l’Église désormais en Afrique ?
Je pense que pour l’Eglise, c’est une décision courageuse qui a été prise. Et cette décision courageuse ne peut qu’avoir un impact positif sur l’image de l’Église chez les africains. Mais il faut reconnaitre que cette décision de l’Église n’a pas été prise dans un contexte exclusivement consacré à l’Afrique. Cette reconnaissance et demande de pardon du pape lue par le cardinal Czerny, a été présentée dans un ensemble de lettres, de déclarations, condamnant d’autres péchés reconnus par l’Église.
Je pense que certains africains vont attendre encore qu’une déclaration soit faite sur les répercussions mêmes de cette décision, sur les leçons et conclusions que l’Église tire en reconnaissant ce péché. Sachant que les crimes qui ont été commis sont graves, sont des crimes contre l’humanité. Il y a même eu génocide.
Des millions d’africains ont été tués dans le cadre des razzias négrières, des millions d’africains ont été tués dans le cadre de l’esclavage. L’espérance de vie d’un africain réduit en esclavage dans les colonies américaines était de 4 à 8 ans. L’Amérique est un cimetière de millions d’africains qui ont été tués au travail dans les plantations, dans les mines, etc.
Le pape reconnait que c’est grave puisqu’il déclare que désormais c’est un péché. Tout ce que l’Église fera pour reconnaitre les crimes qu’elle a commis ou auxquels elle a participé en tant que complice par le passé, ne pourra qu’être accueilli de façon positive. Pas seulement par les africains ou les chrétiens eux-mêmes, mais aussi par le monde entier.
Il est donc important que l’Église continue à prendre des décisions dans ce sens pour être toujours, quelles que soient les tentations, du côté de la justice, des faibles, des pauvres, de ceux qui ont besoin de la compassion, de la solidarité et de l’aide. Et qui mieux que les religions pour venir en aide aux personnes les plus démunies, les plus faibles dans nos sociétés ?
Tant que l’Eglise va jouer ce rôle et se démarquer résolument et définitivement de tous les crimes du passé, je pense que le regard de tous ne pourra être que favorable, positif.
Lorsqu’on parle de colonisation et d’esclavage en Afrique, il y a aussi leur aspect arabo-musulman peu abordé. Pourquoi les lignes ne bougent pas assez de ce côté notamment en termes de condamnation et de réparation ?
Selon moi, nous ne sommes pas suffisamment informés de ce qui se passe dans les pays arabo-musulmans, en Asie, en Arabie, etc. Puisque nous ne parlons pas les langues et nos médias ne nous informent pas de ce qui se passe dans ces régions.
Sinon, les populations noires, descendantes d’africains qui ont été réduits en esclavage dans les pays arabes, que ce soit en Afrique du nord, en Asie, en Arabie, elles continuent à être victimes de discriminations mais ne restent pas les bras croisés. Elles se battent, elles luttent.
On sait qu’en Mauritanie où il y a encore des vestiges d’esclavage, les populations noires, ceux qu’on appelle les harratins, victimes de ce genre de pratiques criminelles, se battent. C’est la même chose en Afrique du nord et dans les pays arabes. Mais nous sommes moins informés de ce qui se passe dans ces pays-là.
Maintenant, il faut dire que le fait que ces pays aient participé à ces crimes contre l’humanité pendant plus de 1300 ans pour certains – du 7e siècle au 20e siècle -, aient aboli l’esclavage à la fin du 19e ou au début du 20e siècle, fait que tous ces pays doivent mettre en place des politiques de réparations morale, financière, matérielle. Pour que les populations noires dont certaines, nombreuses, sont encore victimes de discriminations, de la pauvreté, puissent sortir de la misère. Parce qu’ils sont les descendants de millions d’africains qui ont contribué à bâtir la richesse de ces pays arabo-musulmans.