Les auditeurs de RFI ont eu droit, lundi 10 mars matin, à une sortie musclée de l’ancien président Nicéphore Soglo sur la gouvernance au Bénin. Fidèle à son style direct et tranchant, l’ex-chef d’État s’est posé en défenseur des droits de l’homme et de la démocratie.
« Cette année au Bénin, on doit libérer tous les prisonniers politiques sans exception», ordonne-t-il, faisant ainsi allusion aux citoyens ayant des démêlés judiciaires : certains ayant été condamnés, d’autres ayant pris la fuite pour échapper à la justice.
Sans discernement, Soglo noie ainsi le devoir de justice dans l’activisme politique anti-Talon. Une posture qui se comprend aisément, d’autant plus que son fils fait partie des rebelles de la République.
Une belle posture en tout cas mais que, par devoir de vérité, il serait indécent d’avaler sans mâcher.
En effet, l’histoire sociopolitique du Bénin sous son règne n’a pas été des plus immaculée comme il tente de l’imposer aujourd’hui. Mais tous les béninois ne sont pas amnésiques. Car, qu’on se souvienne ! N’est-ce pas sous son mandat que les véhicules de campagne du PRD ont été arraisonnés sous des prétextes douteux ? N’est-ce pas encore lui qui traitait les journalistes de “malabars” et d’”écrivaillons” dès qu’ils osaient critiquer son action et celle de ses ministres ? Ironie du sort, c’est ce même Soglo qui a voulu faire résilier l’accréditation d’un média international parce que son correspondant avait fait une revue de presse qui ne lui convenait pas. Le chantre autoproclamé de la démocratie aurait-il oublié ses propres méthodes ?
Et que dire de son départ du pouvoir en 1996 ? Battu à la régulière par Kérékou, il n’a pas hésité à user de toutes les manœuvres possibles pour retarder l’inévitable passation. Pourtant, aujourd’hui, il se pose en donneur de leçons, comme si l’histoire n’avait pas de mémoire.
«Moi, je n’ai jamais mis quelqu’un en prison. Je n’ai jamais mis des gens en exil»
Cette affirmation de l’ancien président Nicephore Soglo est fausse. Sous son mandat, il y a eu bel et bien de la persécution politique assez flagrante. La première victime de son régime fut le Feu Albert Gandonou. Militant politique et professeur de grammaire et de stylistique françaises, le président-fondateur du mouvement Chrétiens pour changer le monde (Cpcm) est mort mardi 30 juillet, non sans dent contre le premier président de l’ère du Renouveau démocratique.
Albert Gandonou a surtout mené un militantisme politique agité et périlleux en tant que membre du Parti communiste du Bénin (PCB) depuis sa création en 1977. Son activisme pro démocratie et justice lui a valu de connaître l’exil et la prison. Il fait partie des tout premiers détenus politiques sous le président Nicéphore Soglo.
En effet, il a été arrêté un «jeudi noir», le 25 juillet 1991 avec neuf compagnons. Il passera ensuite 8 mois en prison. Leur procès a d’ailleurs fait la Une du quotidien national du 19 septembre 1991. L’un de leur compagnon eu moins de chance : Segla Kpomassi, puisqu’il a été fusillé au marché d’Azovè le dimanche 16 septembre 1990 «par un gendarme aux ordres du ”Renouveau démocratique”.
Albert Gandonou raconte cette «croix» qu’il a vécue, dans une autobiographie minutieuse de 300 pages intitulée : ” Lettre de prison. Chronique d’une détention politique sous le ”Renouveau démocratique” au Bénin» (Éditions de l’Etincelle, 2011). L’ouvrage-épistolaire est adressé à sa fille, Finafa auprès de qui il justifie son engagement politique qui a fait de nombreuses victimes collatérales accusées de complicité (mère, oncle, parents matraqués, emprisonnés à cause de lui). Finafa, élève au moment des faits, aurait voulu qu’il abandonne tout ça pour être près d’elle, en paix en famille.
Albert Gandonou montre la mue du Renouveau démocratique en ”autocratie démocratique”. Il l’illustre en racontant avec rigueur, la purge subie par exemple par la Région Sakété-Ifangni étiquettée comme nid de «communistes et démocrates» nocifs. Le Bénin était donc retombé dans l’Etat de non-droit et d’autoritarisme que l’historique conférence des forces vives de la nation était censée avoir enterré.
Albert Gandonou, qui a démissionné de son poste de professeur en Côte d’Ivoire, dirigea dans ce pays la section de l’Association pour le développement économique, social et culturel d’Ifangni (Adesci), une sous-section préfectorale de l’Adesco (créée en 1986) qui, elle, concerne tout le département de l’Ouémé dont le chef-lieu est Porto-Novo.
Il était donc marqué comme un fauteur de trouble et a échappé à des tentatives d’assassinat. Dans ”Lettre de prison”, il raconte la précaire vie des prisonniers, montre que la prison est remplie de gens sans histoire victimes de méchanceté. Il se désole surtout de la répression des masses paysannes par le régime du président Soglo.
Sous Kérékou II, la loi d’amnistie n°96-028 du 22 décembre 1998, a été votée. Elle «reconnaissait enfin officiellement le caractère politique» de la détention d’Albert Gandonou et d’autres camarades à travers le pays. Hélas «rien n’est fait pour réparer les torts et les préjudices qu’on nous a injustement causés. Mais, je l’ai dit, la lutte des classes continue et elle doit se poursuivre jusqu’à la victoire finale !»
Pour conclure
Le président Nicéphore Soglo a contribué à l’essor du Bénin. Nul ne le lui conteste. Mais il serait bon qu’il évite de réécrire le passé à sa convenance. Le Bénin doit avancer, et les anciens présidents sont attendus dans le rôle de sages conseillers plutôt que celui de pyromanes. Gouverner, c’est prévoir, mais savoir se retirer avec dignité en fait aussi partie.