Home Débats Hervé BRIAND, Senior Sahel Analyst : « Le Jnim est sans doute devenu ces derniers temps l’acteur le plus létal au Sahel »
« Le Jnim est sans doute devenu ces derniers temps l’acteur le plus létal au Sahel »

Hervé BRIAND, Senior Sahel Analyst : « Le Jnim est sans doute devenu ces derniers temps l’acteur le plus létal au Sahel »

Par Arnauld KASSOUIN
0 Commentaire

Le Jnim gagne de plus en plus de terrain. Du sahel central en Afrique de l’Ouest, son influence se fortifie malgré les initiatives gouvernementales. Dans cet entretien, Hervé BRIAND, Senior Sahel Analyst, y détails et analyse l’implication croissante du Jnim en Afrique de l’Ouest.

Bénin Intelligent : Du Sahel central en Afrique de l’Ouest, le JNIM est considéré comme l’acteur le plus létal. Confirmez-vous cet de choses ? Et pourquoi ?

Hervé BRIAND : Le JNIM (Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn), soit le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (Gsim), créé en 2017, est sans doute devenu ces derniers temps l’acteur le plus létal au Sahel. Le Gsim/Jnim regroupe en effet plusieurs katibats d’origines et d’ethnies diverses (Touaregs, Arabes, Peuls…), dont notamment les combattants d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), du Front de Libération du Macina (Flm), d’Ansar Dine (AD), la katibat Al-Mourabitoune (AM,), puis Ansarul Islam (AI)… Il a pleinement adopté l’idéologie d’Al-Qaïda qui est bien plus étendue et ancrée au Sahel que celle des autres Groupes Armés Terroristes (GAT), via une doctrine radicale essaimée par les cadres, notamment arabes, de l’organisation terroriste.

Cette idéologie radicale du Jnim, patiemment construite et diffusée partout au Sahel par ses ramifications, fait donc de lui le levier principal d’ Al-Qaïda en Afrique, qui n’a ainsi de cesse de convaincre idéologiquement ses sympathisants, membres et nouvelles recrues, au-delà du simple aspect financier.

La guerre hégémonique menée par le Jnim au Sahel est aujourd’hui devenue hybride.Cela fait également la force du Jnim et ce, en premier lieu dans sa lutte armée, assimilée au “jihad de l’épée”. Pour ce faire, le Jnim utilise tous les moyens nécessaires : guerres locales, assauts armés, engins explosifs improvisés (Ied), enlèvements, harcèlement, persécutions, “zakats obligatoires” mais aussi enrôlements volontaires, alliances ou coopérations ponctuelles avec certains GAT locaux plus opportunistes… Cette guerre hybride se manifeste aussi sur le terrain à travers la communication externe du Jnim auprès des jeunes locaux, via les divers discours de propagande bien rodés, réunions locales, revendications, ou par les écrits, les vidéos et les audios de l’organisation. Ce jihad souvent médiatique, qui s’assimile au “jihad de la parole”, est également crucial pour le Jnim dans la course à l’endoctrinement, puis l’enrôlement des jeunes hommes combattants ou recrues logisticiennes (hommes et femmes).

Depuis 2022, il est constaté que le Jnim gagne de plus en plus de terrain. Comment expliquez-vous à cet effet, sa montée en puissance en Afrique de l’Ouest ?

Depuis 2022, le Jnim, autrement appelé Al-Qaïda au Sahel (AQ-S), joue en effet à ce titre, une véritable “guerre d’influence” avec son “adversaire/concurrent”, l’État Islamique au Sahel (EI-S), anciennement État Islamique au Grand Sahara (EIGS), notamment dans la zone dite des “trois frontières”, située à cheval sur les trois pays “frères”, le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Les cadres terroristes du Jnim ont en effet pleinement conscience du “danger” que représente pour eux l’expansion de l’État Islamique (EI) et de son influence sur cette zone. C’est à ce titre, que le Jnim défend avec véhémence et par tous les moyens son hégémonie idéologique et doctrinaire dans cette zone sahélo-saharienne et combat donc les incursions et les bases de l’EI-S.

On observe en outre depuis quelques mois un inquiétant changement de stratégie de la part des jihadistes du Jnim qui, depuis le Burkina Faso et le Niger, cherchent à étendre encore leur zone d’influence vers les pays côtiers sahéliens.

Offensive meurtrière

En effet, le 8 janvier 2025, une attaque terroriste meurtrière a visé l’armée béninoise au “Point Triple” dans la commune de Banikoara, région enclavée mêlant savanes et forêts à la frontière entre le Bénin, le Niger et le Burkina Faso. Cette offensive, ayant causé la mort d’au moins 28 soldats béninois, dans le nord du Bénin, visant une position fortement militarisée de l’opération “Mirador” dotée de nombreuses armes collectives et de drones d’observation, est inédite tant par son ampleur que par les pertes subies par l’armée béninoise.

Ce bilan équivaut à un peu plus de la moitié des pertes globales subies depuis le début des infiltrations jihadistes dans les zones frontalières du pays avec le Burkina Faso et le Niger. Le fait marquant est que cette attaque de grande ampleur sur cette zone a été revendiquée pour la première fois par le Jnim. Après cette revendication on peut dire que le Bénin fait bien désormais réellement face au terrorisme sahélien, dont les attaques se sont ainsi multipliées sur son sol depuis plusieurs années.

De même, au Togo, dans la région des Savanes, frontalière du Burkina Faso, la première attaque terroriste, enregistrée en mai 2022, avait visé un poste militaire. Le délai le plus long entre deux attaques dans l’extrême nord du Togo se compte désormais en semaines et non en mois, selon un rapport de la Fondation Konrad Adenauer. Ces attaques visent des positions militaires, mais aussi des villages et se doublent de l’utilisation d’engins explosifs improvisés qui rendent dangereux les déplacements dans certaines zones de la préfecture de Kpendjal, la plus touchée par l’insécurité. Depuis l’an dernier, la zone d’action des terroristes au Togo s’est étendue. Auparavant cantonnée aux zones frontalières, elle concerne désormais le canton du Borgou qui ne touche pas le Burkina Faso où est basée la katibat, active dans cette région, affiliée au Jnim.

S’il y a bien un fait, surprenant plus d’un, dans l’extension du Jnim vers les pays côtiers, c’est sa coexistence avec d’autres groupes insurrectionnistes. De fait, quelle interprétation peut-on faire de la combinaison idéologique jihadiste globale avec sa lecture pragmatique des réalités locales ?

Le Jnim ne collabore en principe qu’avec des mouvements islamistes ou des groupes qui lui prêtent allégeance. Il a une doctrine islamique ultra-radicalisée adoubant le “Jihad Global” (Global Islamic Front), c’est-à-dire entreprendre le “jihad” partout dans le monde, créer des alliances, de circonstance ou non, donc en Afrique, et bien entendu au Sahel, qu’il considère désormais comme son territoire privilégié, après ses tentatives infructueuses au Maghreb. Il s’agit donc pour le Jnim d’imposer sa doctrine et “sa charia” et les étendre désormais partout en territoire sahélo-saharien, notamment vers les pays côtiers, en vue d’un accès à la mer, pouvant se révéler précieux, via le Golfe de Guinée. Cette idéologie jihadiste globale du Jnim se combine alors fort aisément avec la lecture pragmatique des réalités locales et l’alliance opportune avec certains GAT, notamment dans le cas de conflits politiques, d’enlèvements d’otages, de rançonnages et de zakats “ciblés”.

À cet égard, la porosité entre certains membres du Cadre Stratégique Permanent (CSP) au Mali et le Jnim, ou certaines alliances de circonstance, sont un secret de polichinelle. De même, notons la création ces derniers mois d‘un nouvel émirat, à cheval sur le Burkina Faso, le Niger et, de plus en plus, le nord du Bénin, à partir du sanctuaire offert par le parc naturel du “W”. L’émir s’appelle Abou Anifa, un Peul djegobé burkinabé d’Ansaroul Islam (AI), affilié au Jnim. Son bras droit est un Béninois, Abdoul Hakim, et le chef militaire un Nigérien de Torodi, Abdoul Karim, originaire du Burkina faso. Les populations peules se voient ainsi malheureusement de plus en plus stigmatisées, comme auparavant au Mali, au Burkina Faso et, dans une moindre mesure, au Niger.

Pensez-vous que les stratégies de contre-terrorisme en vogue dans la sous-région Ouest-africaine francophone ont une chance de contrer efficacement aujourd’hui l’avancer du Jnim dans les Etats côtiers ?

Je ne suis pas certain que les stratégies actuelles de contre-terrorisme dans la sous-région Ouest-africaine francophone, dont “l’initiative d’Accra” au Ghana, soient suffisantes pour contrer efficacement l’avancée inquiétante du Jnim dans les États côtiers. Depuis plusieurs années, malgré les opérations militaires préventives “Koundjoaré” au Togo ou “Mirador” au Bénin, pour fortifier leurs frontières, les régions Nord des pays côtiers sont confrontées à la menace terroriste qui déborde du Sahel. “L’avancée des groupes jihadistes au Bénin et au Togo est claire, même si elle peut passer inaperçue parce qu’elle est lente”, affirme un rapport de la fondation Konrad Adenauer. Si ces incursions du Jnim restent encore sporadiques au Ghana, elles sont désormais plus nombreuses au Togo et continues depuis quelques mois au Bénin, qui pourrait représenter pour l’organisation un “corridor” pour le Golfe de Guinée.

Au Bénin, depuis 2019, année marquée notamment par l’enlèvement de deux Français et le meurtre de leur guide béninois dans le parc de la Pendjari, une cinquantaine de membres des Forces de défense et de sécurité aurait été tuée dans des affrontements directs avec des jihadistes. Un chiffre à mettre en rapport avec les prés de 70 militaires qui ont, au total, perdu la vie sur la même période.

« Renseignements humain, nomade »

Pour combattre en profondeur l’endoctrinement par le Jnim ou l’enrôlement dans les GAT de jeunes désœuvrés (financièrement et/ou idéologiquement), il convient surtout de reconstruire localement un tissu social et économique qui puisse apporter à ces derniers une réelle alternative immédiate. C’est essentiellement par l’emploi des jeunes en zone urbaine, les aides aux cultivateurs ou éleveurs en milieu rural, et l’accès pour toutes et tous à l’Éducation, que les États en proie au fléau du terrorisme ou de l’extrémisme violent parviendront réellement à redonner un espoir alternatif et un avenir économique indispensable aux jeunes “candidats” poussés, souvent par dépit, vers l’islamisme radical le plus absolu…

Enfin, on combattra aussi ce “jihadisme doctrinaire” défendu par le Jnim ou le jihadisme plus “opportuniste” de l’EIS, essentiellement par une adhésion, une implication des populations locales et son “appropriation” des nouvelles méthodes de lutte contre le terrorisme : observations, utilisations de drones en tous genres (artisanaux ou non), mais aussi et surtout le “Renseignement humain, nomade” qu’il convient de valoriser bien davantage partout dans la zone sahélo-saharienne.

Selon-vous, quel État Ouest-africain francophone est le plus exposé aux menaces terroristes ?

Comme je vous l’ai dit, le Bénin me semble plus exposé, mais le nord du Togo et le Ghana anglophone ne me semblent plus aujourd’hui autant préservés qu’hier. L’accès au Golfe de Guinée, visée potentielle des GAT, passera évidemment prioritairement par l’un de ces trois pays. Les attaques observées depuis deux ans dans le nord du Togo, du Bénin, du Ghana et à la frontière de la Côte d’Ivoire signalent ainsi une menace qui se rapproche et des cellules dormantes qui s’installent. Alors que les jihadistes se contentaient jusqu’à présent de petites incursions en territoire béninois, on sent désormais qu’ils cherchent de nouvelles terres où s’installer de manière plus permanente.

S’il ne faut pas nier les efforts militaires régionaux actuels, particulièrement ceux du Bénin (et du Ghana), la menace jihadiste dans les pays du golfe de Guinée est toujours bien réelle. Car l’État Islamique (EIS / ISWAP), tente lui aussi de se tailler un nouvel accès au corridor menant à l’océan atlantique, via le Bénin, en contournant le Jnim.

Notons aussi un nouveau armé, “Lakurawa“, qui fait des ravages à la frontière Nigéria-Niger. Il attaque des villages dans des coins reculés du nord-ouest du Nigéria et de l’autre côté de la frontière avec le Niger, faisant peser de nouvelles menaces sur deux pays qui souffrent déjà d’un conflit prolongé impliquant plusieurs autres groupes, dont Boko Haram. La plupart des combattants Lakurawa auraient entre 18 et 50 ans et parleraient le fulfulde, le haoussa et l’arabe.

« Sud Sahélien… »

On peut enfin se placer dans la perspective de ces GAT, rivaux du Jnim (Al-Qaïda au Sahel/AQ-S), qui seraient de tenter, à plus ou moins long terme, de faire dans cette zone la jonction de l’EIAO/ISWAP (État Islamique en Afrique de l’Ouest) avec l’EIS/EIGS (État Islamique au Sahel/ex État Islamique au Grand Sahara).C’est exactement la création de cet “ARC ISLAMISTE SAHÉLIEN”, soit la jonction des deux factions les plus sanguinaires de l’État Islamique, l’ex-Boko Haram (EIAO/ISWAP) au Nigéria avec l’État Islamique au Sahel (EI-S) sévissant actuellement surtout au Mali, Burkina Faso et Niger, qu’il convient urgemment de tenter d’entraver et de briser.

Après jadis la volonté des jihadistes de créer un possible “califat Islamique” au Maghreb (Algérie), puis désormais dans les territoires de la Confédération ou de l’Alliance des États du Sahel (CES/AES), composé du Mali, du Burkina Faso et du Niger, c’est en effet également plus au sud sahélien que la menace est aujourd’hui davantage prégnante.

Pourquoi le JNIM semble emporter sur tous les autres groupes recourant au terrorisme en Afrique de l’Ouest par son influence et par sa capacité de nuire ?

Le Jnim se distingue en effet de certains mouvements terroristes extrêmement violents en ciblant essentiellement les combattants (Wagner/Africa Corps) et les militaires des Forces Armées. Ce mode opératoire est à contrario de GAT, tels l’État Islamique en province d’Afrique de l’Ouest (EIAO/ISWAP) et, dans une moindre mesure, Boko Haram (JAS), tous les deux au Nigéria, qui “ciblent” également les civils, y compris musulmans (tueries ou enlèvements), autant que les militaires. Cette doctrine du Jnim “ciblant” majoritairement les militaires locaux ou les combattants occidentaux et russes, et non les civils, pour la plupart musulmans, est davantage “tolérée” par certains adeptes de cet extrémisme violent. Cela engendre ainsi davantage de complicités sur un plan logistique (nourriture, renseignements, relais, caches…).

Mais aussi sur le plan du recrutement et de la capacité du Jnim à nuire et être davantage présent en profondeur au sein même des populations.

« Vocations morbides »

La vision du Jnim est ainsi considérée beaucoup moins sectaire et moins “sanctuarisée” que l’État Islamique (EI) jugée souvent trop “sanglant”, indiscreminé et plus opportuniste. Afin d’attirer davantage de partisans et d’obtenir le soutien local, certains chefs jihadistes distribuent aussi de l’argent, des outils agricoles, des engrais, des semences et des machines de pompage d’eau aux habitants dans le besoin. Les villageois qui ne coopèrent pas avec les dirigeants du groupe sont confrontés à des menaces et à des attaques.

En outre, le Jnim s’appuie aussi sur des “cadres” locaux parfois connus ou reconnus (Touregs, Peuls ou Arabes…), et jugés plus “sûrs” et plus expérimentés par ses jeunes membres, ce, dans le cadre d’un “jihad global” qu’il défend. Enfin, certains interlocuteurs font part de “l’aura” que représente encore aujourd’hui les anciens idéologues et doctrinaires, tel l’ex-émir algérien d’Aqmi, Abdelmalek Droukdel, plus connu sous le nom de guerre Abou Mossaab Abdelouadoud (“neutralisé” par l’armée française), mais aussi les combattants, jugés parfois légendaires par les moudjahidines eux-mêmes, tels (feu) Mokhtar Belmokhtar, suscitent malheureusement encore toujours des vocations morbides dans la mouvance jihadiste.

LIRE AUSSI :

Lire aussi

Laisser un commentaire

A propos de nous

Bénin Intelligent, média au service d’une Afrique unie et rayonnante. Nous mettons la lumière sur les succès, défis et opportunités du continent.

À la une

Les plus lus

Newsletter

Abonnez-vous à notre newsletter pour être notifié de nos nouveaux articles. Restons informés!