Face à la crise que traverse la Cedeao, le président Patrice Talon a lancé vendredi 20 juin, un appel pressant à une véritable intégration économique régionale, lors du sommet initié par son homologue nigérian Bola Ahmed Tinubu. Il a souligné que ce rendez-vous arrive « à point nommé parce que notre région traverse une crise de confiance et de partenariats affirmés ». Selon lui, malgré le potentiel du marché ouest-africain, « nous sommes dans le monde, l’économie la moins intégrée régionalement », alors même que nos économies sont « complémentaires comme nulle part ailleurs ».
Dans un ton ferme, il a dénoncé les dysfonctionnements des initiatives régionales comme le gazoduc Wapco ou le marché régional de l’électricité, et les obstacles à la libre circulation des personnes. « Il ne faut plus d’une journée pour aller de Lagos à Abidjan », a-t-il déploré, en pointant les tracasseries administratives.
Pour Patrice Talon, « si nous ne partageons pas le même idéal économique, c’est plus grave que de ne pas partager le même idéal démocratique », car « l’économie, c’est la survie », et « la pauvreté est la mère de toutes les catastrophes ».
Conscient de la lourde responsabilité qui incombe aux dirigeants, il a affirmé que « Notre échec principal, et qui est la cause de notre sous-développement, c’est bien notre incapacité à mettre en œuvre notre idéal ». Il ajouté que « ce sont donc l’ensemble des divers responsables de l’Afrique, du plus haut niveau jusqu’au plus bas, qui sont responsables de la non-mise en œuvre de notre idéal ».
Saluant l’initiative du sommet, il a annoncé un engagement fort avec le Nigeria. « Le président Tinubu et moi, nous sommes d’accord pour que le Bénin et le Nigéria intègrent l’économie de manière effective », a-t-il déclaré, tout en interpellant les ministres des deux pays pour passer des intentions aux actes.
Voici un extrait de sa déclaration lors du sommet
Ce sommet arrive à point nommé parce que notre région traverse une crise de confiance et de partenariats affirmés.
Nous avons une institution régionale, la CEDEAO, qui est un bel instrument de coopération et d’intégration, mais qui malheureusement, ces temps-ci, est en crise. Mais ceci ne doit pas nous paralyser et nous empêcher d’aller à l’essentiel qui est un véritable besoin d’intégration de nos communautés tout au moins au plan économique. Notre idéal d’avoir une intégration régionale qui concerne l’économie, la sécurité, la politique, la démocratie, les libertés est en mal, mais le besoin d’une intégration économique est indispensable et je remercie le Président Tinubu d’avoir initié ce sommet.
Le marché ouest-africain est le plus apte, le marché qui donne le plus de potentiel à une intégration permettant une économie prospère.
Nous sommes des économies qui se complètent comme nulle part ailleurs et pourtant, nous sommes dans le monde, l’économie la moins intégrée régionale. Je vais vous donner un exemple, nous avons mis en place avec une certaine satisfaction dans le passé le WAPCO, cette organisation qui fait que le gaz passe du Nigeria jusqu’au Ghana en traversant le Bénin et le Togo pour alimenter les besoins en énergie et en production électrique. Et au moment où ça a été fait, le débit était compatible avec les besoins.
Aujourd’hui, cet instrument, cette organisation, cet outil ne répond plus aux besoins, est trop faible pour alimenter nos divers pays en gaz. Le Bénin essaye depuis quelques temps d’avoir de plus de gaz, soit par le Ghana, soit par le Nigéria, au-delà de ce qui est offert à travers WAPCO, mais jusqu’à la date d’aujourd’hui, nos diverses administrations n’ont pas été capables d’accompagner cet organisme pour aller au-delà de ce qui a été fait et qui est embryonnaire dans le passé et qui ne suffit plus aujourd’hui à satisfaire les besoins. Le Bénin est en train d’installer une plateforme de fer serré pour importer du gaz liquéfié du Qatar, pour le regazéifier sur cette plateforme et servir son industrie.
C’est une aberration. Nous avons cette même aberration au niveau du marché de l’électricité. Nous avons mis en place une structure régionale pour le marché de l’électricité, mais il ne fonctionne pas et je doute qu’il soit capable de fonctionner dans les années à venir.
Mais un autre exemple plus banal qui concerne nos concitoyens ordinaires qui veulent aller de Lagos à Abidjan et qui doivent traverser le Bénin, le Togo, le Ghana avant d’y aller. Les routes existent, mais à cause des tracasseries qu’on observe sur nos frontières et sur nos voies, il ne faut plus d’une journée pour aller de Lagos à Abidjan. Si nous voulons intégrer nos économies, faciliter les échanges et que un homme d’affaires qui doit aller à Abidjan en quelques minutes par la route doit mettre un jour, deux jours et parfois même dormir à une frontière parce qu’on lui réclame un document qui n’a pas de sens, parce qu’on veut qu’il paye, qu’il ne veut pas payer.
Monsieur le Président, Messieurs les Présidents, nous ne parviendrons jamais à impulser une véritable intégration de nos économies.
Mes chers amis, il est temps que l’Afrique fasse les efforts nécessaires.
Il est temps que nos administrations, nos politiques fassent les efforts nécessaires pour réellement intégrer nos économies parce que si nous ne parvenons pas à le faire, nous resterons dans une communauté de pauvreté. Je veux dire à nos compatriotes que si nous ne partageons pas le même idéal démocratique, que si nous ne partageons pas le même idéal de liberté, que si nous ne partageons pas le même idéal politique, c’est moins grave que de ne pas partager le même idéal économique. L’économie, c’est la survie.
Et la pauvreté est la mère de toutes les catastrophes. Si nous ne parvenons pas à sortir nos pays de la pauvreté, la démocratie sera compromise. Les libertés seront compromises, la politique sera compromise.
Je ne banalise pas l’idéal de démocratie qui est important. Je ne banalise pas l’idéal de liberté qui est important parce que ça concourt de la dignité humaine. Mais je veux dire que ces idéals qui sont majeurs et supérieurs peuvent être mis en cause par la pauvreté si nous ne faisons pas des actions qu’il faut pour nous développer collectivement.
L’Afrique a les mêmes idéaux que le reste du monde. Ce n’est pas la volonté qui nous manque, mais nous ne parvenons pas à faire aboutir nos idéaux.
Et notre échec principal, et qui est la cause de notre sous-développement, c’est bien notre incapacité à mettre en œuvre notre idéal. Et ceci est de la responsabilité de nos leaders, nos responsables. C’est de la responsabilité de nos collaborateurs, c’est-à-dire les ministres. C’est de la responsabilité des cadres de nos ministères. C’est de la responsabilité de notre administration globale. Ce sont donc l’ensemble des divers responsables de l’Afrique, du plus haut niveau jusqu’au plus bas, qui sont responsables de la non-mise en œuvre de notre idéal.
Et c’est pour cela, monsieur le Président Amhed Tinubu, que votre appel à une action commune pour la complémentarité et l’intégration de notre économie, qui relève du rôle des chefs d’État que nous sommes, est à saluer. Ce n’est pas pour moi une manière d’excuser les chefs d’État et d’exprimer que notre rôle dans notre échec est infime. Non, nous avons notre part de responsabilité dans l’échec.
Je veux parler des chefs d’État, des principaux responsables au sommet de l’État. Mais cette responsabilité de cet échec ne relève pas seulement de cette insuffisance des chefs d’État que nous sommes. Tellement les responsables politiques, tellement l’administration ne fait pas ce qu’il faut, que nos populations et nos hommes d’affaires sont obligés de contourner les obstacles de l’administration, d’avoir affaire à l’informel pour échanger entre les communautés d’un pays à l’autre.
Quand on observe les efforts que font nos communautés pour donner un contenu réel à l’intégration et en contournant ainsi l’administration en étant dans l’informel, nous devrons, mes chers présidents, mes chers collègues, mes chers grands frères, nous devrons, chers ministres, chers responsables de l’administration, prendre un nouveau départ pour sortir l’Afrique de la pauvreté en passant par l’intégration éthique.
Le monde entier, notamment les pays développés, les autres régions du monde, sont rentrés dans une phase de défiance de la coopération internationale. La coopération internationale n’est plus aujourd’hui un idéal universel.
L’aide internationale n’existe plus et n’existera plus. Et le seul moyen pour nous, pour nos populations, de sortir de la pauvreté est que nous fassions les efforts qu’il faut sur nous-mêmes pour nous développer. Les États-Unis sont en train de nous donner une leçon incroyable.
On observe le pays le plus puissant du monde économiquement, le plus puissant, qui est en train de défendre ses intérêts au centime près, au mépris de la coopération internationale. Cette déclaration à la limite de gains commerciaux que les États-Unis ont déclarés au monde entier est une façon de nous réveiller. A la limite, nous devrions saluer le président Trump pour ce coup de fouet qu’il nous donne.
J’ai envoyé la semaine d’il y a quelques jours au ministre des Finances porter un message au président Tinubu pour la préparation de ce sommet et j’ai prié le grand frère Tinubu d’accepter que le Bénin et le Nigéria soient les pionniers du passage à un nouveau palier en termes d’intégration. Nous sommes de la CEDEAO, nous avons des textes extraordinaires concernant l’économie, concernant l’intégration, mais on n’a pas beaucoup bougé. J’ai demandé au président Tinubu que le Bénin était prêt pour être un pionnier avec le Nigéria pour passer une étape réelle, concrète d’une intégration économique.
Pour finir, je voudrais dire et vous prendre à témoin, prendre toute la salle à témoin, prendre les citoyens du Nigéria, du Bénin à témoin que le président Tinubu et moi, nous sommes d’accord pour que le Bénin et le Nigéria intègrent l’économie de manière effective. Nous sommes d’accord. Nous avons donné les consignes qu’il faut à nos divers collaborateurs et maintenant, je veux interpeller mes ministres, y compris celui qui est en train de faire la traduction, celle qui est assise, mon ministre du Commerce, ceux qui sont dans la salle.
J’interpelle les ministres du président Tinubu qui sont derrière lui, la ministre du Commerce tout à l’heure qui est passée pour que notre volonté, notre instruction d’aller plus loin dans notre intégration soit une réalité et c’est désormais de leur responsabilité. Président Tinubu, il faudrait que vous et moi, que le Bénin et le Nigéria qui sont deux pays siamois, du sud au nord, nous sommes exactement les mêmes. A tout point de vue, je voudrais que nous soyons les pionniers de cette nouvelle dynamique.
Dieu bénisse l’Afrique de l’Ouest. Merci.