L’ombre du JNIM sur les pays côtiers ne fait plus aucun doute. Du Sahel central vers le golfe de Guinée, la situation sécuritaire s’enlise et se dégrade. Sur plus de dix attaques directes entre janvier et juin 2025 au Bénin, 95 % d’entre elles sont signées JNIM. Face à cette expansion, plutôt pensée que circonstancielle, Dr Seidik Abba, journaliste et écrivain, invite à la retenue et à l’action. En effet, pour le président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (CIRES), « il n’y a pas de fatalité ». Il démontre, à travers cet entretien, l’importance pour l’espace CEDEAO — et particulièrement pour le Bénin — de coopérer avec les pays du Sahel central. Parce que la stabilité continentale en dépend. « Une déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel va automatiquement entraîner une instabilité du reste du continent », argumente l’auteur de “Mali – Sahel : notre Afghanistan à nous ?”
Arnauld KASSOUIN : L’expansion du JNIM vers les pays côtiers, notamment le Bénin et le Togo, obéit-elle à une logique de conquête territoriale durable ou à un simple repli tactique ? Quelle dynamique fondamentale sous-tend cette stratégie, selon vous ?
Dr. Seidik Abba : Depuis très longtemps, le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim) qu’on appelle également le JNIM a un agenda d’extension territoriale de sa menace au Sahel Central. Comme vous le savez, le JNIM est composé principalement, mais pas exclusivement, d’Ansar Dine, de Iyad Ag Ghaly qui garantit sa présence dans le nord du pays (Mali). Le JNIM est composé également du Front de Libération du Macina de Amadou Koufa, que l’on appelle aussi la Katiba Macina qui est présent dans le centre du Mali. De même, il est présent dans la zone des trois frontières qui correspond à la frontière commune entre le Burkina Faso, le Mali, et le Niger.
A partir du territoire malien, ce dernier a poursuivi son extension territoriale au reste du Sahel. Que ce soit au Niger dans la région de Tillabéri ou au Burkina Faso, il a procédé à une extension de ses frontières.
Dr. Seidik Abba
Naturellement, cet agenda d’expansion territoriale va amener l’amener à étendre ses activités aux pays côtiers. Particulièrement, d’abord à la Côte d’ivoire qui l’intéresse, même si les opérations qui ont eu lieu en 2016 à Grand Bassam correspondent aux faits d’un mouvement qui finalement va le rejoindre. Les actions qui sont intervenues en 2020 et 2021 (Kafolo 1 et 2) sur la frontière commune avec le Mali sont des actions qui ont été revendiquées par le JNIM et qui correspondent à cette volonté d’expansion territoriale de porter la menace du Sahel vers les pays du Golfe de Guinée. Les attaques contre le Bénin et le Togo correspondent un peu à cet agenda. Donc, il ne s’agit pas de repli tactique. On ne peut pas parler de repli puisque, parallèlement à cette extension dans les pays du Golfe, le JNIM continue d’asseoir sa présence dans les pays Sahéliens.
Extension territoriale
En plus, il y a comme une extension territoriale de la menace à l’intérieur même du Mali. La présence du JNIM dans la région de Kayes et son avancée vers la commune entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal en est un exemple. Tout cela fait partie en effet de l’agenda d’extension du JNIM. En réalité, je ne vois pas cet agenda d’extension territoriale comme un repli tactique mais plutôt comme une volonté d’avoir davantage de territoire. Sans doute, si un califat devrait se faire au Sahel, ça va être un califat qui va se répartir sur plusieurs pays.
De plus, il est intéressant de voir que lorsque vous prenez les pays du golfe de Guinée, le Bénin par exemple, il n’y avait, au début, qu’un département qui était ciblé. Maintenant, il y a presque deux départements du Bénin qui sont concernés par cette extension. C’est la zone du Pendjari et du parc W. Il y a de fait, une volonté de progression même à l’intérieur du territoire béninois. Parce que les attaques qui étaient aux frontières capacité de plus en plus à l’intérieur du pays. Pour ma part, c’est un agenda d’extension territoriale qui est en train d’être déroulé par le JNIM en Afrique de l’Ouest et au Sahel.
Partagez-vous l’avis de Wassim Nasr, selon lequel le JNIM « n’a pas les moyens d’atteindre et de contrôler la Côte » ?
Oui et non. Oui, parce qu’il y a une volonté du JNIM d’avoir une extension territoriale vers les pays de golfe de Guinée. Sur ce plan, il n’y a pas de débat. Mais que ce soit au Sahel central et dans le golfe de Guinée, le JNIM n’a pas une volonté d’installer une administration. Il fait des actions ponctuelles comme on le voit avec la multiplication des attaques, ensuite il se replie. En tout cas, à l’heure actuelle il n’y a pas dans l’agenda du JNIM une volonté de prendre le contrôle d’un territoire grand et entier. Parce qu’il se poserait alors là le problème de l’administration de ces territoires et le problème d’acceptation de la cohabitation avec les populations.
Le JNIM ne peut pas durablement contrôler des régions entières. Parce qu’il n’a sans doute pas encore les capacités administratives opérationnelles d’assurer le contrôle de vaste territoire. Certes, il peut contrôler périodiquement comme on a pu le voir à Bani Bangou (sud-ouest Niger), faire une incursion et contrôler pendant quelques heures et après repartir sur ces bases. Je crois que sur ce plan, on peut dire qu’il n’y a pas de volonté pour l’instant d’administrer le contrôle entier de vaste pan de territoire. Ce serait un défi que le JNIM ne pourrait pas relever et qui pourrait le fragiliser. Parce que pendant qu’il concentre ses forces à administrer une partie du territoire qu’il a attaqué, ça va le rendre plus vulnérable. Ce qui fera en sorte qu’il ne pourra plus dérouler son agenda d’extension dont j’ai précédemment parlé.
Quelle différence principale notez-vous entre le JNIM et l’État islamique ? Depuis 2020, leurs stratégies ont-elles évolué au Sahel central précisément au Niger ?
Pour moi, il y a beaucoup de différences entre le JNIM et l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS). D’abord, sur le plan de la composition, le JNIM est une fédération de mouvements. J’ai parlé des principaux mouvements qui fédèrent le JNIM. Que ce soit Ansar Dine ou le Front de libération du Macina qu’on appelle Katiba Macina, ou même de la Katiba Gourma qui correspond à peu près à Ansarul Islam au Burkina Faso. On peut voir que dans le JNIM, il y a cette fédération de plusieurs mouvements avec à sa tête aujourd’hui le tandem que l’on connait : Iyad Ag Ghaly (Touareg Malien) et Amadou Koufa (Peul du Mali).
Nous avons aussi le plan de la composition du JNIM et les conditions de sa création qui le différencie. De même, il y a davantage une stratégie d’extension territoriale de la part du JNIM que de l’Etat l’islamique. Le JNIM est présent presque partout au Mali aujourd’hui (le nord, le centre et sud). En plus, il est présent à l’intérieur du territoire Nigérien et Burkinabé. Il a également un agenda d’extension de sa menace qui va vers la rive droite du fleuve Niger. Tout ce qui concerne le parc de la Pendjari ou W, la frontière commune entre le Bénin, le Niger et le Burkina Faso sont à mettre sur le compte du JNIM. Alors que parlant de différence avec l’EIGS, celui-ci est un mouvement monolithique.
Accord tactique entre JNIM et EIGS
Il a une concentration territoriale au niveau de la zone des trois frontières et un peu dans la région de Ménaka, de Tillabéri, et aussi un peu au Burkina Faso. Le deuxième élément de différenciation, c’est que le JNIM est un mouvement qui a très vite compris le bénéfice qu’il pouvait tirer de l’endogénéisation. C’est-à-dire, se passer des cadres maghrébins qui venaient pour être des chefs de Katiba. Les principaux cadres du JNIM aujourd’hui sont des sahéliens (des maliens, des burkinabés et des nigériens). Tandis que dans la stratégie de l’Etat islamique au grand Sahara, sans doute en raison de sa naissance, on voit des leaders étrangers.
En raison de cette nature, on constate que l’Etat islamique a du mal à s’endogénéiser. Il a recruté sans doute des locaux, mais le JNIM est dans une stratégie d’endogénéisation qui est beaucoup plus avancée. Peut-être que l’EIGS n’a pas autant de moyen que le JNIM, parce qu’on remarque qu’il n’a pas vraiment une grande ambition d’extension territoriale. Certes, il fait des opérations. Même si on voit que dans le cas l’EIGS, surtout dans la région de Tawa (au nord-ouest entre Niamey et Agadez) sur la frontière avec le Mali (on sort là de la zone des trois frontières, puisque le Niger à deux frontières avec le Mali), et de Tillabéri, il y a une présence de l’Etat islamique.
JNIM vs EIGS
Il subsiste une différence du point de la stratégie, de l’occupation territoriale, du fonctionnement. On note également des éléments qui sont communs entre les deux mouvements. Puisque, comme vous le savez, une forte rivalité oppose les deux. Toutefois, dans le cas du Sahel, ce que tous les chercheurs ont pu observer, c’est qu’il y a une sorte d’accord tactique entre les deux entités pour que chacun s’occupe de son territoire. C’est vrai qu’il y a eu des périodes où des affrontements ont été très meurtriers.
Quand-même, il y a aussi des périodes comme celle-là où l’autre ne se mêle pas des affaires de l’autre. Ceci est possible parce que le bassin de recrutement est le même. Aujourd’hui, au Sahel, dans la même famille, certains sont dans le JNIM et d’autres de l’Etat islamique. Vous convenez avec moi que s’il y a affrontement, ce sont les mêmes familles qui se mettront à pleurer. Du coup, on voit qu’il y a moins d’affrontements sauf dans les périodes où il y a des règlements de compte parce que quelqu’un a empiété sur le territoire de l’autre.
Entre l’État islamique (présent au Nigeria) et le JNIM (qui fragilise la situation sécuritaire dans le nord des pays ouest-africains), quel acteur représente la plus grande menace pour la sécurité humaine en Afrique de l’Ouest ?
Pour moi, il y a une menace globale dans le Bassin du lac Tchad et en Afrique de l’Ouest. Actuellement, toute la difficulté pour l’Afrique de l’Ouest réside dans le fait que la crise est devenue multiforme. Elle a une dimension, à la fois sécuritaire et même politique avec les coups d ‘Etat successifs qu’on a connus. Elle a également une dimension économique, parce que tous ces jeunes qui sont recrutés par les mouvements djihadistes, n’ont pas de perspectives et de promesse d’emploi. Ce qui fait qu’ils deviennent des cibles vulnérables pour les groupes terroristes. Pour moi, il y a une menace globale, multiforme et contre laquelle les pays n’ont pas réussi à trouver le meilleur paradigme. Ce qui a manqué, c’est l’approche holistique.
Jusqu’ici on a considéré que la réponse devait-être militaire et sécuritaire. On a considéré que l’achat des drones, de chars de combats, des avions de reconnaissance ou de transport peuvent suffire à éradiquer la menace djihadiste. Il y a une multitude de groupes et l’absence de coopération entre les pays pour construire une réponse transfrontalière et régionale me semble être la vraie menace. Les groupes djihadistes eux-mêmes sont déjà une menace. Aussi, l’absence d’une réponse appropriée à la fois par son caractère holistique, transnational et le fait qu’il subsiste beaucoup d’incompréhension entre les pays de la région sont des éléments qui peuvent profiter et renforcer la présence des groupes terroristes.
« L’alliance des chefs locaux avec Iyad Ag Ghali vise… à affaiblir l’EI au Grand Sahara », avez-vous affirmé dans un entretien publié sur Mali Actu, en janvier 2023. Pourrait-on assister, de fait, à de telles confrontations entre les deux entités en Afrique de l’Ouest, vu leur montée en puissance ?
Il y a une stratégie d’évitement, de non affrontement directe entre le JNIM et l’EIGS. Parce que les deux mouvements ont compris qu’une guerre fratricide ou des affrontements entre eux va les affaiblir et pourrait profiter aux Etats qui sont en place. Le JNIM évite l’Etat islamique au grand Sahara et ce dernier fait de même avec le JNIM. Parce que toute confrontation pourrait affaiblir leurs forces. Par exemple, le JNIM ne considère pas l’EIGS comme son ennemi principal. Vice versa en ce qui concerne l’EIGS vis-à-vis du JNIM.
Pour eux, l’ennemi c’est l’État central du Mali, du Niger, ou du Burkina Faso. On observe plus une cohabitation intelligente entre guillemets avec les mouvements. Parce qu’aucun des deux n’a intérêt à affronter l’autre. Même demain, je ne suis pas sûr qu’il y aura une confrontation entre les deux mouvements. Dans leur stratégie, même s’ils ne font pas une alliance entre eux, leur stratégie est de considérer que leur principal ennemi, ce n’est pas l’autre rival. Mais que ce sont les Etats sahéliens, plus particulièrement du Sahel Central.
À court terme, quelle doit être la priorité des États côtiers comme le Bénin pour contrer le JNIM en matière de perspectives ?
Je crois que les Etats côtiers ont tout intérêt à parler avec les Etats du Sahel. Comme, les Etats du Sahel ont d’ailleurs intérêt à parler avec ces derniers. La priorité du Bénin, c’est de pouvoir renforcer les liens de coopération avec le Niger et le Burkina Faso. Quel que soit, les efforts que le Bénin fera, tout seul, s’il n’arrive pas à converser avec les autres Etats, la menace terroriste restera présente. Parce que les groupes djihadistes ne sont pas au Bénin. Ils viennent d’autres pays pour attaquer au Bénin et repartent. S’il y a une coordination opérationnelle, si les pays se parlent, ils peuvent construire des stratégies visant à prendre les groupes terroristes. Tant qu’on ne réussit pas à avoir une coopération, il va toujours y avoir des défis dans un pays comme le Bénin.
Tant qu’il n’y aura pas la possibilité de créer un espace de discussion avec le Niger et le Burkina Faso, la menace sécuritaire va rester. La deuxième priorité pour le Bénin, c’est de tirer des leçons de ce que les pays du Sahel ont fait et qui n’a pas marché, à savoir, la réponse exclusivement militaire et sécuritaire. Il faut qu’à côté des efforts que le Bénin a fait pour équiper son armée, pour construire des garnisons, pour avoir de la surveillance aérienne qu’on associe tous les aspects non militaires du défi terroriste au Sahel. C’est-à-dire la question du chômage des jeunes. Il faut faire en sorte que le jeune ne soit pas recrutable ou de cible facile pour le djihadiste.
Si on peut recruter un jeune à 50000 ou 80000 mille franc CFA, il est clair que la menace restera présente quel que soit les efforts qui auront été faits sur le plan militaire. Il faut, à côté de cela, avoir aussi tout ce qui peut consolider le développement économique et social dans les régions sous menace. Régler les questions d’accès à l’eau potable, de transhumance par exemple. Des questions de justice sociale tout court doivent aussi être intégrées. Il faut construire une réponse holistique et ça, je crois que cela a manqué au Sahel. Mais, il y a de plus en plus d’efforts pour aller vers des réponses holistiques.
Dr. Seidik Abba
Un pays comme le Bénin doit apprendre de l’échec des pays du Sahel. Pour avoir comme je l’ai mentionné une réponse transnationale qui associe les voisins et une réponse régionale. Aussi, tous les aspects qui sont holistiques et qui sont non-militaires doivent être intégrés dans la stratégie. L’autre épisode dont l’expérience à montrer ailleurs des résultats est la possibilité de savoir qui sont ses jeunes se radicalisent. Pourquoi partent-ils ? Et s’il n’y a pas de moyen de récupérer une partie de ses jeunes par des moyens non-militaires.
Le Niger, dans le bassin du Lac Tchad une initiative avait par le passé lancé une initiative de repentir et de pardon qui a connu un franc succès parce que des jeunes qui étaient parties ont découvert qu’ils se sont trompés et ont pu revenir. L’essentiel est que les pays côtiers apprennent des échecs de ce qui n’a pas pu bien marcher dans les pays du Sahel. Et qu’ensemble les pays du golfe de guinée et du Sahel travaillent pour remédier à la question du terrorisme dans la sous-région.
Les mêmes approches sont-elles valables en ce qui concerne l’État islamique, qui s’affirme de plus en plus violemment dans le nord-ouest du Nigéria, frontalier au Bénin ?
Dans le nord-ouest du Nigéria, il y a aujourd’hui un nouveau mouvement qu’on appelle Lakurawa. Ce n’est pas l’Etat islamique. Beaucoup pensent que c’est l’Etat islamique. On peut dire qu’il y a maintenant un quatrième mouvement dans le Sahel Central et le bassin du Lac Tchad. On sait déjà qu’il y a le JNIM, EIGS, ISWAP. Maintenant, il y a un quatrième mouvement qui est né entre Birnin Kebbi et Sokoto. Birnin Kebbi étant la frontière entre le Niger et le Bénin. Les Lakurawas étaient au début un mouvement d’autodéfense créé par des éleveurs pour se défendre du vol de bétail. Mais c’est le fait que certains qui étaient dans la zone des trois frontières avec le Mali se sont infiltrés qui a donné naissance à ce Lakurawa.
En plus, les Lakurawas profitent de l’absence de la coopération entre le Bénin, le Niger et le Nigéria. Il n’y a pas de coopération sécuritaire et militaire entre cette nouvelle zone des trois frontières qui est en train de se créer dans la région de Kandi, Malanville au Bénin et dans la région de Dosso pour ce qui est du Niger puis à Birnin Kebbi et Sokoto pour ce qui est du Nigéria. A mon avis, il est urgent que les trois pays qui sont concernés à savoir le Bénin, le Nigéria et le Niger travaillent ensemble avant que le mouvement ne prenne d’ampleur.
Dr. Seidik Abba
D’après les échos et les enquêtes de terrain, ce mouvement est en train de gagner du terrain avec une politique de terrorisation des populations et de terre brûlée qui consiste à chasser les populations pour gagner du terrain. A mon avis, ce mouvement qu’on appelle les Lakurawas doit être pris au sérieux. C’est pour ça que, j’ai insisté sur la coopération qu’il doit y avoir entre l’alliance des Etats du Sahel et les pays de la Cedeao. Parce que quand vous prenez le Niger, il a besoin de coopérer avec le Bénin et le Nigeria sur les défis sécuritaires. Aussi, quand vous prenez le Togo, il a besoin de coopérer avec le Burkina et le Mali.
Il y a, je crois, une réponse à construire entre les pays de l’AES et les pays de la CEDEAO. Les mauvaises humeurs qu’il y a entre les capitales profitent surtout aux groupes djihadistes. A mon avis, il faut insister sur l’intérêt qu’il y a même si les régimes ne sont pas d’accord, ils peuvent s’entendre sur un minimum en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et pour la libre circulation des personnes et des biens.
Si les pays côtiers échouent à contenir cette menace, quelles pourraient être les conséquences à moyen terme pour la stabilité régionale ? Une “sahélisation” des États du Golfe de Guinée est-elle envisageable ?
Je crois qu’il faille tout mettre en œuvre pour que les pays du Golfe de Guinée ou les pays côtiers puissent trouver une réponse adaptée aux défis sécuritaires. Je ne peux pas, pour ma part, me résoudre à un échec dans ces pays. Un échec des pays du Golfe de Guinée à contenir la menace va faire peser un risque pour la stabilité de l’ensemble du Sahel et de l’Afrique de l’ouest. Une instabilité multiforme, sécuritaire, politique et économique de l’ensemble des pays du Sahel et du bassin du Lac Tchad poserait également un problème pour l’ensemble du continent. Il y a des pays de l’Afrique de l’ouest qui sont à cheval entre les deux régions.
Un pays comme le Niger est à cheval entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Il en est de même pour le Nigéria. Une déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel va automatiquement entraîner une déstabilisation du reste du continent. C’est pour cette raison que je considère qu’il n’y a pas de fatalité. Il y a une possibilité d’aider les pays de l’Afrique de l’Ouest et des pays du Sahel, particulièrement les pays du Golfe à contenir la menace terroriste. Parce qu’elle n’est qu’à ses débuts. Il y a des efforts qui sont faits par ces pays sur le plan militaire, mais il faut aller au-delà de ces réponses à l’échelon national, pour construire des réponses multiformes qui soient sécuritaires, militaires avec tous les éléments non militaires.
Perspectives
Il faut travailler à avoir des passerelles entre les pays du Golfe de Guinée et les pays du Sahel. Afin qu’il y ait une réponse transnationale et régionale face à la menace. Je crois que nous devons avoir conscience des enjeux. Malheureusement, aujourd’hui on a l’impression que les agendas nationaux ont des considérations un peu nationalistes. Ce qui fait qu’il n’y a pas de coopération assez poussée d’abord entre les pays du Sahel eux-mêmes. Puisqu’il n’y a pas un niveau de coopération au-delà des discours. Il n’y a pas encore de brigade mixte Nigéro-malienne, Burkinabé-malienne ou des trois pays qui travaillent ensemble. Pour le moment, c’est à l’agenda, ce n’est pas encore fait. Donc, il y a des progrès à faire sur la construction d’une réponse transnationale.
A l’intérieur des pays du Sahel, il y a des progrès à faire aussi dans la construction d’une réponse entre les pays de l’AES et les pays du Golfe de Guinée. C’est en cela qu’à mon avis, on doit travailler ensemble. Pour ma part, il n’y a pas de fatalité, il y a des possibilités de trouver une réponse aux défis sécuritaires. Cela prendra du temps. Il faut beaucoup d’effort et d’intelligence. Pour prendre un exemple puisqu’on parle de « sahelisation » ou « d’afghanisation », la comparaison n’est pas raison. Vous savez, malgré que l’armée américaine ou les forces occidentales avaient déployés 140 000 soldats en Afghanistan, les Etats-Unis ont fini par s’asseoir à la table de négociation avec les talibans.
Destin commun
Nous, on ne va pas, peut-être, avoir besoin de s’asseoir à une table de négociation, mais c’est pour montrer qu’une réponse exclusivement militaire ne va pas suffire. Si on construisait une réponse avec les éléments que j’ai évoqués plutôt, je considère qu’il y a une solution. Cependant, il faut absolument empêcher que les pays du Golfe de Guinée échouent à apporter une réponse aux défis sécuritaires. Parce que s’ils échouent, ça va créer des conditions d’une instabilité d’une sous-région qui peut favoriser une déstabilisation de l’ensemble du continent. En plus, l’Afrique centrale n’est pas loin, l’Afrique du nord non plus.
Le Mali est frontalier de l’Algérie, le Niger est frontalier de l’Algérie et de la Libye. S’il arrivait qu’on soit confronté à une déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest, automatiquement on aura une déstabilisation de l’Afrique centrale et celle du nord. C’est pour cela qu’on doit travailler à construire une réponse qui permette aux pays du Golfe de Guinée où la menace est encore très précoce. Elle n’est pas pour le moment durablement implantée. Pour schématiser, dans le cas du cancer, quand il est déclaré très tôt, il y a plus de moyen de le traiter que s’il s’est déjà métastasé. Dans le cadre des pays côtiers, la menace est encore à ses premiers stades.
Il faut empêcher qu’elle se développe. Si les groupes terroristes réussissent à faire la jonction entre le Sahel et l’Afrique de l’Ouest (les pays du Golfe de Guinée), ce sera l’instabilité d’un continent qui a d’autres urgences que de dépenser autant d’argent dans ces questions militaires et sécuritaires.
Dr. Seidik Abba
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