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[Réflexion du Père Gbédjinou] L’Eglise a-t-elle le droit d’avoir part à l’héritage culturel endogène ?

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Le Père Rodrigue Gbédjinou, prêtre de l’Archidiocèse de Cotonou, docteur en théologie dogmatique se prononce pour la première fois sur la polémique liée à l’initiative de ”cérémonie des jumeaux” dans l’ Eglise catholique. A travers une conférence de presse, samedi 26 novembre à l’Eitp en marge de la soirée théologique ”Foi-développement-culture”, il a livré aux professionnels des médias, partant de cette récente actualité, sa réflexion sur Eglise, culte et cultures endogènes. « La foi chrétienne, a-t-il déclaré, ne peut …se référer, en termes de culte, au panthéon endogène. Elle est basée sur le monothéisme « Un seul Dieu » et la monolâtrie « tu adoreras », alors que le panthéon africain relève ou du polythéisme ou du monothéisme polylatrique auquel s’oppose objectivement le monothéisme trinitaire ». Or, dit-il, « La foi chrétienne repose sur l’accueil et la suite du Christ dont l’incarnation s’est opérée avec des accents culturels. Le Fils de Dieu s’est inséré dans une culture qu’il a assumée en la purifiant de l’intérieur. » Rodrigue Gbédjinou soutient que l’ Eglise Catholique a réalisé des performances dans la promotion des cultures africaines mieux que ses détracteurs. Voici l’intégralité de son opinion.

 

L’Eglise a-t-elle le droit d’avoir part à l’héritage culturel endogène ?

 

Cette réflexion est une analyse théologique de quelques éléments de la polémique née d’une célébration catholique relative aux jumeaux. Trahison de la foi chrétienne ou intrusion dans le panthéon vaudou ? Les esprits, enflammés à l’époque, seraient-ils déjà passés à autre chose ? Néanmoins, diverses interrogations demeurent et nécessitent une analyse approfondie.

Cette analyse théologique s’inscrit bien dans le cours des activités de l’EITP, celle de cette soirée théologique, déjà à sa 5ème édition. Ce format (soumission aux questions des journalistes) est une option non seulement pour éviter des débats de sourds, mais aussi pour favoriser un échange serein dont nous espérons une large diffusion.

Mais alors, pourquoi seulement maintenant exposer cette analyse théologique ? La science ne fait pas bon ménage avec la polémique ; sinon elle tombe sous le coup de l’émotion. Or l’enjeu de la question à explorer est fondamental : les chrétiens africains ont-ils le droit d’avoir part à l’héritage culturel africain ? La relation entre la culture et le culte se pose ainsi et je vous propose une réflexion en quatre axes : le défi de la culture et du culte en Afrique ; la spécificité du panthéon endogène ; la foi chrétienne entre culture et culte ; des modalités d’assomption des éléments culturels en pastorale.

1-    Le défi de la culture et du culte en Afrique

La culture décrit des réalités assez complexes et variables. Ses définitions sont plurielles. Culture ou cultures ? De manière générale, la culture est l’âme d’un peuple dont elle exprime la mentalité, les structures de pensée, les références majeures, la sagesse, la vision du monde, l’art, la philosophie, la spiritualité… Elle est le trait distinctif d’une catégorie sociale. Sans culture, l’homme est sans identité.

Le culturel intègre alors le cultuel qui s’en sert aussi pour ses rites. Le cultuel, bien assumé, peut aussi devenir culture. Le culturel peut aussi être si bien intégré au culte qu’il finit par perdre son sens originel. A l’origine, les cauris constituaient une valeur monétaire d’échange. A un moment, ils ont été si bien assumés par certains cultes endogènes qu’on les eût crus d’essence purement religieuse. Mais à leur intégration au logo d’un parti politique, ils ont retrouvé leur sens originel. Le culturel et le cultuel s’intègrent et s’assument donc mutuellement. Même si leur séparation relève à l’étape actuelle de la quadrature du cercle, il faut bien prendre garde de les confondre, surtout dans un univers multiconfessionnel de facto. Là se situe le grave défi de notre Afrique et de notre Bénin : l’imbrication quasi intime entre culturel et cultuel. Comment opérer la distinction nécessaire et vitale, sans laquelle nous nous exposons à des malentendus ?

Cette distinction est assurée par la raison droite. C’est d’ailleurs le travail opéré par tous les peuples par rapport à leur culture et même à leur culte. Nous aussi, nous devons prendre le bon risque de soumettre à la raison droite les mythes de nos peuples comme jadis les premiers philosophes. La qualité et la capacité de l’usage de la raison droite n’existent pas moins chez nous. Même dans l’Afrique pensée totalement endogène, il n’est pas évident que tous pratiquaient la religion des ancêtres ou du moins la vivaient sans interrogations majeures. L’Arbre fétiche de Jean Pliya offre par exemple le cas du bûcheron Dossou1.

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De même, au cœur des structures sociopolitiques les plus structurées comme la cour royale d’Abomey, des voix d’objections s’élevaient, certes pas nombreuses, même de l’intérieur contre les sacrifices humains. Mais elles étaient facilement vite étouffées, par un système ou une culture de peurs transversales. Celles-ci sont si intégrées qu’elles résistent même encore aujourd’hui à la raison ou à la foi éclairée. Serait-ce au regard de cet état de peur que cette fonction d’objectivation de la culture et même du culte, pourtant si vitale, est mise dans la bouche du fou ? Serait-ce au regard de cet état de peur que notre littérature et notre histoire n’ont pas assez magnifié des modèles d’objection, si tant indispensables pour prévenir des ambigüités créatrices de polémiques ? L’analyse des mythes par la raison droite constitue une exigence non seulement pour l’enracinement de la foi chrétienne, mais aussi pour la vitalité de nos cultures. La polémique évoquée nous convoque alors à déterminer si la cérémonie des jumeaux relève du culturel ou du cultuel.

Tout contre l’arbre, il y avait une paillote sous laquelle trônait un bonhomme grossier, schématisé par deux boules d’argile : la petite représentait la tête et l’autre le corps. Au bas de l’énorme abdomen se dressait un phallus en bois. Cette divinité, le Tolègba, familier dans les paysages dahoméens, est très populaire. On l’arrose d’huile de palme quand on lui apporte des offrandes. Il fallut la réduire en miettes » (p. 18-19).

2-    Le panthéon endogène, une spécificité africaine ?

A la quête du Dieu inconnu, nos ancêtres comme jadis ceux d’autres peuples, se sont arrêtés aux réalités connues qui confinaient avec le tremendum et le fascinandum (Rudolf Otto). Parmi ces réalités qui relèveraient du sacré, on pourrait aussi inscrire l’extraordinaire des jumeaux. Porter une vie pendant neuf mois est déjà sublime, et encore aujourd’hui. Et en porter deux, trois, quatre… ? Ce mystère biologique de la gémellité qui n’est nullement le propre de l’Afrique, suscite émerveillement, même après que la science a davantage exploré les faits, mais certainement plus de la même manière.

Les dieux du panthéon endogène constituent-ils alors vraiment une spécificité de notre culture ? Ne se trouvaient-ils pas d’une manière ou d’une autre dans les autres panthéons grec ou romain, ou dans ceux des peuples environnant Israël ? Le livre de la Sagesse, rédigé 50 ans avant JC, et donc qui ne connaissait rien du panthéon endogène béninois, indique :

Oui, vains par nature tous les hommes en qui se trouvait l’ignorance de Dieu, qui, en partant des biens visibles, n’ont pas été capables de connaître Celui-qui-est, et qui, en considérant les œuvres, n’ont pas reconnu l’Artisan. Mais c’est le feu, ou le vent, ou l’air rapide, ou la voûte étoilée, ou l’eau impétueuse, ou les luminaires du ciel, qu’ils ont considérés comme des dieux, gouverneurs du monde ! Que si, charmés de leur beauté, ils les ont pris pour des dieux, qu’ils sachent combien leur Maître est supérieur, car c’est la source même de la beauté qui les a créés. Et si c’est leur puissance et leur activité qui les ont frappés, qu’ils en déduisent combien plus puissant est Celui qui les a formés, car la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur. Ceux-ci toutefois ne méritent qu’un blâme léger ; peut-être en effet ne s’égarent-ils qu’en cherchant Dieu et en voulant le trouver : versés dans ses œuvres, ils les explorent et se laissent prendre aux apparences, tant ce qu’on voit est beauté ! Et pourtant eux non plus ne sont point pardonnables : s’ils ont été capables d’acquérir assez de science pour pouvoir scruter le monde, comment n’en ont-ils pas plus tôt découvert le Maître ! Mais malheureux sont-ils, avec leurs espoirs mis en des choses mortes, ceux qui ont appelé dieux des ouvrages de mains d’hommes, or, argent, traités avec art, figures d’animaux, ou pierre inutile, ouvrage d’une main antique. (Sg 13, 1- 10)

De son côté, Saint Paul souligne la même réalité dans sa lettre aux Romains :

Ce qu’il y a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables ; puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu, gloire ou actions de grâces, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements et leur cœur inintelligent s’est enténébré : dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. (…) ; eux qui ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur, qui est béni éternellement. (Rm 1, 19-25)

La foi chrétienne ne peut donc se référer, en termes de culte, au panthéon endogène. Elle est basée sur le monothéisme « Un seul Dieu » et la monolâtrie « tu adoreras », alors que le panthéon africain relève ou du polythéisme ou du monothéisme polylatrique auquel s’oppose objectivement le monothéisme trinitaire. Un grand africain, Saint Augustin, s’adressait ainsi à Dieu : « Je t’ai cherché dans les merveilles que tu as créées. J’ai demandé à la terre si elle était mon Dieu, elle m’a répondu que non. Je l’ai demandé à la mer, à ses abîmes, tous les êtres qu’ils contiennent m’ont répondu : cherchez-le au-dessus de nous. J’ai interrogé le ciel, la lune, le soleil, les étoiles, tous m’ont répondu : nous ne sommes pas votre Dieu »2.

3-    La foi chrétienne, face à la culture et aux cultes endogènes

La foi chrétienne repose sur l’accueil et la suite du Christ dont l’incarnation s’est opérée avec des accents culturels. Le Fils de Dieu s’est inséré dans une culture qu’il a assumée en la purifiant de l’intérieur. Il a intégré la culture à sa prédication pour rejoindre l’homme. L’Évangile, dans son expression et dans sa rédaction, a tenu compte de l’homme et de sa culture. De sa proclamation, surgit la rencontre entre foi et culture, et depuis Jérusalem : « Les païens convertis, fallait-il les circoncire et leur enjoindre d’observer la Loi de Moïse ? » (Cf. Ac 15, 5). Le discours de Paul à Athènes évoque des traits de la culture : il cite aux Athéniens leurs poètes et philosophes selon qui la divinité ne peut être faite de mains d’hommes. Il leur annonçait que le Dieu inconnu qu’ils adoraient, est un Dieu désormais connu en Jésus-Christ, mort et ressuscité (Ac 17, 16-34).

Pour la formulation de sa foi, l’Église a eu recours à des expressions culturelles et à la structure de la philosophie grecque. De ce fait, certains ont même accusé le Concile de Nicée (325) qui a utilisé le terme « omoousios – consubstantiel » pour exprimer la nature divine de Jésus, d’avoir hellénisé la foi. La polémique relative à la rencontre entre foi et culture n’est donc pas si nouvelle. Mais le fond chrétien est toujours demeuré (la foi en un seul Dieu en trois personnes, le salut par Jésus-Christ, mort et ressuscité, l’amour [Esprit-Saint] comme modalité de la vie chrétienne).

Dès les débuts de l’évangélisation, les cultures et spécialement les religions traditionnelles ont toujours posé un défi aux missionnaires et au peuple. Des recommandations précises ont été données à cet effet. Déjà, en 601, le pape Grégoire VII écrit à Augustin de Canterbury en 601 :

Il ne faut en aucun cas détruire les temples des idoles (fana idolorum) chez le peuple en question, mais seulement les idoles qui s’y trouvent ; que l’on bénisse de l’eau et que les temples en question en soient aspergés ; enfin qu’on bâtisse des autels et qu’on y dépose des reliques. De la sorte même si c’étaient les mêmes animaux qu’ils avaient l’habitude de sacrifier, maintenant qu’ils les sacrifiaient au vrai Dieu et non plus à des idoles, ce n’étaient plus les mêmes sacrifices3.

Les temples relèvent de la culture ; quant aux idoles, elles sont de l’ordre du culte fondée sur les diverses croyances. Les peuples qui nous ont évangélisés ont été eux aussi évangélisés. Comme nous, ils possédaient leurs idoles, assimilés déjà à l’époque aux démons. Ces points peuvent permettre de relativiser un peu notre lecture purement culturelle et quelque fois ‘‘victimiste’’ de la geste missionnaire chez nous.

De même, en 1659, la Congrégation de la Propagande donnait ces instructions aux missionnaires qui partaient pour la Chine :

Ne mettez aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs, à moins qu’elles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, l’Espagne, l’Italie ou quelque autre pays d’Europe ? N’introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages d’aucun peuple, pourvu qu’ils ne soient pas détestables, mais bien au contraire veut qu’on les garde et les protège.

Une question surgit ainsi à l’esprit : pourquoi ces bonnes recommandations n’ont-elles pas été bien suivies chez nous ? Diverses contingences peuvent expliquer les limites des missionnaires. Nous étions considérés comme des peuples sans culture : et même par de grands esprits comme le philosophe Hegel. Les missionnaires, fils de leur temps, et sans grande instruction par rapport aux sciences humaines (elles n’étaient d’ailleurs pas assez développées) partageaient les limites de leur époque. Sans rien minimiser de leurs responsabilités, il nous faut aussi évaluer nos diverses appréciations des ethnies ou peuples dont les coutumes sont différentes des nôtres, et par exemple dans notre pays. Toutefois, au-delà de certaines limites objectives à cause desquelles certains intellectuels ont pris des distances par rapport à la foi chrétienne, des axes fondamentaux de la culture ont été intégrés à la mission. Le synode d’Agoué (16-17 janvier 1898) soulignait l’importance de la langue, porte d’entrée en toute culture :

L’étude de la langue indigène est […] le premier devoir des missionnaires. Le peuple ne viendra pas à nous, c’est à nous à aller à lui ; pour cela il faut pouvoir lui parler (…) Par interprète, on ne peut pas toujours dire ce qu’on veut et il est quelquefois difficile d’avoir un interprète au moment nécessaire. Les langues vivantes s’apprennent surtout par l’usage : donc parlons sans cesse leur langue avec les indigènes4.

En cette matière, les missionnaires n’auraient-ils pas réalisé plus de performances que nous-mêmes ? Et le synode de Lyon (1907) rappelait selon l’antique tradition de l’Eglise, la nécessité de transformer les coutumes païennes en pratiques permises, louables, chrétiennes : « par exemple, au lieu d’offrir de la nourriture sur la tombe, engager les parents du défunt à faire don de cette nourriture ou toute autre aumône aux pauvres à l’occasion des funérailles ». Par ailleurs, des missionnaires, au-delà de la conception ambiante sur le Noir, ont cherché à connaître et valoriser les cultures africaines. Certains en ont payé le prix souvent lourd. Nous avons le lumineux exemple du Père Francis Aupiais avec la fête de l’Epiphanie et les différents travaux qu’il a initiés. Plusieurs pans de nos cultures ont été mis ainsi en valeur. Cet engagement à la culture s’est poursuivi avec la génération des premiers prêtres autochtones dont certains ont publié en 1956 : Les prêtres noirs s’interrogent5. Il s’est intensifié et mieux structuré, jusqu’à l’adoption du concept d’inculturation. Le Concile Vatican y a joué une part importante, avec la déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes (Nostra Aetate). Le chrétien africain a le droit d’avoir part à l’héritage culturel africain, dont l’Eglise a souvent mis en valeur les traits caractéristiques6. D’ailleurs même l’héritage culturel africain s’est structuré et se structure par des emprunts à d’autres aires culturelles.

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Est-il alors judicieux d’accuser de nier à l’Eglise le droit de s’intéresser aux éléments de la culture ou de l’accuser d’avoir méprisé ou détruit la culture africaine ? Cette conférence nous a présenté assez d’outils de réponse. Je pourrais même affirmer mutatis mutandis que l’Eglise au Bénin s’est engagée activement à la promotion de la culture (des travaux sur nos divinités, sur nos langues, sur notre histoire ; valorisation des éléments de notre culture dans la liturgie) mieux que même ceux qui l’accusent, souvent plus friands du côté fonctionnel rentable ou magico-sorcier de la culture. Une expression de cet engagement aujourd’hui serait sa présence et sa participation au combat pour l’identité africaine7.

La culture humaine était désignée chez les Latins par le terme humanitas, l’humanité. De nos jours encore, il nous faut avec courage, par la raison droite, évaluer le degré de l’humanitas de notre culture et de nos cultures. Cette portion de phrase, assez symptomatique, – guerre des choses de l’ombre – qui s’est échappée lors de la polémique, relève-t-elle de l’humanitas ? Certainement d’une humanité blessée que le Christ, l’Ecce homo, la pleine mesure de l’humain, est le seul à restaurer authentiquement. Et alors, comment intégrer la culture ?

4-    Des modalités essentielles d’éléments culturels en pastorale

L’Eglise s’intéresse à la culture (endogène comme moderne), parce que son message s’adresse à l’homme, au cœur de l’homme ; cet homme est père et fils de la culture qui est tout sauf figée. Le recours de la foi à la culture est bénéfique autant à la foi (plus enrichie, elle atteint davantage l’homme) qu’à la culture (elle est purifiée). Mais l’Évangile transcende toute culture. Sur certains aspects, il est même anti-culture. Il n’est pas une culture ; aussi peut-il s’intégrer à toute culture.

Toute rencontre entre foi et culture sauvegardera fondamentalement et sans ambiguïté, l’unicité de Dieu et la monolâtrie, l’unicité et l’universalité du salut en Jésus-Christ, la compatibilité avec le message chrétien et la communion avec l’Église universelle, l’interculturalité qui évite toute prétention d’hégémonie d’une culture sur une autre. Elle nécessite alors une étude scientifique des données culturelles à travers un travail interdisciplinaire.

Cette méthode permet d’éviter le concordisme ou le mimétisme : vouloir recopier en Eglise à tout prix, ce qui se fait aussi dans nos traditions, pourrait créer des ambigüités, au mépris de la foi authentique. L’élément culturel à assumer est d’abord à purifier, à l’aune de la Croix du Christ, et réellement à analyser pour atteindre son sens anthropologique originel, en tenant bien compte du facteur ‘‘peur’’. La pastorale doit libérer le peuple et non lui proposer seulement des pratiques à partir de l’humus culturel pour l’installer dans l’ignorance et la peur. La désintoxication ou la désactivation de la peur culturelle est une exigence pastorale actuelle. L’inculturation, qui commence toujours par une phase ad experimentum, est à toutes ses étapes une œuvre de discernement ecclésial, sous la responsabilité de l’évêque diocésain. Il s’impose de nos jours, un urgent besoin d’évaluation et d’analyse de certaines pastorales, élaborées comme réponses pastorales tous azimuts à diverses préoccupations, peut-être légitimes, du peuple de Dieu. La pastorale non suffisamment nourrie de sève théologique produit des fruits chétifs, même s’ils paraissent abondants, et crée la polémique inutile. De même que la théologie sans sources et dynamiques pastorales est un dessèchement du cœur.

Au sein de nos sociétés d’exclusion, la foi chrétienne est le levier de l’inclusion différentiée. Elle célèbre son mystère pour le salut de tous les hommes. Elle souligne le salut de celles et ceux qui ne lui appartiennent pas de manière formelle et prie à cet effet : ils seront sauvés par le Christ et l’Eglise, par des voies mystérieuses connues de Dieu. La foi chrétienne est ouverte à tous les hommes ; elle ne se confine ni dans des tribus, ni dans les familles. Elle est pour tous. Elle enrichit la culture qui l’enrichit également comme le soulignait Paul VI à Kampala, le 31 juillet 1969 :

Il faudra que votre âme africaine soit imprégnée profondément des charismes secrets du christianisme, afin que ceux-ci se répandent ensuite librement, en beauté et en sagesse, à la manière africaine. Il faudra que votre culture ne se refuse pas, mais au contraire en tire profit, à puiser dans le patrimoine de la tradition patristique, exégétique, théologique de l’Eglise catholique, les trésors de sagesse qui peuvent être considérés comme universels, et de façon spéciale ceux qui sont plus facilement assimilables par la mentalité africaine. L’Occident aussi a su puiser aux sources des écrivains africains, comme Tertullien, Ottavius de Milet, Origène, Cyprien, Augustin… (Cf. Décret Optatam totius, 16): cet échange des plus hautes expressions de la pensée chrétienne alimente, sans l’altérer, l’originalité d’une culture particulière. Il faudra une incubation du « mystère » chrétien dans le génie de votre peuple, pour qu’ensuite sa voix originale, plus limpide et plus franche, s’élève harmonieuse dans le chœur des autres voix de l’Eglise universelle.

Pour l’Eglise, des semences du Verbe (semina Verbi ; Logos spermatikon) sont enfouies en toute culture, en chaque peuple (saint Justin). En dehors des limites visibles de l’Eglise, se trouvent aussi un rayon de vérité, en lien avec la source de la vérité, le Christ, Voie, Vérité, Vie (Jn 14,6).

L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses » (Nostra Ætate, 2).

L’Eglise recommande alors à ses fidèles d’annoncer à temps et à contretemps la Bonne Nouvelle du Salut qui se trouve dans la vérité (1 Tm 2,4) et de « traiter avec beaucoup de respect et d’estime les adeptes de la religion traditionnelle, en évitant tout langage inadéquat et irrespectueux » (Ecclesia in Africa, n° 67). Cette approche, réciproque, sera bénéfique à tous.

 

Père Rodrigue GBEDJINOU,

Directeur de l’École d’Initiation Théologique et Pastorale (EITP) Bénin

gberodrigue@yahoo.fr

 

Références

1 Dossou ne croyait pas à la multitude des divinités vaudou que les anciens adoraient, et il ne respectait donc pas leurs interdits. Pour lui, seules comptaient les lois de Dada Sègbo, l’être suprême, unique créateur des jours et des nuits, des choses inanimées et des êtres vivants, et qui, en cas de danger, avertit les hommes par des signes intelligibles aux seuls initiés. Ainsi de peur de l’offenser, il choisissait scrupuleusement les jours ouvrables, évitait de toucher à un outil ou à un métal les jours consacrés au Gou, divinité protectrice des forgerons, des guerriers et de tous les travailleurs qui manient les outils tranchants. De même, selon que la première personne qu’il rencontrait en sortant de chez lui le matin était une femme ou un homme, il estimait que sa journée serait bonne ou mauvaise. Hormis cela, Dossou était convaincu qu’idolâtrer un serpent, une pierre ou un arbre était une superstition indigne de lui. De toute façon, l’aubaine d’aujourd’hui paraissait si exceptionnelle qu’il ne pouvait douter que le travail de choix qu’on lui avait confié correspondît à une chance offerte par Dada Sègbo.

2 Saint Augustin, Livre X, chap. VI.

3 Donnée le quinze des calendes de juillet, en la dix-neuvième année du règne de notre souverain le très pieux Auguste Maurice Tibère, la dix-huitième année après son consulat, en la quatrième indiction.

4 Cf. J. BONFILS, La mission catholique en République du Bénin, des origines au Concile Vatican II, Éditions Paulines, Abidjan 2019, 179.

5 Ce collectif de 15 articles est rédigé par 13 prêtres africains et haïtiens qui, au cœur de la Négritude, voulaient jeter les jalons entre la foi chrétienne et la culture africaine. Deux articles y ont été signés par l’alors jeune abbé Robert Sastre futur évêque du diocèse de Lokossa.

6 Cf. JEAN-PAUL II, Ecclesia in Africa, n° 42-43.

7 Cf. R. GBEDJINOU, L’Afrique a-t-elle un avenir avec l’Eglise. Leurres et lueurs, Les Editions IdS, Cotonou, 2021, 94-98.

 

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