Dans le cadre du cinquième Recensement général de la population et de l’habitat (Rgph5), le sociologue de la religion, Dr Achille Sodégla* plaide en faveur de la prise en compte de la « pluri appartenance » religieuse dans la collecte des données sur la pratique de la religion au Bénin. La méthodologie actuelle exclue selon lui, des milliers de Béninois qui ne sont pas « uniquement Catholiques, ni Protestants, ou qui ne sont pas uniquement Célestes mais qui préfèrent pratiquer tout à la fois ». Aussi, il observe que les Églises évangéliques et récemment la Mission de Banamè ont pris de l’influence, de sorte qu’il importe de leur consacrer une variable. A cet effet, il juge vagues les variables « autres chrétiens », « autres traditionnels » et « aucune » jusque-là renseignées. Il appelle aussi à ce que les chiffres qui sortiront du Rgph5 reflètent également les spécificités dans le Vodun plutôt qu’un recensement englobant. Lire sa contribution exclusive !
Statistiques religieuses au Bénin et la réalité : Contribution pour une Rgph5 réaliste
Merci de me donner l’opportunité de me prononcer sur cette question sensible parce que la période s’y prête. Nous sommes à la veille du Rgph5 et au regard des dynamiques religieuses observées, au regard des réalités religieuses observées sur le plan national, au regard des nouvelles formes de société qui sont apparues, au regard des comportements, des pratiques religieuses au niveau des acteurs, il importe qu’on opine sur la question afin de corriger le flou qui a longtemps duré.
Je voudrais donc plaider pour que les chiffres, les statistiques religieuses au Bénin reflètent la réalité ; que les recensements sur la religion au Bénin reflètent la vérité. On est à la veille du Rgph5, les travaux vont bon train. Il est important que l’Insae présente enfin les vrais chiffres sur la pratique de la religion, qui reflètent nos réalités béninoises et non les chiffres qui voilent la réalité tel que cela est vécue au Bénin.
Lorsque vous prenez les variables renseignées sur la religion au Bénin, je prends l’exemple des données de la Rgph4 (2013), les variables renseignées sont le « Vodun », « Catholique », « Protestant méthodiste », « autre protestants », « Céleste », « Islam », « autres chrétiens », « autres traditionnelles », « autres Religions, « aucune ». Ces variables renseignées ne peuvent en aucun cas, renseigner sur la réalité de la pratique de la religion au Bénin.
Pour preuve, la société a muté entre temps. Nous sommes face à une société de transition. Ce qui fait que les réalités sont en composition, décomposition et recomposition chaque jour. Ce qui laisse croire sur le plan religieux à l’apparition de nouvelles dynamiques, à l’apparition de nouveau comportement sur le plan religieux. Lorsqu’on prend ces variables renseignées, vous constatez qu’elles ne prennent nullement en compte ceux [les personnes, ndlr] qui sont dans la pluri appartenance religieuse. Ce qui fait que des personnes qui se retrouvent dans cette forme de passive de la religion.
Dieu seul sait combien ils sont nombreux aujourd’hui à ne pas être uniquement catholiques, ni protestants, ou qui ne sont pas uniquement célestes mais qui préfèrent pratiquer tout ça à la fois. C’est comme ça ils vivent leur foi, c’est comme ça ils vivent la religion. Ainsi, lorsque les agents recenseurs de l’Insae vont se présenter à la face de ces personnes, elles ne vont pas se retrouver dans les variables suscitées.
Conclusion, ils vont rester sans rien dire. Du coup, ça va entacher la qualité des données que produirait l’Insae. Des gens vont se déclarer peut-être chrétiens parce qu’ils ne se retrouvent pas dans les éléments, dans les indicateurs ou les variables qu’on leur aurait présentés. Vous voyez déjà que lorsqu’on prend ce paramètre seulement, il y a beaucoup à dire.
Beaucoup aujourd’hui sont dans la pluri appartenance. Ils sont catholiques mais en lambeau à cela, ils ont une pratique religieuse qu’ils font. Ils sont vodouisant mais vous allez les voir à l’Église. Beaucoup de Béninois aujourd’hui dans leur pratique religieuse ne sont pas stables. Combien de Béninois aujourd’hui vont vous dire qu’ils sont typiquement catholiques, qu’ils sont typiquement chrétiens. Attention ! Donc, à ce niveau, il urge donc qu’un travail soit fait pour que ceux qui sont dans la pluri appartenance religieuse puissent être identifiés, dénombrés pour que la vérité des chiffres sorte.
Créer une variable « Eglises évangéliques »
Aussi, lorsque vous prenez les indicateurs, vous allez voir Vodun, catholique, protestant, autre protestant, céleste, Islam, autre chrétien, autre traditionnel, autre religion et aucune.
Voyez-vous donc que à aucun moment, vous ne savez pas où nos amis qui sont évangéliques vont se retrouver. Les évangéliques ne sont pas des protestants. Regardez la flopée des églises évangéliques au Bénin ! Nous, nous avions fait un travail à Abomey-Calavi où nous avons dénombré plus de 100 nouvelles ‘’communautés évangéliques’’ dans l’arrondissement de Calavi centre seul. Nous avons fait la même chose à Agla, où nous avons dénombré plus de 150 nouvelles communautés.
Vous comprenez qu’il est encore difficile à comprendre qu’à nos jours, on puisse ne pas créer une variable « église évangélique » ou bien « religion évangélique ». Donc il faut vraiment en créer pour que nos amis de cette communauté puissent se retrouver.
Si « Je ne suis pas protestant, je ne suis pas catholique, je ne suis pas céleste » ; il faut que je sois « autre chrétien ». C’est vague ! Il faut créer une variable qui renseigne vraiment sur ces questions pour que nos amis des Eglises évangéliques puissent se retrouver. Lorsqu’on faisait le travail que j’ai évoqué plus haut, on a dénombré qu’il y a plus de 5000 mille églises évangéliques au Bénin.
5000 églises évangéliques c’est une projection et nous avons les données pour prouver cela. Et vous savez combien de personnes appartiennent à ces Eglises évangéliques. On pourrait nous objecter que les « chrétiens évangéliques » se retrouvent dans la variable « autre religion » ou bien dans « autres chrétiens ». Je trouve que c’est vague.
L’aberration « autre traditionnel »
Il en est de même lorsqu’on prend le Vodun et ensuite qu’on retrouve parmi les variables « autres traditionnels ». Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Pour le spécialiste de la religion que je suis, cela ne veut absolument rien dire. Et comme je le plaidais, il faut qu’on travaille à ce que ces chiffres reflètent nos réalités béninoises.
Lorsqu’on prend le Vodun, il faut qu’on décortique parce que c’est difficile de renseigner tout ce qui constitue le Vodun au Bénin. Mais il faut s’attarder sur les quelques pratiques phares. On peut créer une variable Sakpata, on peut créer une variable Vodun Dan, on peut créer une variable Vodun Mami Wata, on peut créer une variable Hêbiosso, on peut créer une variable Thron, on peut créer une variable Gou.
Quand vous savez combien de personnes pratiques ces religions aujourd’hui, mais lorsque vous les mettez tous dans Vodun, ça ne valorise pas le Bénin. C’est englobant. C’est comme si nous publions les chiffres, les gens nous lisent et quand on met Vodun, les gens ne savent pas que dans ces Vodun, il y a des spécificités.
Deuxième chose, lorsqu’on dit Vodun, puis « autre traditionnel », qu’est-ce qu’on met dans ce cette dernière variable ? et qu’est-ce qu’on met dans « Vodun » ? Autant d’amalgame qui m’amènent à dire que ces chiffres que publie l’Insae toutes les fois qu’il y a recensement ne reflètent la réalité de la religion au Bénin et qu’il importe maintenant que les travaux qui sont en train d’être fait en tiennent grand compte. Qu’on travaille pour une fois que les chiffres qui nous seront publiés cette fois-ci reflètent la réalité de la pratique de la religion au Bénin.
Sinon, tel que c’est, si on continue de publier de telles statistiques, beaucoup de fidèles, beaucoup d’acteurs ne vont pas se retrouver dans ce qui se fait et du coup, les chiffres qu’on publie sur la religion au Bénin vont toujours être en déphasage avec la réalité telle que nous la vivons au Bénin.
Ne pas exclure Banamè
Et aussi, lorsque je prends la Mission de Banamè, on peut être d’accord qu’il y a des milliers de fidèles qui y sont. Alors, lorsqu’on va venir à eux, on les classe où ? Ceux-là vont se retrouver où ? Avec tout ce que Parfaite de Banamè est en train de faire aujourd’hui, on est toujours d’accord que c’est une nouvelle communauté qui existe, une nouvelle religion qui existe au Bénin. Il est important maintenant que l’Insae en tienne compte, si tant est que, on veut que les chiffres reflètent la réalité béninoise, telle que la religion est vécue au Bénin.
Il est important maintenant qu’on crée une variable à ce niveau aussi pour que les acteurs qui pratiquent cette religion puissent vraiment se retrouver dans les chiffres.
Donc si je récapitule, il est important qu’on crée une variable sur la pluri appartenance religieuse au Bénin. Et vous allez voir, parce que beaucoup de Béninois aujourd’hui sont prêts à afficher leur identité sur la pluri appartenance religieuse et ne seront pas contents qu’on les classe selon « autre » ou « aucune » parce que lorsque je suis dans la pluri appartenance religieuse je ne suis pas dans « aucune ». Non ! La pluri appartenance signifie que « Je ne suis pas chrétien, je ne suis pas vodouisant mais je mélange le tout. Et c’est ce mélange qui constitue ma foi, ma religion ». Donc, si les agents recenseurs se présentent à moi et n’ont pas cette variable, vous voyez que c’est difficile pour moi de me positionner. Parfois donc, on les classe au niveau de la chrétienté à tort ou à raison.
Deuxièmement, il faut dépouiller la question de la religion Vodun au Bénin pour renseigner sur les spécificités telles que les spécificités phares. Quand je dis phare, je pense au Vodun Dan, au Vodun Thron, au Vodun Sakpata, au Vodun Hebiosso et au Vodun Gou. On doit valoriser le Bénin dans la spécialité Vodun, afin que ce soit clair ; qu’on ne les laisse pas dans les documents à l’Insae. Mais qu’on les renseigne de façon très claire afin qu’on sache que c’est ainsi la réalité au Bénin.
Ensuite qu’on arrête cet amalgame entre « Vodun », « autre traditionnel » parce que pour nous, ces variables ne veulent absolument rien dire.
« On a plus de 5000 mille églises évangéliques au Bénin »
Aussi, la question des « autres chrétiens » qui ne tient pas vraiment compte de ces milliers d’églises évangéliques qui existent au Bénin. J’ai dit et je l’assume que aujourd’hui, on a plus de 5000 mille églises évangéliques au Bénin. Ces fidèles ne se retrouveraient pas dans « autres chrétiens » ni « protestant ». Donc il est important maintenant qu’on crée aussi une variable à ce niveau afin qu’elle soit renseignée pour que les chiffres que nous allons publier cette fois-ci puissent être la réalité de la religion telle que vécue au Bénin.
Enfin, il est important qu’on crée aussi une variable « Banamè » parce que cette Mission draine des milliers de fidèles. Lorsque vous allez vous présenter à eux, ils ne vont se retrouver dans nulle part, ce serait mal conçu de la part de nos experts de croire qu’ils vont s’inscrire dans « aucune religion » !
Il ne nous coûte rien, on ne perd rien en affichant réellement ces paramètres. Non seulement cela reflète la réalité de la pratique de la religion au Bénin mais il valorise le Bénin parce que, on saura maintenant qu’au Bénin il y a tel nombre de fidèles pour le Vodun Sakpata, il y a tel nombre de fidèles du Vodun Dan, il y a tel nombre de fidèles pour le Vodun Hêbiosso, il y a tel nombre de fidèles pour le Vodun Thron, il y a tel nombre de fidèles pour le Vodun Mami Wata.
La question de la pluri appartenance religieuse, il urge de créer une variable pour que cela soit vraiment renseigné. Lorsque vous allez finir de faire tout cela, vous allez voir que les chiffres qui donnent l’Église catholique première église au Bénin, les chiffres qui donnent parfois l’Islam première religion au Bénin, ces chiffres vont chuter et ça va refléter la réalité de la pratique religieuse dans le pays.
Telle est ma doléance à l’endroit des experts qui travaillent à l’Insae. Nous voulons que le Rgph5 reflète la réalité de la pratique de la religion au Bénin. Sinon, les chiffres jadis avancés sont problématiques et ne reflètent nullement la vérité de la pratique de la religion au Bénin.
*Docteur Achille Sodégla, est auteur de l’« Étude socioanthropologique du renoncement religieux au sein du catholicisme à Abomey-Calavi, Banamè et Cotonou », thèse de doctorat soutenue au Larred-Uac
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1 Commentaire
Je suis ravi de lire cet article, c’est vraiment important ce problème. Tenir compte de certaines religions et ne pas le faire pour les autres semblerait comme une discrimination selon moi. L’Etat doit y penser, plusieurs religions sont créées après l’enregistrement des autres religions *plus connues* et ces religions ont aussi des êtres humains qui appartiennent à la population béninoise, ils doivent aussi être comptés. Merci pour cet article cher Docteur, ravi de vous lire