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Personnes handicapées

Offres des Services financiers décentralisés : Personnes handicapées, l’exclusion de trop

Par Koladé Raymond FALADE
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Au Bénin, même si elles remplissent les conditions, les personnes handicapées ne peuvent accéder aux offres des Services financiers décentralisés (Sfd). Voici comment une mesure de protection juridique se mue en handicap socioéconomique.

Vitali Ogouladé est handicapé moteur. Entrepreneur, il est spécialisé dans l’évènementiel. Au début de son aventure entrepreneuriale, il s’est associé à deux autres personnes [valides] pour obtenir des prêts. Les trois amis ont toujours honoré leur engagement.

7 ans après, Vitali Ogouladé décide de faire cavalier seul auprès de la même institution financière. Sans surprise, il obtient le prêt pour développer ses activités. Son calvaire a commencé 14 ans après, précisément à l’avènement de la Covid 19 en 2020.

En effet, la période des fêtes est un moment idéal pour les acteurs de ce secteur de faire de bons chiffres d’affaires. Cette année-là, Vitali Ogouladé en a fait. Aussitôt, il a « réinvesti ces bénéfices ». Malheureusement, les mesures de lutte contre le coronavirus ont fortement impacté son secteur. Conséquence, les activités ne tournent plus et il peine à rembourser ses dettes. « Je n’ai pas pu facilement régler Padme [l’institution financière auprès de laquelle il a contracté des prêts] et ils ont commencé par me harceler ». « Ce qui m’a fait mal c’est que je connaissais d’autres personnes qui étaient aussi dans le cas et avec une même charge de prêt. Mais ils n’étaient pas harcelés comme moi. Quant à moi, c’était des coups de fil à n’en point finir » raconte-t-il.

Fatigué, il décide d’utiliser ses réserves auprès de l’institution financière pour éponger ses dettes « parce que, je ne serai pas en train de parler des problèmes familiaux, comment les enfants vont manger et encore penser à Padme ».

Surprise désagréable

« Cette humiliation » l’a amené à changer de Service financier décentralisé. Vital Ogouladé est allé vers la Caisse locale de crédit agricole mutuel (Clcam). Mais erreur ! Les choses ne se sont pas déroulées comme il l’imaginait. « Ils m’ont dit quand je vais cotiser pendant trois mois, ils vont me faire de prêt. Ce que j’ai fait. J’ai cotisé 3 000f par jour pendant trois mois. Je n’ai pris un franc dedans. A la fin des trois mois, j’ai pris mes sous. J’ai demandé maintenant quelles sont les conditions pour postuler à un crédit, ils m’ont dit les conditions. J’ai rempli toutes les conditions. Le jour où je devrais prendre le crédit, ils m’ont dit que la Clcam ne fait pas de prêt à une personne … handicapée. J’ai tenté de rencontrer le chef d’agence, c’est la même réponse qu’il m’a servie » déplore-t-il.

«Ce qui m’a le plus touché dans le dossier » ajoute-t-il, « c’est qu’ils avaient parlé de 50 000F et de 20 000F pour les dossiers de prêt. J’ai payé les deux. Mais à la fin, ils m’ont remboursé seulement les 50 000F. Je n’ai pas pu avoir les 20 000F. Ils ont dit qu’une fois que j’ai déjà fait les dossiers, les 20 000F sont non remboursables. Pourtant je n’ai pas eu de crédit ».

Effectivement, la Clcam n’octroie pas de crédit aux personnes handicapées. La raison est simple. « Elles sont protégées par la loi » confie Benoîte  B. agent dans l’une des agences de la structure à Cotonou. A l’en croire, « si on leur octroie de crédit et qu’à la fin, ces personnes ne sont pas en mesure de rembourser, il est impossible d’user de la force pour leur faire rendre gorge ». C’est pour cela que la Clcam a décidé de ne pas octroyer du crédit aux handicapés, défend Benoîte

Comme palliatif, elle propose que la personne handicapée qui souhaite avoir du crédit puisse le faire au nom de son enfant majeur. Dans ce cas, l’institution peut lui accorder le prêt. Ainsi, l’enfant sera la personne pénalement responsable en cas de problème.

Quid de l’égalité de chance ?

Sur le terrain, le constat n’est pas reluisant. D’abord, « dans le secteur, il n’y a pas un produit spécifique dédié aux personnes handicapées » relève Martial Ahouanmenou, handicapé moteur et directeur général d’une structure de microfinance à Cotonou. « Simplement, le produit est là, tous ceux qui ont une activité génératrice de revenus et qui respectent les conditions idéales, ont droit d’accès à ces produits ». Cependant reconnait-il, « nous sentons par moment qu’il y a souvent des difficultés d’accès à ces produits par des personnes handicapées ».

Pourtant, il existe au Bénin une loi portant protection et promotion des droits des personnes handicapées. La loi n°2017-06 du 29 septembre 2017 votée par l’Assemblée nationale en son article 4, prône la non-discrimination, l’égalité des chances, l’égalité d’accès.

L’application révèle tout autre chose. La situation a même poussé le gouvernement à travers le ministère des Affaires sociales et de la microfinance à organiser jeudi 23 août 2024, un atelier de réflexion sur la prise en compte des personnes handicapées par les offres des Services financiers décentralisés (Sfd). Il était question au cours de ce séminaire de faire l’état des lieux et d’identifier des approches pour mettre fin à l’exclusion notées par endroits. 

L’initiative devrait permettre non seulement de régler un problème de justice sociale mais aussi une opportunité de croissance pour les institutions financières note Brice Dansou, directeur général de la microfinance.

D’ailleurs, le fait pour une personne de présenter un handicap ne devrait pas l’exclure des offres des Sfd, du moment où cette dernière a des capacités et des idées de mener des activités génératrices de revenus, estime Ignace Dovi, directeur général de l’Association professionnelle des Systèmes financiers décentralisés (ApSfd).

Au-delà de cet aspect, Martial Ahouanmenou évoque la méconnaissance par les cadres du secteur de la microfinance, de certaines spécificités liées aux personnes handicapées. Par exemple, dans l’installation des points de service, les cas des personnes handicapées ne sont pas véritablement pris en compte. « Vous installez un point de service sur l’étage. Vous mettez déjà des limites à l’accès à vos produits. C’est l’un des facteurs qu’il ne faut pas négliger », insiste-t-il.

L’autre raison, ajoute Martial Ahouanmenou, touche au manque de formation, d’information et d’attention des acteurs de la microfinance. Certains employés « confondent l’évaluation technique et l’évaluation financière d’un dossier au handicap que porte la personne ».

Une part de marché importante

Aujourd’hui, aucune statistique n’est disponible au Bénin sur le nombre de personnes handicapées ayant pu bénéficier des offres des Services financiers décentralisés. Martial Ahouanmenou, personne handicapée et directeur d’une institution financière, dit n’avoir pas lui-même pensé à établir des statistiques.

Or, sur l’ensemble de la population de 10 008 749 habitants en 2013, 92 495 personnes sont en situation de handicap au Bénin, selon le Rgph4. Soit 1,02% de la population totale. Il ressort du recensement que les formes de handicap les plus répandues sont respectivement le handicap visuel (37,4%), suivi du handicap auditif (18%), du handicap moteur cérébral (16,9%), du handicap moteur (16,4%), et des handicaps intellectuel (6,5%) et psychosociaux (5%).

Dans le monde, cette couche compte un milliard d’individus, soit 15 % de la population mondiale selon un rapport de la Banque mondiale publiée en 2023. Le même rapport indique que cette proportion est plus élevée dans les pays en développement. L’analyse de ces statistiques montre que « la part du marché existe » déduit Martial Ahouanmenou.

Les grandes ressources financières dont disposent les Sfd sont basées sur des financements à taux différentiel. Cela signifie que « chaque Sfd se bat pour trouver des ressources adéquates. Et ces ressources peuvent ne pas être adaptées aux conditions que souhaitent avoir les personnes handicapées » explique-t-il.

Recommandations

Face cette réalité, Vitali Ogouladé demande au gouvernement de veiller à l’application rigoureuse des différentes mesures prises en faveur des personnes handicapées. Aussi, souhaite-t-il, « que les conditions soient assouplies pour les personnes handicapées notamment sur le taux d’intérêt. »

Martial Ahouanmenou invite quant à lui le Réseau national des personnes handicapées à s’unir afin de mettre en place un mécanisme permettant de se porter garant pour être leur caution morale personnelle » auprès des Sfd. La mise en œuvre des recommandations de l’atelier de réflexion du jeudi 23 août 2024 pourrait permettre de corriger cette injustice. En tout cas, la secrétaire générale adjointe du ministère des Affaires sociales et de la microfinance Elise Fatima Kossoko Kossouoh, s’est engagée au nom du ministère à y travailler. En attendant, les mesures d’inclusion gouvernementales voire législatives butent toujours sur les réalités socioéconomiques.

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