Le groupe paramilitaire russe ”Africa Corps” au Mali n’influence pas que la situation sécuritaire dans la région du Sahel. Il participe également, mais à dessein, à la restructuration de la géostratégie dans la région.
La présence de l’Africa corps (ex-Wagner) au Mali vient redistribuer les cartes sur l’échiquier sahélien. Plaçant de fait Alger dans une posture de rivalité avec les forces russes. En fait, la prise du pouvoir par les militaires a quelque peu modifié le paysage de la géostratégie au Sahel. Parce que la dégradation de la situation sécuritaire a des répercussions sur l’ensemble de la région. Sur la nouvelle donne géostratégique, le cas algérien est plus évocateur. Surtout sur le plan politico-sécuritaire. Les relations entre l’Algérie et le Mali se sont plus dégradées. Surtout, après la décision de ce dernier de mettre fin avec effet immédiat à l’accord d’Alger. L’une des raisons évoquées par le gouvernement de la transition (Cnsp) est « l’appropriation nationale du processus de paix ». Dans un communiqué numéroté 065, le Cnsp dénonce des « actes d’hostilités et d’instrumentalisation de l’accord de la part des autorités algériennes ».
Destin croisé
« L’implication d’Alger dans le processus de paix au Mali n’est pas désintéressée » renforce Malick Konaté, journaliste, sur France 24. Suite à ces sorties, le droit de réponse d’Alger n’a pas tardé. Bien que ce dernier ait pris plus de temps. La réaction d’Alger a été mi- tendue, mi-corsée. Dans ce sens, l’Algérie a rappelé au Mali que cet accord lui a quelque peu permis d’avoir la stabilité. Il aurait permis de préserver « la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’unité nationale du Mali ». Réplique du chef de la diplomatie algérienne, Ahmed Attaf. Ce n’est pas tout.
Dans son intervention du mercredi 31 juillet 2024, Ahmed Attaf, affirme que Alger serait préoccupé par l’escalade sécuritaire en cours au Sahel. L’Algérie, dit-il « ne peut pas tourner le dos à ce qui se passe dans la région du Sahel ». Parce que « la sécurité et la stabilité de la région, c’est notre sécurité et notre stabilité » éclair Ahmed Attaf.
La crainte d’Alger
Alger ne voit pas d’un bon œil la présence de la force paramilitaire russe Africa Corps au Mali. D’un, parce que « l’argent que coûte » la présence de cette force « serait mieux placé et plus utile s’il allait dans le développement du Sahel » déclarait le président algérien Abdelmadjid Tebboune dans les pages du journal français Le Figaro en 2022. En réalité, la présence d’Africa Corps est vue comme une source potentielle de déstabilisation. Et ce tant sur le plan sécuritaire que diplomatique pour l’Algérie. Le pays y voit surtout une menace réelle quant à sa sécurité nationale au niveau de sa ligne frontalière au sud. Et ce, à cause des nombreux accrochages qui ont lieu dans la région Nord-Mali. Accrochages entre les forces armées maliennes et leur allié russe d’avec le Cadre stratégique permanant pour la paix, la sécurité et le développement (Csp-Dpa).
Les groupes terroristes et les rebelles pourraient profiter de cette situation pour intensifier leurs activités en Algérie. « Le conflit s’approche de leurs frontières. Ça les inquiètes » analyse Nina Wilen directrice du programme Afrique de l’Institut Egmont sur la Deutsche Welle. La belle preuve, à l’occasion du 75è anniversaire de l’adoption des conventions de Genève, Amar Bendjama, représentant permanent d’Algérie à l’Onu a appelé à « mettre un terme aux violations des armées privées utilisées par certains pays ». Il a aussi plaidé à ce que des sanctions soient également prises envers ces dernières. Cet appel est intervenu quelque jour après l’attaque de Tinzawaten ; commune située à cheval entre l’Algérie et le Mali. Le mobile d’Alger concernant sa réticence sur la présence d’Africa Corps au Mali est du leurre. Ce qu’il redoute, « c’est la perte de son rôle de ‘influent’ de façade sur la scène sahélienne » avance Yasmine Saih sur Hespress.
Alger, prêt à tout ?
La tension s’est plus exacerbée entre les deux pays après des frappes de drones dans la région de Tinzawaten. Région frontalière à l’Algérie. « Pour la seule semaine du 25 au 31 aout, pas moins de trois attaques leurs sont attribués » renseigne Laurent Larcher sur le site La Croix. Le nerf de guerre est le fait que le Mali n’a pas informé l’Algérie avant d’opérer de telles frappes. « L’Algérie aurait aimé être informée de telles manœuvres se déroulant non loin de ses frontières » confirme Yasmine Saih. « Mais les relations exécrables entretenues entre Alger et Bamako, ne le permettent plus » poursuit ce dernier. Il n’y a pas que ça qui agace Alger. Ce qui l’irrite, c’est que Bamako, « a fait appel à une coalition informelle composée de pays ayant tous des visées sur la région du sahel » rapporte Rfi.
Face à cette nouvelle configuration, au lendemain des propos de Amar Bendjama, représentant permanent d’Algérie près les nations unies, Alger a fait une démonstration de force. A titre illustratif, « le 27 août, l’armée algérienne a fait décoller un chasseur Su-30 de Tamanrasset ». Avec pour objectif de « lancer des signaux d’avertissement à l’attention d’un drone turc TB2 ». Cette intervention est intervenue après que Alger ait détecté « une menace à la frontière du mali » explique Yasmine Saih. Pour Pascal Airault, cet acte est une déclaration de guerre ouverte. Dans un article signé et publié par ce dernier sur l’Opinion, il informe que Alger « s’est lancée dans la dissuasion opérationnelle à l’égard des autorités maliennes ». Alger ne voit pas de la même manière son action. Puisque, pour le chef de la diplomatie algérienne « toute leur politique » s’oppose à des « concepts de guerre préventive et de guerre préemptive ».
Guerre d’influence
La position que tente vaille que vaille l’Algérie de maintenir dans la stabilité au Sahel y va de son intérêt géopolitique. Dans la même logique, Frédéric Bobin estime que « le compromis, destiné à mettre fin à la rébellion dans la région septentrionale du Mali, était une grande fierté de l’Algérie, l’emblème de son attitude à imposer des médiations régionales ». Mieux, ce dernier évoque que « son soft power diplomatique », y avait « trouvé un puissant aliment ». Mais le rêve n’a que peu duré. Dans le jeu d’Alger, Boundi Ouoba croit qu’il ne faut pas tout absoudre pour ce dernier. Puisque, parfois ce dernier « joue au clair-obscur quand elle ne donne pas la fâcheuse impression de vouloir faire chanter son voisin ».
Sur la Deutsche Welle, Ali Bensaâd, politologue trouve que « la situation aux frontières de l’Algérie est vraiment symptomatique de son impasse ». En fait, pour celui-ci, « l’Algérie » considérait ces pays (pays du Sahel) comme son « arrière-cour stratégique ». La menace est réelle. Elle « réside dans la démultiplication des intervenants entre Etats, milices, mouvements, intérêts économiques, et médias » argue Abdelaziz Rahabi diplomate. « Les émirats Arabes Unis, le Maroc ou Israël agissent depuis longtemps dans cette zone et ont mis l’Algérie dans une situation de tension permanente et de guerre d’usure latente et très coûteuse pour son, économie » poursuit ce dernier.
Co-écrit avec Moucharaf SOUMANOU
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