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Donbass au Sahel

Du Donbass au Sahel : l’ombre libyenne à la porte du Mali

Par Arnauld KASSOUIN
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L’attaque du 27 juillet à Tinzawaten offre une caricature imagée d’un Donbass au Sahel. En raison des acteurs impliqués et des objectifs des protagonistes. La nouvelle dimension de la situation sécuritaire nourrit les velléités d’une guerre par procuration.

Les prémisses du Donbass au Sahel ont affligé à l’armée malienne et à son allié russe un lourd tribut. En réalité, le conflit russo-ukrainien a des répercussions bien au-delà des frontières européennes. Au Sahel, principalement au Mali, l’interventionnisme de la Russie à travers « l’Africa Corps » dans la région est révélateur d’une nouvelle ligne de conflit (Donbass au Sahel). Pour être exact, l’implication affichée de l’Ukraine dans l’attaque du 27 juillet 2024 à Tinzawaten, dans la région de Kidal, témoigne de la dimension nouvelle que prend la guerre d’Ukraine, hors de ses frontières bien sûr. Cette bataille entre « l’Africa Corps », ex-Wagner, en collaboration avec les FAMa, a duré trois jours, du 25 au 27 juillet, face aux « rebelles » du Csp-Pda et leurs alliés.

Elle a coûté la vie à 84 Russes et a fait 47 morts dans le rang des FAMa, selon un communiqué rendu public le 1er août par le Csp-Pda. Cet avantage pris par le Csp-Pda a été rendu possible grâce à l’Ukraine. En fait, le 29 juillet 2024, Andriy Yusov, porte-parole de l’agence ukrainienne de renseignement (Gur), confirme lors d’une émission télévisée que son service serait « en relation avec les rebelles indépendantistes du nord du Mali ». « Bien sûr, nous avons des contacts avec les Ukrainiens, avec tout le monde, et particulièrement avec ceux qui subissent la terreur de Wagner », éclaircit sans ambages le porte-parole du Csp-Dpa, Mohamed Elmaouloud Ramadane.

Punition

Avec plus de précision, Andriy Yusov a indiqué que « les combattants du Csp-Pda » auraient « reçu des informations nécessaires qui leur ont permis de mener une opération militaire réussie contre les criminels de guerre russes ». « C’est une opération qui s’inscrit dans le cadre du projet secret de la Direction des renseignements de l’Ukraine », insiste Oleg Nesterenko, président du Centre de commerce et d’industrie européen. Plus tard, Yurii Pyvovarov, ambassadeur ukrainien en poste à Dakar, a commenté la vidéo d’Andriy Yusov positivement. « Le travail se poursuivra. Il y aura certainement d’autres résultats. La punition des crimes de guerre et du terrorisme est inévitable. C’est un axiome », argue l’ambassadeur. Ce soutien ouvert de l’Ukraine aux « rebelles » du Csp-Pds peut-il être considéré comme le début d’une guerre par procuration ? Autrement dit caricaturé du Donbass au Sahel ?

Brouille Russo-Ukrainienne au Sahel

Pour Bakary Sambe, Directeur de Timbuktu institute joint au téléphone par la BBC, il évoque que « d’après les derniers événements au Mali, ce n’est plus une guerre par procuration, mais plutôt une véritable guerre froide dont le nouveau terrain de jeu se déroule dans la région sahélienne ». Les propos de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, semblent confirmer les dires de Bakary Sembene. En effet, une semaine après l’événement du 27 juillet, Maria Zakharova accuse l’Ukraine d’ouvrir un « deuxième front » en Afrique. « Incapable de vaincre la Russie sur le champ de bataille, le régime criminel de Zelensky a décidé d’ouvrir un deuxième front en Afrique », a-t-elle exposée.

Le régime de Kiev « soutient des groupes terroristes dans des États du continent favorables à Moscou », poursuit Maria Zakharova, citée par l’agence RIA Novosti. Dans une tribune publiée sur Wathi, Bah Traoré Legrand, chercheur en désinformation en Afrique, expose que le Mali « est devenu un théâtre d’affrontements indirects entre la Russie et l’Ukraine, et ce, à cause de la dynamique de la géopolitique internationale actuelle ».

”Remplacer la Russie”

L’implication des Ukrainiens s’explique par une logique précise. Ils « doivent montrer aux pays africains que les Russes ne sont pas tout-puissants, qu’ils peuvent aussi perdre », analyse Irina Filatova, historienne russe, sur la Deutsche Welle. L’analyste Paul Melly écrit dans le même média que « les allusions de Kiev à une implication directe confirment jusqu’où elle est prête à aller pour mener sa riposte contre le président russe ». En effet, la stratégie prônée par Kiev en Afrique a pour but de débarrasser cette dernière de « l’emprise russe ». Pour Dmytro Kouleba, ministre des Affaires étrangères ukrainien, cette stratégie n’a nullement pour ambition de « remplacer » la Russie. Cette stratégie a quelque peu favorisé le Donbass au Sahel, à analyser les prises de parole des diverses autorités de l’Ukraine quant à l’incident du 27 août à Tinzawaten.

Implications géopolitiques

La portée du Donbass au Sahel sur le plan international n’est pas sans conséquence. Au lendemain du 27 juillet, l’implication affichée de l’Ukraine auprès des « rebelles » du Csp-Pda lui a coûté la rupture des relations diplomatiques avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger. « Très déterminés à faire entendre leur voix, les trois pays ont décidé de porter l’affaire devant le Conseil de sécurité des Nations unies ». Par la note numéro 24-003-AES, les trois pays « dénoncent et condamnent fermement le soutien ouvert et assumé du gouvernement de la République d’Ukraine au terrorisme international, en particulier au Sahel ». Visiblement, Paul Melly alerte qu’« il s’agit là d’un nouveau cas où des puissances extérieures exploitent le continent comme un terrain de jeu sanglant pour leurs propres rivalités ».

La ministre de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères (Miaae) de Dakar n’a pas hésité de son côté à rappeler Yurii Pyvarovov au lendemain de sa publication sur Facebook. « Concernant l’ambassadeur d’Ukraine à Dakar qui a été convoqué… par la Miaae, il lui a été rappelé les obligations de discrétion, de retenue et de non-ingérence qui doivent accompagner la gravité et la solennité de sa mission », renseigne un communiqué du ministère. Même la Cedeao a exprimé « sa ferme désapprobation et sa ferme condamnation de toute ingérence étrangère dans la région » à travers un communiqué rendu public le 5 août 2024.

Risque de Libyanisation du Mali

La guerre par procuration est ce qui a mis la Libye en lambeaux. La situation actuelle du Mali, notamment à Kidal, est préoccupante en raison des tensions croissantes et des implications géopolitiques. « Nous sommes désormais dans un conflit d’Etat à Etat à travers des acteurs indirects qui sont groupes armés terroristes » rappelle Amidou Tidjani, enseignant-chercheur. Mieux, Fakoro Traoré pense que ce qui s’est passé à Tinzawaten est une « guerre de recolonisation ». Il ajoute également qu’il est : « la suite logique de la guerre contre Kadhafi ».

La libyanisation, caractérisée par un effondrement de l’autorité Étatique et une prolifération des groupes armés, est un risque réel. La récente implication supposée de l’Ukraine, soutenant des « rebelles » maliens, pourrait exacerber cette instabilité en alimentant les conflits internes et en complexifiant les relations internationales. En fait, cette dynamique pourrait inciter d’autres acteurs régionaux ou internationaux à intervenir dans la région sahélienne, augmentant de ce fait le risque de fragmentation de l’ensemble des pays du Sahel. « Ces scénarios sont plausibles au Mali », lit-on sur Le Montagne.

Pour Wassim Nasr, journaliste et spécialiste des mouvements djihadistes, « la région du Sahel s’inscrit aussi bien que le Soudan dans la stratégie ukrainienne d’internationalisation de la lutte contre la Russie ». Dans « L’Ukraine : l’entraînement des groupes terroristes au Sahel, les mercenaires et l’incursion en Russie », Oleg Nesterenko rapporte que « de telles frappes ukrainiennes contre le Mali ne pouvaient pas avoir lieu sans le soutien direct des pays de l’Otan ».

Co-écrit avec Moucharaf SOUMANOU

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