Contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, de nombreux États ont adopté la militarisation des zones touchées. La Côte d’Ivoire n’est pas restée indifférente. Mais son approche est faite avec « professionnalisme », expose Namidja Touré, journaliste spécialiste des questions de défense, auteur de « Côte d’Ivoire : Forces spéciales, enjeux et perspectives ». Dans cet entretien, le journaliste s’appuie sur l’approche ivoirienne de contre-terrorisme et sur la dynamique sécuritaire régionale en cours.
Bénin Intelligent : Comment évaluez-vous l’évolution des dynamiques géo sécuritaires face à la menace terroriste dans le nord de la Côte d’Ivoire de 2016 à aujourd’hui ?
Namidja Touré : Depuis le 13 mars 2016, date de l’attaque terroriste de Grand-Bassam, (la première attaque du genre), la Côte d’Ivoire a enregistré une vague d’attaques essentiellement concentrées dans la zone nord-est. A la différence de l’attaque de la ville de Grand-Bassam dont le but était de porter un coup à la Côte d’Ivoire, les différentes attaques commises entre 2020 et 2021 visaient à une sédentarisation des groupes terroristes. Ils avaient pour ambition la quête d’espace géographique qui servirait de base pour projeter d’autres attaques. Les groupes terroristes sont donc passés du sud du pays au nord du pays avec des objectifs différents.
Le parc de la Comoé qui est une réserve naturelle très immense avec près de 12 millions d’hectares offrait ce cadre idéal. Cependant, depuis 2022, il y a eu une évolution de la situation sécuritaire globale du pays. Pour résumer, la situation sécuritaire de 2016 à 2024 se scinde en deux périodes, de 2016 à 2021 marquée par des séries d’attaques et de 2022 à 2024 marquée par un retour à la situation normale.
Outre la militarisation des zones frontalières du nord, quelle appréciation faites-vous de la politique sécuritaire engagée contre le narratif djihadiste ?
Le gouvernement a pris la pleine mesure de la situation depuis la première attaque. En plus de la réponse militaire, le gouvernement a engagé une réponse plus holistique et inclusive. A propos du contre discours terroriste, le gouvernement a impliqué les guides religieux et les communautés des zones affectées, les jeunes en particulier. Et ce à travers le programme « La mallette pédagogique ». Les imams ont bénéficié d’une formation sur la compréhension de l’islam. Ce programme prend également en compte un volet de non stigmatisation.
Les guides religieux ont été mis en mission pour déconstruire le dogme wahabiste et la radicalisation. Un répertoire des cultes religieux existe et les prêches sont uniformisées. Des comités locaux appelés « Police de proximité » regroupant les différentes couches sociales et les forces de sécurité tiennent des rencontres périodiques. Ceci afin d’évaluer le niveau sécuritaire dans les localités. Des tournées de sensibilisation sont également à mettre à leur actif.
Cela voudrait-il dire que les droits de l’homme ne sont pas inquiets ou reste-il des défis à relever ?
Les droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ne sont pas ignorés ou piétinés. Je le disais tantôt, il y a un véritable dialogue civilo-militaire. Cette démarche contribue à renforcer le lien Armée-Nation. L’Etat Ivoirien a conscience que le terrorisme surfe parfois sur certaines injustices sociales. Donc, il ne faut pas en créer par des violations des droits humains. Pour revenir à la question des droits, je prendrai le cas du procès de l’attaque terroriste de grand-Bassam où des individus ont été entendus et assistés de leurs avocats. Les accusés ont eu droit à un procès qui était d’ailleurs médiatisé.
Pensez-vous que la militarisation des régions du nord de la Côte d’Ivoire a été efficace contre l’expansion des groupes islamistes ?
Tout à fait ! Le maillage du nord avec la création de la (ZON), la Zone Opérationnelle Nord a engendré un déploiement important des Forces armées de la Côte d’Ivoire dans toutes leurs composantes. Cela s’est accompagné d’un déploiement d’équipements militaires conséquents. Je veux parler de chars, de véhicules blindés, des hélicoptères de combat et de drones. Ce déploiement militaire a permis de restaurer et de réaffirmer l’autorité de l’Etat sur toute la zone où la présence de l’Etat était assez superficielle. En plus, la militarisation a annihilé les velléités terroristes avec la force de la dissuasion.
Cependant, il faut préciser que la militarisation a été soutenue par un important programme d’appui et d’aide aux populations de toute la zone nord. Ce sont environ 400 milliards de francs CFA qui ont été investis dans des projets pour les jeunes. Le gouvernement a aussi renforcé les infrastructures de base. Il y a par exemple les centres de santé, le reprofilage des routes, la construction d’écoles etc. Les populations de ces zones n’ont pas été abandonnées. Bien au contraire elles ont bénéficié d’une attention inédite de la part de l’Etat Ivoirien.
Comment les communautés locales perçoivent-elles la militarisation et la présence des forces de sécurité dans leur région ?
De nombreux reportages de journalistes témoignent de l’espoir retrouvé par les populations avec la présence des soldats. Cette militarisation rassure et a ramené la stabilité. Les témoignages effarants des réfugiés venus du Burkina (près de 60 milles) et du Mali (près de 30 milles) ont permis aux populations de mieux cerner le danger du terrorisme. Par conséquent, les populations acceptent et apprécient la présence des soldats. La collaboration entre elles et les militaires se passent bien.
Que répondez-vous aux analystes qui estiment que la militarisation des régions du nord aurait davantage intensifié les attaques des groupes djihadistes ?
Ceux qui avancent de tels propos méconnaissent certainement l’évolution de la situation sécuritaire de la Côte d’Ivoire. Avec la militarisation de la zone nord en 2021, les attaques ont considérablement reculé. Au point où le pays n’a pas enregistré d’attaque depuis 2022. La militarisation du nord s’est faite avec professionnalisme. Les hommes sur le terrain ont été formés. Ils ne se sont pas éloignés de leur mission et n’ont pas été abandonnés par leurs hiérarchies. C’est une armée républicaine et professionnelle qui est déployée dans les zones sensibles. Et le dialogue civilo-militaire entretenu a renforcé davantage la cohésion et la confiance.
Pour vous, est-ce que la gestion du terrorisme dans les pays frontaliers du nord dessert la Côte d’Ivoire ?
Plutôt que nier la réalité, les dirigeants ivoiriens ont accepté les faits et ont œuvré pour corriger le mal. Je dirai qu’heureusement la Côte d’Ivoire n’a pas confié son destin sécuritaire à ces pays du nord. Avec ses ressources propres et en collaboration avec d’autres pays partenaires, la Côte d’Ivoire s’est donnée les moyens de préserver l’intégrité de son territoire. Malheureusement, des programmes de coopération en matière de lutte contre le terrorisme entre la Côte d’Ivoire et les pays du nord ont été rompus par les autorités militaires de ces pays. Cette rupture n’a pas empêché la Côte d’Ivoire d’avancer dans sa lutte contre le terrorisme. En dépit des divergences politiques, des Etats ne devraient pas rompre la coopération en matière de lutte contre le terrorisme.
En termes de prospectives, que proposez-vous pour plus de stabilité dans les régions nord de la Côte d’Ivoire et plus particulièrement contre le phénomène ?
Déjà, il faut préserver et maintenir les acquis. Les différents programmes fonctionnent bien. Il faut féliciter les dirigeants ivoiriens qui ont pris la pleine mesure de la situation. A partir d’études d’évaluations des différents programmes, l’on devrait en tirer des leçons pour apporter des corrections aux insuffisances.
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