Les flux transfrontaliers sont indispensables à l’expansion du terrorisme. Pour y remédier, la coopération entre les Etats devient incontournable pour une gestion efficace du phénomène. C’est dans cette logique que Mohamed Lamine Ouattara argue qu’« aucun État ne peut, à lui seul, venir à bout de l’hydre du terrorisme ». Expert en relations internationales, il détaille et insiste sur l’importance de la coopération entre les Etats du Sahel central et des pays côtiers dans cet entretien. Par ailleurs, il appelle au renforcement des initiatives régionales existantes, telles que l’Aes et l’initiative d’Accra. Pour lui, les flux transfrontaliers doivent être contrôlés si on espère finir avec le phénomène terroriste. Car les flux transfrontaliers incluent tout genre de trafics.
Bénin Intelligent : En quoi la gestion efficace des relations internationales est-elle indispensable dans la résolution des conflits terroristes ?
Mohamed Lamine Ouattara : Les relations internationales jouent un rôle de premier plan. Non seulement en tant que porteuses d’initiatives interétatiques, mais également comme un tremplin pour apaiser les tensions. Elles constituent aussi le socle de toute coopération. Qu’il s’agisse de coopération sécuritaire, militaire ou même de coopération en matière de développement. Tous ces aspects contribuent à l’endiguement du phénomène terroriste.Dans cette perspective, je voudrais citer quatre éléments qui structurent le rôle des relations internationales dans la gestion des questions transnationales et du phénomène terroriste.
Le premier élément que je voudrais évoquer est le rôle de la coopération sécuritaire et militaire. Aujourd’hui, il ne fait aucun doute — sinon ce serait un secret de Polichinelle — que la coopération sécuritaire entre nos États est indispensable. Car aucun État ne peut, à lui seul, venir à bout de l’hydre du terrorisme. Il est donc impératif d’œuvrer à une coopération sécuritaire et militaire plus intégrée, honnête et coordonnée.
Flux transfrontaliers
Deuxièmement, il faut se constituer en bloc afin de mieux gérer et harmoniser le soutien international. Nos coopérations avec les puissances étrangères devraient s’inscrire dans le cadre d’un véritable échange entre blocs régionaux. C’est-à-dire des coopérations entre l’Union africaine et les blocs de l’Afrique de l’Ouest. Ou encore entre l’AES et l’Union européenne, la Russie ou la Chine. Il est essentiel d’adopter une réflexion fondée sur des ensembles régionaux.
Le troisième élément concerne la mise en avant d’une diplomatie régionale permettant de gérer, voire de prévenir, les tensions régionales. Enfin, je voudrais insister sur la mise en lumière des relations internationales dans la gestion des flux transfrontaliers. En effet, on sait que le terrorisme se nourrit, entre autres, de flux transfrontaliers tels que le trafic d’armes et les trafics divers. Il est donc crucial de gérer efficacement ces flux pour espérer endiguer ce phénomène.
D’après vos analyses, comment les pays de la sous-région ouest-africaine doivent-ils se saisir de la force coopérative pour contrer le phénomène terroriste ?
Il faut reconnaitre que nous sommes dans des coopérations qui restent pour l’essentiel à des niveaux très symboliques. En pratique, je pense qu’il nous faut quitter ces coopérations symboliques pour des coopérations stratégiques, coordonnées et mieux intégrées. Autrement dit, aller vers des coopérations de renforcement des alliances régionales existantes. À mon avis, il est bon de corriger certaines imperfections. Mais, il ne faut pas complètement jeter le bébé avec l’eau du bain. Les coopérations existantes comme les initiatives de l’AES, il faut les encourager et les renforcer. Des initiatives comme la CEDEAO, il faut véritablement corriger les imperfections et profiter de ce qui a déjà marché. C’est en passant par ce renforcement des alliances régionales existantes qu’on peut réussir facilement à mettre à profit la coopération régionale. Aussi, faut-il améliorer le partage des renseignements.
Ce partage de renseignement passe par un degré de confiance entre les Etats. Pour qui connait nos armées, elles sont des grandes muettes. Pour alors communiquer autour des enjeux stratégiques, ou tout à fait sensible, il faut alors installer un climat de dialogue et de confiance. De même, il faut réussir à harmoniser les législations anti-terroristes en termes de coopération. Ne serait-ce que sur le point définitionnel, il est laissé le soin à chaque Etat de définir le terrorisme selon ces réalités. Mais en fin des comptes, malgré les spécificités et les particularités qui peuvent exister, les Etats ouest-Africains sont presque confrontés aux mêmes réalités. Donc, des stratégies ou des initiatives conjointes permettront certainement de mettre en avant des législations harmonisées contre le terrorisme.
De plus,…
De plus, on peut parler de la coopération dans le domaine du développement. Parce qu’on sait que le terrorisme se nourrit des questions de sous-développement, d’insuffisances dans la délivrance des services sociaux de base, mais également dans la récupération de certaines frustrations telles que le chômage des jeunes etc. Donc il est bon de rehausser le niveau de coopération dans le domaine du développement pour gérer ces questions liées au social et à l’économie. Mieux, il convient à mon avis d’inclure les communautés locales dans la gestion et dans le renforcement des alliances de coopérations régionales.
En fait, il faut descendre à un niveau beaucoup plus local, pour permettre d’initier ou d’intéresser les préfets, les maires etc. Donc toutes les autorités locales qui peuvent mener des dialogues à un niveau micro qui inciterait plus les Etats centraux à aller vers plus de coopérations et plus d’harmonisation. En dernier lieu, il faudrait s’ouvrir également à des partenaires internationaux équilibrés toujours dans une logique de coopérations sous forme d’ensemble régional.
Qu’est-ce qui vous déprime le plus lorsqu’il s’agit de parler de coopération en matière de lutte contre le terrorisme entre les pays du Sahel central et les pays côtiers comme le Togo et le Bénin ?
En vérité, ce qui me chagrine personnellement, c’est de voir tout le potentiel dont nous disposons et que nous pourrions mettre à profit, mais que nous n’exploitons pas suffisamment par égo. En fait, je ne vois pas de véritable problème en termes d’intérêts stratégiques qui opposerait ces États. Nous avons plus de choses qui nous unissent que de choses qui nous divisent. Cela me chagrine donc, en tant que chercheur et en tant qu’Africain, de constater que nous ne parvenons pas à exploiter pleinement ce potentiel de coopération, tel que nous venons d’égrener la liste. Tout cela simplement à cause des égos de nos États, qui préfèrent évoluer en solo dans des initiatives de lutte contre le terrorisme, plutôt que de s’inscrire dans une dynamique régionale et d’adopter des logiques de coopération.
Certes, des initiatives commencent à voir le jour. Et il faut les encourager, comme je l’ai fait remarquer plus haut. L’AES en est un exemple. Nous constatons déjà, bien qu’il soit encore un peu tôt pour en faire une évaluation complète, certains résultats sur le terrain entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso confortent notre analyse. Je crois que la mutualisation des efforts commence déjà à porter ses fruits. Dès lors, il serait judicieux d’élargir cet espace régional à d’autres États. Si, par extraordinaire, nous parvenons à corriger et à redynamiser les imperfections des initiatives régionales comme la CEDEAO, ce serait une avancée significative. Cela permettrait en effet que les dynamiques et les réalités ne soient plus dictées de l’extérieur. Mais qu’elles servent véritablement les intérêts communs de nos États.
Y a-t-il, selon vous, une possibilité de désamorçage des différends entre les pays du Sahel central et les pays côtiers comme le Bénin ?
Il y a des possibilités de désamorçage. On n’a pas le choix. Ces possibilités, tôt ou tard, nous finirons par les saisir. En réalité, je me dis qu’il n’y a pas de réelle tension. Ce qui existe, c’est juste la manifestation des égos et l’influence de puissances extérieures qui, parfois, en raison de leur propre agenda, créent des situations de tension fictive entre nos États. Sinon, entre des pays voisins qui partagent des inquiétudes et des enjeux communs, je ne vois pas de raison pour qu’ils ne puissent pas envisager un désamorçage des différends.
Comme je le disais tantôt, l’une des pistes de solution à ce niveau reste le renforcement des alliances régionales existantes. Cependant, nous devons également nous orienter vers de nouvelles initiatives qu’il convient d’encourager. L’initiative d’Accra en est un exemple. J’insiste également sur le fait que nous devons compter sur les populations locales, car je suis un partisan de la politique par le bas. Je pense que certaines dynamiques ne peuvent être propulsées que de cette manière. En effet, lorsque les initiatives viennent d’en haut, cela prend du temps. Ou alors, les États restent coincés dans leur souveraineté et éprouvent des difficultés à négocier. En revanche, lorsque les dynamiques émergent d’en bas, elles s’imposent le plus souvent à l’État.
En termes de perspectives à court, moyen et long terme, quelles pourraient être les conséquences de l’enlisement des relations entre les États de l’AES et les pays côtiers si les différends perdurent, au vu de la dynamique régionale en cours ?
Il y a un certain nombre de conséquences. On ne souhaite pas que les tensions s’enlisent, mais si jamais cela devait arriver, la conséquence à laquelle je pense immédiatement est l’intensification des flux transfrontaliers, qui, mal gérés, créent des terreaux fertiles à l’expansion du terrorisme. Dans les faits, le terrorisme et son modus operandi se répandent très facilement, d’abord à travers la porosité des frontières, ensuite à travers un faible niveau de coordination des opérations militaires, mais également en raison de la faible présence de l’administration d’État dans certaines zones les plus reculées. L’enlisement des tensions créerait certainement une absence d’actions coordonnées et de mutualisation des efforts. Cet état de choses pourrait jouer en faveur des groupes terroristes qui cherchent d’autres bases arrière.
Nous avons constaté que lorsqu’il y a une forte pression militaire, ces groupes cherchent à déplacer leur QG, qui sont à la fois des espaces d’entraînement et de coordination de leurs actions…
Je crois donc que c’est précisément à ce niveau que les pays côtiers doivent redoubler d’efforts. En effet, avec des zones très favorables à l’accueil de ces QG, notamment les zones forestières du nord du Bénin et du nord du Togo, nous pourrions facilement voir ces groupes migrer vers les pays cités, en raison de la pression militaire qu’ils subissent dans les États du Sahel. Pour conclure, mon dernier mot serait peut-être d’appeler les peuples de cette région à mutualiser leurs efforts. De plus, ils ne doivent pas laisser l’amalgame s’installer sur certaines questions, ni surtout nous voir comme des adversaires. Nous sommes un peuple, et nos intérêts sont liés. Rien qu’au nom de ces intérêts, nous devons être capables de mutualiser nos efforts et d’aller vers des coopérations stratégiques, coordonnées et intégrées.
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