Que dit le décès du Pape François, un lundi de Pâques, au monde, à l’Église, à chacun ? Théologien, Maître-Assistant des universités du CAMES en philosophie et enseignant d’anthropologie des religions à l’Université de Parakou, le Père Juste Hermann Nadohou-Awanou revient sur les douze années d’un pontificat hors des palais, son legs spirituel, ses tensions, ses horizons. Sans occulter la soif d’un pape noir africain et les secousses culturelles entre Rome et le continent.
Bénin Intelligent : La mort du pape François, un lundi de Pâques, vous semble-t-elle symbolique ? Y voyez-vous un signe pour l’Église et le monde ?
Père Juste Hermann Nadohou-Awanou : Oui, le décès du pape François ce lundi de Pâques est chargé d’un symbolisme, qui invite à la réflexion et à l’action. En Église, le lundi de Pâques est un jour traditionnel de Galilée pour les chrétiens. Il est aussi un jour incarnant la paix après les célébrations de la Sainte Cène du Jeudi saint et de la Passion de Jésus du Vendredi saint. Le lundi de Pâques est également un jour de l’octave pascale, où les fidèles se réunissent pour prolonger la joie festive de la Résurrection et envisager un avenir empreint d’espérance, jour où les chrétiens se rassemblent la plupart du temps en un endroit de leur choix, pour vivre avec un groupe plus large la joie pascale. Le lundi de Pâques a donc cette vertu de prolonger l’atmosphère de joie de Pâques.
C’est ce jour-là qu’il a plu à Dieu de rappeler à lui son bien-aimé serviteur, le pape François, après les célébrations de la pâque terrestre, pour la Pâque éternelle. C’est une joie de savoir que lui, le promoteur de la miséricorde divine, fêtera le dimanche prochain, Dimanche de la Divine Miséricorde, au ciel. Il verra enfin de ses yeux ce qu’il a tant prêché toute sa vie et incarné. On peut dire que le pape s’est endormi dans la paix du Ressuscité et dans l’espérance. Déjà qu’il nous a invités à célébrer l’année jubilaire 2025 en témoins d’espérance, il entre dans cette espérance pleinement pour mieux nous guider dans le jubilé. Sa mort a donc résonné comme un écho spirituel, qui mêle finitude humaine et promesse d’éternité par le lien de la paix et de la miséricorde.
En douze ans de pontificat, quel souvenir ou quelle action marquante retenez-vous du pape François ?
Le souvenir d’un homme qui a laissé au monde un héritage spirituel immense, un défenseur des plus démunis, un homme qui a su bousculer les cœurs et les consciences par des messages de fraternité et d’ouverture, la voix des sans-voix, un guide pour les égarés.
Ses repères fondamentaux étaient l’amour du prochain, la miséricorde, la justice sociale, la protection de la création, l’accueil des migrants et des minorités. Par sa simplicité, il a rapproché l’Église des fidèles. Par le dialogue religieux, il a favorisé la paix entre les communautés. Il a porté et incarné des valeurs comme l’humilité, la compassion et l’ouverture en allant sur des lieux de guerre (Soudan du Sud, République démocratique du Congo).
En douze ans, on a eu, de lui, 20 lettres apostoliques, 2 bulles (Misericordiae vultus du 11 avril 2015 pour le jubilé extraordinaire de la miséricorde, et “Spes non confundit” du 9 mai 2024, pour le jubilé ordinaire de l’année 2025) ; 7 exhortations apostoliques (“Evangelii Gaudium” du 24 novembre 2013, “Amoris laetitia” sur l’amour dans la famille du 19 mars 2016, “Gaudete et exsultate” sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel du 19 mars 2018, “Christus vivit” aux jeunes et à tout le peuple de Dieu, “Querida Amazonia” du 2 février 2020 au peuple de Dieu et à toutes les personnes de bonne volonté, “Laudate Deum” du 4 octobre 2023 sur la crise climatique, son exhortation du 15 octobre 2023 sur la confiance en l’amour miséricordieux lors des 150 ans de la naissance de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus) ; 4 encycliques (“Lumen Fidei” du 5 juillet 2013 sur la foi, s’appuyant sur des travaux préparatoires menés par son prédécesseur le pape Benoît XVI ; ensuite “Laudato si” du 24 mai 2015 sur l’environnement, “Fratelli tutti” du 3 octobre 2020, “Dilexit nos” du 24 octobre 2024 sur le Sacré-Cœur, que j’ai particulièrement aimé et salué comme curé de Sacré-Cœur) ; et ses divers messages pour l’Angélus des dimanches et ses discours qui sont un trésor inépuisable, une mine inaltérable sur le chemin de la foi, de l’espérance et de la charité.
Père Hermann Nadohou-Awanou
L’idée d’un pape (noir) africain gagne du terrain. Vous paraît-elle légitime et possible aujourd’hui ?
Un pape, fût-il noir, jaune ou blanc, demeure pape, s’il est élu selon les règles de l’art. Parler de noir, jaune ou blanc, c’est parler de ce que nous appelons en philosophie “les accidents”. La couleur de la peau est un accident. C’est de l’être humain comme substance divine remplissant les conditions pour devenir pape qu’il s’agit.
S’il arrive qu’un Noir le soit, tant mieux. S’il arrive qu’un Jaune le soit, tant mieux. S’il arrive qu’un Blanc le soit, tant mieux aussi. L’essentiel est qu’on ait un pape. Penser à un pape noir, c’est comme si l’on croyait aux trois anciennes prophéties apocalyptiques et aux prévisions sensationnalistes de l’évêque irlandais du XIIᵉ siècle, saint Malachie, ou du célèbre astrologue français Nostradamus, ou encore de la voyante bulgare Baba Vanga, décédée en 1996, dans lesquelles un mystérieux pape noir est annoncé après la mort d’un pape âgé, un homme providentiel issu d’Afrique qui mènerait l’Église catholique et l’humanité à travers de grands tourments.
Des deux cardinaux électeurs africains, le Guinéen Robert Sarah, qui incarne la ligne dure de la liturgie catholique, et le Ghanéen Peter Turkson, l’un des collaborateurs du pape François, personne ne leur en voudra s’ils sont choisis par la majorité des cardinaux électeurs, pour être pape. On acclamerait des mains et des pieds.
Encore faudrait-il savoir si la majorité des cardinaux électeurs est prête pour un schéma électif pareil. Il ne faut pas occulter le fait que, pour d’autres, la référence au pape noir désignerait en réalité le pape François lui-même, premier pape jésuite de l’histoire. Le « pape noir » est en effet le surnom donné au chef de la Compagnie de Jésus, en raison de la couleur de son habit, mais aussi du pouvoir occulte que l’histoire lui a prêté.

Finalement, est-ce que c’est parce que le pape François a élargi la place de l’Afrique dans le Collège cardinalice à travers le choix du cardinal congolais Fridolin Ambongo et du cardinal centrafricain Dieudonné Nzapalainga, pour donner une voix au continent au sein de l’Église universelle, que cela suffit pour avoir un électorat acquis pour un pape noir ? De quel pape noir parle-t-on finalement ? N’est-ce pas mieux de rechercher le pape choisi selon le cœur de Dieu et de laisser de côté nos considérations exclusivistes de côté ?
Certaines prises de position du pape, notamment sur les LGBTQ+, ont suscité des réactions en Afrique. Ont-elles, selon vous, fragilisé les relations entre le Vatican et les Églises africaines, voire écorché la foi des catholiques africains ?
C’est vrai qu’en Afrique, on a été choqué par certaines prises de position et de décisions en faveur de ce groupe qu’en anthropologie de la personne humaine, nous appelons des groupes marginalisés, mais qui fonctionnent comme des lobbys, des groupes d’influence capables d’avoir les leaders de demain de leur côté, sans être ébranlés.
Mais par la réaction presque unanime des évêques africains contre la bénédiction des couples homosexuels, on a compris qu’on ne biaise pas avec les questions culturelles et les mentalités. Chose également comprise par la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui, dans une note explicative et complémentaire de Fiducia Supplicans, reconnaît qu’en différents pays, il existe de fortes questions culturelles, voire juridiques, qui exigent du temps et des stratégies pastorales qui vont au-delà du court terme.
Cela n’a pas fragilisé les relations entre le Vatican et les Églises africaines, ni écorché la foi des fidèles, mais a éveillé cette foi pour qu’elle soit plus ardente et vive dans la référence à la Bible et à la tradition ecclésiale.
De tout temps, en Église, il a existé les conservateurs et les réformistes. Et c’est normal que, sur le terrain de la culture et de la mentalité, il y ait eu ce choc, ce fort bruissement pour le bien de la pastorale. Mais le plus heureux est que les Africains authentiques ont parlé un même langage, qui n’est ni langage de compromissions et de compromis, mais de vérité sur l’être.
« L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme », pas à son homme, pas non plus à ses femmes. Le pape, fût-il fautif en matière de décision, son entourage a le devoir de vérité de le recadrer, encore faudrait-il voir et savoir si ce n’est pas l’entourage qui l’inclinait à pareille décision ?
Je ne suis pas dans le secret des délibérations des décisions pour le savoir, juste que j’émets une analyse et en même temps une réserve. N’oublions pas non plus que le pape tenait à sa ligne de miséricorde, comme Jésus qu’il a servi, pour ne pas juger les gays et devoir admettre la bénédiction des couples homosexuels en la distinguant du mariage, qui est un sacrement qui unit un homme et une femme.
La question qui va demeurer est celle-ci : qui est le père de cette décision, qui a failli s’imposer à tous ?
