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Expression “Médecine traditionnelle” : «Rien n’est traditionnel ici. Tout est présent »

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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La reconnaissance de la “médecine traditionnelle” est une avancée‚ salue le sociologue-anthropologue et boologue Raymond Coovi Assogba. La suite doit consister en l’organisation des acteurs et surtout‚ le financement de la recherche sur la phytothérapie‚ suggère-t-il. Toutefois‚ il n’est pas d’accord avec l’expression “médecine traditionnelle” mentionnée dans la loi. « Rien n’est traditionnel ici. Tout est présent. On utilise la plante aujourd’hui, ici et maintenant, depuis hier et demain on utilisera la plante. Où est ce qui est traditionnel ?»‚ interroge Dr Assogba dans cette interview.

Propos recueillis par Sêmèvo Bonaventure AGBON

 

Bénin Intelligent : Comment réagissez-vous Dr Assogba en apprenant le vote de la loi reconnaissant la médecine traditionnelle ?

Dr Assogba : Il faut saluer cette décision de l’Assemblée nationale. Elle vient de prouver qu’elle est à l’écoute du peuple. En légiférant ainsi, le parlement vient de prendre en charge un vide juridique qui existait. C’est la reconnaissance du ‘’ama’’ (feuilles) comme modalité de soins, modalité d’aller à la rencontre des besoins en médecine des populations. Il faut encourager les députés à aller au-delà pour attribuer un statut à tous ces acteurs qui s’occupent de la santé des populations et qui le font de manière presque bénévole. C’est vrai que c’est une activité privée mais il faut reconnaître que les Bokonon, Hounon…sont des agents publics et il faut que l’Etat reconnaisse leur profession et qu’un autre pas soit fait pour leur attribuer une condition salariale, une condition d’exercice de leur métier rationnalisé afin de les sortir de la précarité où souvent ces gens se souvent.

 

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Mais pourquoi attendre 61 ans après ?

Dr Assogba : Ce vide s’explique par les accords secrets de la France avec les premiers pouvoirs du Bénin, les premiers présidents qui n’étaient pas libres de prendre des décisions au profit du peuple. Ces présidents étaient au service de la puissance française et n’étaient pas libres de faire certaines choses. Les décisions étaient actées de l’extérieur. Lorsqu’on dit par exemple que le français est la langue de travail alors que nous sommes tous des Béninois à divers niveaux avec nos langues maternelles ; lorsque les accords secrets interdisent aux présidents d’exploiter les ressources minières de leurs pays à moins que les entreprises françaises ne s’y intéressent. Le Fcfa, c’est aussi une conditionnalité qui lie le Bénin alors qu’il nous faut créer notre propre monnaie. L’un dans l’autre ce qui n’était pas possible hier est rendu possible aujourd’hui par l’initiative du gouvernement en place. Il faut saluer, mais il faut reconnaître qu’il y a des travaux qui ont commencé. J’ai un collègue, le professeur Houngnihin qui était chargé de la promotion de la médecine traditionnelle au ministère de la Santé. Donc il y a des actions qui étaient entreprises. Mais aujourd’hui c’est plus systématique avec la loi qui reconnaît la phytothérapie et doit accorder un statut aux acteurs.

C’est la médecine du terroir, héritée de nos ancêtres. Avait-on besoin d’une loi qui la reconnaisse encore ?

Dr Assogba : D’une certaine manière, oui. Oui, parce que nous ne sommes plus dans le même mode de production depuis que Dada Gbêhanzin s’est rendu et a été déporté. Nous sommes rentrés dans un système où on a engouffré les populations dans les pharmacies. Donc les populations devraient débourser beaucoup d’argent. Alors que beaucoup ne peuvent pas se faire soigner dans les hôpitaux, beaucoup ne peuvent aller dans les pharmacies. Beaucoup sont restées dans la philosophie du ‘’ama’’, la feuille ; l’utilisation de la plante pour résoudre les déficits en santé dans tous les espaces chirurgical, mental, les paranormaux. Toutes les compétences en matière des couloirs du déficit de la santé, se retrouvent au niveau des phytothérapeutes que nous appelons Bokonon, Vodunon, Hounnon, Ya Alachè, Tangninon, …des compétences du pays Vodun. On avait toutes ces compétences à part l’utilisation de la technologie qui fait la différence par rapport à certain déficit de la santé comme les fractures, les analyses qui font ressortir selon le nouveau paramètre médical, les chiffres pour diagnostiquer des maladies. Donc on avait besoin de cette loi qui vient appuyer la reconnaissance de la chefferie traditionnelle par la nouvelle Constitution. Il faut relier les deux pour considérer que l’Etat se préoccupe de faire rentrer la phytothérapie dans la république. Mais aussi il faut s’interroger ; parce qu’il ne faut pas les instrumentaliser‚ car la phytothérapie est une philosophie à base des langues nationales qui ont des concepts pour désigner les maladies, pour désigner la prise en charge, pour désigner la guérison, pour désigner la post-guérison, l’adaptation… Il faudrait maintenant pouvoir financer la recherche, pour qu’on recense la nomenclature de tous ces espaces. Il ne faut pas les forcer à abandonner leurs manières de soigner, leur modus operandi pour que foncièrement ils commencent par copier les approches de la médecine officielle. On avait besoin de cette loi qui constitue une avancée.

Ne peut-on pas parler de la médecine traditionnelle sans faire allusion au Vodun ? La confusion ne ferait-elle pas fuir les gens selon vous Dr Assogba ?

Dr Assogba : Non, dans la mesure où ici, comme le dit le professeur Alladayè nous sommes dans le “pays Vodun”. Donc l’avancée en matière de thérapie a été faite dans les langues nationales. Même si on parle de système de champ lexical et de champ sémantique, il faut considérer que c’est dans les langues nationales. Donc le Vodun en lui-même c’est tout un pays qui a ses modalités de soins. Des gens vivaient ici, des gens mourraient ici, il y avait une reproduction sociale des systèmes politique, économique, démographique et les gens s’autosuffisaient ici; ce n’est pas quand la médecine en français est venue que nous sommes devenus des hommes. Donc il n’y a pas de confusion. Il y a une compétition entre la prise en charge officielle par les institutions de l’hôpital et les pharmacies avec les prises en charge de la médecine du Vodun, qui est aussi un concept qui traduit les modalités de prise en charge impliquant la patience, la sagesse et la guérison. Il y a qu’il y a une menace de vouloir imposer à une forme de vision une autre forme de vision. C’est le risque que nous encourons que l’Etat ait pris une loi pour reconnaître la médecine phytothérapique. Nous allons regarder pour voir. La prise en charge dans le système médical dans le pays Vodun n’est pas la même par rapport à la prise en charge par la médecine officielle qui, en fait, utilise des produits industriels dont le contenu est équivoque. C’est-à-dire que pour un comprimé, vous allez découvrir que le principe actif, ce qui guérit est minime par rapport à tous les autres produits chimiques utilisés pour le conserver. Ce qui fait que là on a besoin d’une posologie‚ d’une certaine condition pour utiliser les médicaments; et si jamais tu ne les respectes pas, il y a des effets secondaires qui peuvent entraîner la mort du patient. Alors que dans la prise en charge médical dans le pays Vodun, les plantes sont utilisées et à ce niveau‚ autant tu en prends mieux tu te sens, encore que le mal traité est fonction de la feuille dont les paramètres peuvent servir à stabiliser la santé des personnes. Donc ce n’est pas les mêmes approches. Or ici, d’aucuns disent que le problème de la phytothérapie c’est qu’il n’y a pas de mesure, de posologie. Mais il ne peut pas y avoir de posologie dans les termes où l’Occident le fait. En Occident, ils ont des principes qu’ils respectent, et nous aussi nous avons nos principes. Nous avons une problématique maintenant de la détermination de l’élite à reconnaître la différence les deux approches. Avec la surdétermination financière aujourd’hui, le corps médical d’une certaine manière vit des pratiques pharmaceutiques qui font intervenir des médicaments qui ne concernent pas les maladies lorsque certains médecins établissent les ordonnances. Vous savez que dans le système universitaire, l’évolution des médecins est quelque peu liée au financement des officines pharmaceutiques où ce sont elles qui leur attribuent des perdiems en fonction de médicaments prescrits, même si ces médicaments ne concernent pas la maladie du patient. Ce n’est pas dénoncé en tant que tel mais tout le monde le sait.
Mais ce qu’il en est de la médecine au pays Vodun, il y a une éthique au niveau des acteurs qui savent que pour une maladie il y a un certain nombre de plantes qui doivent être utilisées et on n’utilise pas de contre-plantes comme les industries pharmaceutiques le font. Il y a un débat dans ce sens qui doit permettre de clarifier les choses. Que l’Etat maintenant sache qu’en reconnaissant la médecine traditionnelle‚ il doit savoir laisser la liberté à ceux-là de se gérer et de laisser dans des écrits l’information sur leur philosophie, leur approche…

 

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Après la reconnaissance, quelle doit être la suite selon vous Dr Assogba ? Faut-il créer des facultés de médecine traditionnelle comme pour la médecine officielle, les écoles… 

Dr Assogba : Si on va vers ce modèle ce sera la catastrophe. La catastrophe parce que nous copions là ce que d’autres font sous d’autres cieux dans des conditions différentes. C’est pourquoi je dis que ceux qui votent ces lois devraient pouvoir s’entourer de toutes les conditions de précautions pour faire attention aux mots et savoir faire les propositions. Il faut d’abord qu’eux-mêmes cherchent à prendre en compte les structures qui existent dans lesquelles les phytothérapeutes se regroupent en parlant leur langue. Il faut déjà prendre en charge la langue de ceux-là et les structures dans lesquelles ils se regroupent ; maintenant chercher à connaitre ces structures, et à leur permettre de s’organiser tout en leur accordant les subventions que l’Etat va apporter. Mais s’il s’avère qu’on va imiter ce que font les Blancs, vous voyez que c’est une trahison de l’Etat qui considérerait ainsi qu’il est incapable de satisfaire les besoins des populations. Ce serait en fait un échec ; ils vont créer un cancer de situation et ça n’arrange pas l’avenir de cette nation. Certains ont commencé comme le professeur Apovo, d’investiguer le monde de la phytothérapie dans une approche de ce qu’il a appelé « l’anthropologie du Boo » pour permettre de découvrir qu’il y a une rationalité dans ce milieu. Donc on devrait donc chercher à découvrir ces travaux. Ceux à qui ont confie la rédaction de ces lois, il y a une forme de paresse dans leur manière de procéder, parce qu’ils prennent les textes des occidentaux et ils essaient d’appliquer à nos réalités endogènes‚ ce qui crée plus de problèmes qu’il ne résout.

Comment lutter aujourd’hui contre les faux dans la médecine traditionne ? Dans la médecine institutionnelle on connaît les agents, les acteurs, on sait quand tel a soutenu son doctorat, où il exerce. Il y a une traçabilité. Du côté de la médecine africaine, comment réussir cet assainissement ? Dr Assogba

Dr Assogba : En termes d’assainissement, il faut considérer qu’il n’y a pas de faux Hounnon, Bokonon. L’inquiétude de s’interroger sur la fausseté de l’exercice par certains de ceux-là‚ vient en fait d’une critique qu’il faut faire de l’approche qu’au temps du président Yayi et même au temps de Kérékou, le gouvernement a eu à avoir vis-à-vis des Hounnon et Bokonon. Faute de faire ce que fait actuellement le gouvernement de la Rupture et de l’affirmation de notre identité de Boologue et de Hounnon, ces gouvernements ont considéré que ce sont des religions et leur ont laissé la forme d’Ong à qui ils accordaient des subventions. En considérant le fait qu’on les met dans le même panier, on leur donnait des subventions‚ certains, pour avoir ces subventions se sont créés une existence de Hounnon, Bokonon. Aujourd’hui les phytothérapeutes se sont organisés dans des institutions avant l’Etat. Vous prenez le Synamitraab qui est une institution règlementée et qui s’attache à implanter des autorités dans les départements, les communes, les arrondissements, et donc s’assurer de l’effectivité de la fonction de celui qui se désigne comme Hounnon ou Bokonon ou phytothérapeutes. Vous prenez les rois qui eux, représentaient l’Etat du pays Vodun et justement géraient ce personnel de leur administration qui était chargé de la santé de leurs populations, et donc leur rationalisation et organisation. Il y a l’association des rois. Récemment une autre fédération s’est créée comme Fédération des associations nationales des médecins traditionnels, la Fanametrab. Donc il faut comprendre que c’est un milieu de l’autoentrepreneuriat qui génère du travail pour les jeunes qui ont appris la connaissance des plantes pour la résolution des déficits de santé, qui sont dans le privé et vivent de ce qu’ils exercent comme métier phytosanitaire. Il faut que l’Etat les recense et ait une stratégie et une tactique de leur reconnaissance, de leur organisation et surtout, éviter de leur imposer la forme d’existence qu’on a en Europe.

On ne peut pas prendre les textes européens pour les appliquer à la pratique phytosanitaire de la résolution des déficits de santé dans un pays comme le Bénin. On crée beaucoup plus de problèmes. A la rigueur même‚ on dirait laisser la situation telle qu’elle était. On saurait que nous sommes dans un monde contracculturé où l’Etat lui est au service d’un autre Etat, l’Etat français et donc ne fait qu’importer les textes du mode de résolution de la santé telle que les autres le font; et donc le pays Vodun est aussi là et grâce à la reconnaissance du « 10 janvier » ceux-ci tirent leur légitimité de leur manière de s’organiser et de faire les choses. C’est ce que nous appelons l’Etat contracculturé et la société contracculturée dans laquelle il y a deux rationalités qui sont en situation. C’est toute une problématique qui nécessite des études. Vous savez que en occident ils ont mis des années pour recenser les coutumes, us, les modes de vie des populations pour arriver à la codification des lois, les décrets. La recherche les a amenés à trouver les mots pour organiser leur population. Nous aussi nous avons nos mots dans nos langues. Il faut aujourd’hui reconnaître et accepter ces langues et les utiliser pour s’organiser. Il ne faut pas toujours prendre l’énoncé français pour dire les réalités phytosanitaires du Bénin. Il faut accepter aussi d’intégrer dans le français les mots du “pays” Fon, du pays Baatonu, du pays Adja, …qui dans leurs spécificités traduisent des institutions. C’est normal que si ceux qui prennent les textes n’ont pas conscience de cette problématique, ils vont jouer aux apprentis sorciers.

Pour finir, certains trouvent gênante l’expression « médecine traditionnelle ». C’est le cas avec Dr Assogba ?

Dr Assogba : Je suis également beaucoup gêné‚ parce que c’est en français. Vous savez que le philosophe Paulin Hountondji, grand professeur devant l’université, lui-même a trouvé qu’en utilisant le concept « traditionnel » nous dévaluons nous-mêmes l’institution médicale que nous voulons valoriser. Le concept de tradition a été enterré par les français qui ont créé celui de « modernité ». Avec ça ils ont créé les institutions de la république, de la démocratie, les élections, les pharmacies, etc. C’est à partir de là que le professeur Hountondji propose des concepts comme « endogénéité », « savoirs endogènes ». L’élite qui rédige ces textes prend en otage les populations dans le juridicisme français qui est légitime par rapport à la société française mais qui est illégitime par rapport à nous, d’où le concept de « médecine traditionnelle » est un abêtissement de la richesse sémantique, linguistique, sociologique, médical, politique du pays Vodun.

 

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Depuis près de trente ans l’administration n’a pas bougé sur la problématique du « 10 janvier » et de ses bénéfices politique, économique, scientifique, etc. Les cadres qui gèrent, qui écrivent le droit…sont des religieux ; ils sont chrétiens, musulmans, évangéliques…des gens à qui on a appris que la phytothérapie est diabolique. Ils rédigent les textes en tenant compte des préceptes religieux. Or ici nous sommes dans un domaine laïc où la phytothérapie ne tient pas compte de Blanc, de jaune, de noir. La preuve, ce sont nos plantes ici que les occidentaux importent pour fabriquer les médicaments chez eux. Donc aujourd’hui l’Etat doit considérer que l’université n’a pas de problème avec elle, mais c’est l’Etat qui a un problème avec l’université. L’Etat n’utilise pas les recherches universitaires, la sémantique universitaire pour traduire les réalités de chez nous. L’Etat n’utilise pas le champ sémantique que les scientifiques ont utilisé pour étudier les réalités de chez nous. C’est cette problématique qui se pose et, dans un contexte hybride comme médecine traditionnelle, on se trouve devant le fait accompli que nous n’avons pas évolué. Nous n’avons pas évolué parce que rien n’est traditionnel ici. Tout est présent. On utilise la plante aujourd’hui, ici et maintenant, depuis hier et demain on utilisera la plante. Où est ce qui est traditionnel ? Lorsque le français dit « traditionnel », ça veut dire ce qui est passé contre ce qui est moderne. Donc ici nous ne sommes pas dans une société moderne, nous sommes dans une société vodun. Donc il faut dire médecine par rapport à ce que nous faisons. Il y a des concepts qu’il ne faut plus utiliser sinon ça nous arrière et puis, ça crée des cancers de compréhension.

Merci.

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2 Commentaires

Coovi Raymond ASSOGBA août 4, 2021 - 7:24

Wouaoh! Je me découvre étranger dans ces pensées qui deviennent une école pour moi. Je suis confus de reconnaissance et ce texte est un condensé pouvant servir de principes de réflexion, d’orientation des axes de recherche. Tu es sublime comme plume!

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DJOSSOU GEORGES août 4, 2021 - 8:28

Notre tradition est immortellle et c’est notre fondation .

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