Mariage -Au Bénin, les atteintes à l’intégrité physique et morale des femmes sont en hausse ces dernières années. Selon les statistiques globales sur la protection de la famille, de la femme et du Genre, de 2020 à 2022, 571 femmes ont été victimes de violences basées sur le genre dans la commune de Bohicon. Dans de nombreux ménages, les violences physiques s’accentuent, conduisant à la dislocation de nombreuses familles. Au nombre des causes de cette situation, le mariage à tout prix lorsque l’âge avance.
Par @Jocelyne Mahouti HESSOU*
Il est 16 heures ce mercredi 14 septembre 2022. Assise face à l’Officier des Droits de l’Homme (ODH) du département du Zou, dame F.S peine à retenir ses larmes. Environ la trentaine, elle a quitté son quartier Agbanwémè situé dans l’arrondissement de Bohicon I pour rencontrer ce représentant départemental de la Commission Béninoise des Droits de l’Homme (CBDH) dont les bureaux sont en plein cœur de la ville. Les yeux larmoyants, elle relate la dernière scène de bastonnade qu’elle vient de subir de la part de son conjoint.
« Malgré mon état de grossesse, il m’a giflé et cogné ma tête contre le mur de la cuisine », raconte cette jeune commerçante. Dans son récit, elle se retient pour ne pas craquer devant ses deux enfants de trois (3) et cinq (5) ans posés sur ses genoux. Dame F. S. attribue ses malheurs à sa décision de fonder une famille avec son conjoint, seulement deux (2) mois après leur rencontre. « Mes parents me trouvaient déjà vieille fille et m’incitaient à me trouver un homme. Lorsque celui qui est mon mari aujourd’hui est apparu, j’ai n’ai pas hésité à me mettre avec lui », raconte la jeune femme avec beaucoup de regrets.
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Plus de cinq (5) ans après leur union, elle est convaincue d’avoir pris la mauvaise décision. « Aujourd’hui, je m’en mords les doigts », lâche-t-elle, les yeux rivés vers le plafond de la section régionale de la CBDH qui, depuis son ouverture en février 2022, est prise d’assaut par des femmes battues par leurs conjoints.
Cette jeune mère de famille n’est pas la seule femme à avoir été poussée au mariage sous le prétexte de son âge avancée. La pression sociale est si forte qu’à un moment donné, elles finissent par fléchir. Sophie D., la trentaine, est comptable dans une structure de microfinance à Bohicon. Elle vit le phénomène, mais pour l’heure, continue de résister à la pression. Croisée à la fin d’une journée de travail, la jeune femme ne semble pas pressée de rejoindre son domicile. « C’est ma routine, je contemple la nature le soir après le boulot. Ce faisant, j’évite les parents. Leur plus grand souhait c’est de me voir mariée », confie-t-elle. La jeune comptable semble prendre cette pression avec sérénité. « Je me demande si je pèse autant. En tout cas ils veulent se décharger de mon poids (rire) », ironise-t-elle.
« Tu vieillis, trouve-toi un homme »
Des parents et même la société continuent d’assimiler le rôle de la femme, à la mère et femme au foyer. C’est ce que traverse Aline H. « Mes géniteurs ramenaient toutes nos discussions au mariage et parfois même de façon ironique. D’abord, cela a commencé par des interpellations telles que : ‘’ton âge avance, tu vieillis, il faut que tu fasses un enfant, tu cours trop après le travail, trouve-toi un homme’’ », raconte-t-elle. De nombreux parents et proches ne manquent pas d’occasion pour prodiguer des conseils dans ce sens, aux jeunes femmes. « Revois ton style vestimentaire, maquille-toi », a entendu Aline H. au sein de sa famille. Lassés de parler en vain, ses parents ont décidé de refuser tout ce qui vient d’elle. « Comme je ne me décidais toujours pas, ma mère a lâché, sous l’effet du désespoir : ‘‘ trouve-toi un homme ou je ne veux plus de ton argent ’’ », se souvient tristement Aline H.
Exercée souvent sur les femmes, la pression sociale peut aussi cibler des hommes. Rencontré dans le quartier Kpocon, arrondissement de Bohicon II, Rodrigue HOUNKPE, natif d’Adagamè-Lisèzoun dans l’arrondissement Lissèzoun partage les réalités que vivent les jeunes gens de sa localité. « Si à l’âge de vingt-six (26) ans, tu n’as pas une femme, tu es harcelé et parfois même humilié publiquement. Mon surnom désormais dans le village est ‘‘célibataire’’ ». Pour éviter les moqueries, Rodrigue HOUNKPE a décidé de ne plus se rendre au village : « J’ai l’impression que dès que je vais y aller, le slogan du célibat va recommencer. » Si Rodrigue a pu éviter les conséquences du mariage à tout prix quand l’âge avance ou encore quand on n’est pas prêt, plusieurs autres hommes en font les frais. Selon les statistiques globales sur la protection de la famille, de la femme et du Genre, de 2020 à 2022, la commune de Bohicon a enregistré 146 cas d’hommes victimes de violences basées sur le genre.
Une origine socio-culturelle…
Au Bénin, l’origine socio-culturelle du phénomène de la pression pour le mariage, « Est née d’un système selon lequel le mariage est signe de bonheur et de réussite de l’éducation, non seulement pour la femme, mais aussi pour l’homme. Le statut de femme mariée est signe de respect et d’honneur pour la jeune femme et sa famille » déclare le sociologue Armel GBETEGBO. La pression intervient alors pour éviter le “déshonneur”. Aline H. vit cette réalité au quotidien. « Quand il y a cérémonie, on préfère associer mes jeunes sœurs qui sont mariées », confie la jeune commerçante, la trentaine, assise derrière son étalage au marché de Bohicon.
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Père de trois (3) enfants, dont (deux) 2 filles et un (1) garçon, Cosme G. est un des parents pressés de voir leur progéniture en couple. Rencontré dans sa ferme, il se plaint de son fils qui n’est pas encore marié : « Mon unique fils ne veut pas élargir la famille. Il aura 29 ans et il n’a toujours pas de femme ni d’enfant. Je veux voir mes petits fils avant mon décès. Ma lignée ne va pas s’arrêter à lui. » Dame Dona L. commerçante de tissus au carrefour Zakpo quant à elle, a hâte de festoyer au mariage de sa fille. « Toutes les filles de mes amies sont mariées. Je veux aussi être à l’honneur le jour de son mariage et voir ses enfants grandir devant moi », justifie-t-elle.
…source de séparations et de violences conjugales
La pression dans le contexte du mariage peut avoir des répercussions autant sur la femme que sur l’homme. Plusieurs femmes ont épousé le premier venu à cause de cette pression sociale. Après des années de résistance, Aline H. a fini par céder et en fait les frais aujourd’hui. « J’avais mal et je voulais à tout prix trouver quelqu’un. Mais cela m’a coûté beaucoup de déception », témoigne-t-elle. Certaines femmes font l’option de la séparation très tôt. C’est le cas de Marthe qui a quitté son conjoint bien qu’étant enceinte. « Je suis partie du mariage avant l’accouchement. Aujourd’hui, j’élève seul mon enfant », raconte la mère célibataire.
Des regrets, certains parents en ont eu après avoir contraint leurs enfants à se marier. C’est le cas de la tante de Marthe. Après avoir piégé sa nièce pour se marier, cette femme se trouve dans un profond regret en la voyant élever seul son enfant. « J’ai eu pitié de ma nièce et j’ai regretté l’avoir piégée pour qu’elle se marie. Quand les problèmes ont commencé, le mari nous manquait tous de respect », se souvient-elle. N’en pouvant plus, elle dit avoir aidé Marthe à quitter son foyer. « Aujourd’hui elle vit avec son enfant et je leur apporte l’aide que je peux. Je ne suis pas sûre qu’elle me pardonnera un jour. Je crois que je ne commettrai plus cette erreur même si je dois renaître » a-t-elle laissé entendre presque en larmes.
Cependant, d’autres parents comptent sur le temps pour que les choses reviennent à la normale. Pour eux, avec le temps, les jeunes conjoints finissent par mieux se connaître et les violences ne font plus partie de leur quotidien. Salia A. est mère d’une victime de violences conjugales du fait de s’être mariée à cause de la pression de sa famille. Les plaintes de sa fille, reconnaît-elle, ont commencé peu après son mariage. Malgré l’intervention des parents, la situation ne s’est pas améliorée, fait-elle savoir. Mais cette femme n’entend pas laisser sa fille quitter son mari. « Ils ont déjà un enfant. Nous ne pouvons que jouer la médiation. Ils finiront par mieux se connaître et il n’y aura plus de dispute ni de bastonnade », se résigne-t-elle.
En sa qualité d’Officier des Droits de l’Homme (ODH) du département du Zou, Fabrice GANDEMEY est préoccupé par la situation de toutes ces jeunes femmes qui viennent lui poser leurs problèmes de foyer. Pour lui, le mariage à tout prix, quand l’âge avance débouche sur des situations que les conjoints n’arrivent plus à contrôler : « Il y a le non-épanouissement du couple qui peut découler sur des cas d’adultères, de violences conjugales ». L’ODH déplore surtout les violations des droits de l’Homme dans ces cas. Il en veut pour preuve le cas de dame F. S. victime de violences malgré son état de grossesse.
La succession parentale, une fonction vitale
Selon le sociologue Ziad TCHAGOUNI, la succession parentale est une fonction vitale. Elle n’est liée à aucun continent ni aucune culture. Elle « Permet à chaque sujet de perpétuer son arbre généalogique même après son décès et cela n’est possible qu’à partir de la procréation. Par ailleurs, les incitations sociales observées dans certains environnements ont amené les jeunes nubiles qui ne sont pas prêts soit psychologiquement ou financièrement, à se mettre en couple vu leur âge avancé. Ces incitations ne sont pas forcément des pressions sociales, mais peut-être des rappels à suivre le rythme de croissance admis dans cette communauté. Cependant les conséquences de cette pression sont énormes », explique-t-il.
Malgré les conséquences fâcheuses qui découlent du phénomène de la pression sociale dans le cadre du mariage, certains parents sont toujours optimistes et estiment que leurs enfants peuvent tirer leur épingle du jeu. « Peu importe ce qui viendra, c’est la femme qui bâtit son foyer et je sais que ma fille peut gérer son mari », déclare dame Dona L. et de son côté M. Cosme G. estime qu’à chacun sa chance : « C’est vrai que des couples ne finissent pas toujours ensemble ou se battent tout le temps. Mais nous n’avons pas le même destin. »
Nécessité de connaître la responsabilité de la vie conjugale
Plusieurs Organisations Non Gouvernementales (ONG) viennent au secours des victimes de la pression sociale dans le cadre du mariage. C’est le cas de l’ONG « Levons-nous et bâtissons les enfants d’abord », qui intervient dans le Zou et accompagne les victimes de ce phénomène à travers des séances de conseils.
« Nous avons une rencontre mensuelle que nous faisons avec elles pour appui, conseil et orientation vers des centres spécialisés de promotion pour des cas de difficultés ou d’insécurité », explique Dieudonné AGOUNKPE, président de l’ONG. Dans certains cas, poursuit-il, la Police Républicaine est sollicitée pour préserver l’intégrité des femmes confrontées à la situation. Au niveau des garçons, le programme ‘’identité héros bâtisseur’’ est mis en œuvre « Pour les stabiliser, les amener à savoir de quoi ils sont capables… à pouvoir savoir les fondements réels de la vie épanouie », révèle Dieudonné AGOUNKPE.
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L’ODH du Zou, Fabrice GANDEMEY attire l’attention de la société sur l’importance de protéger les droits des victimes : « Nous veillons à la sauvegarde des droits de la personne victime qui est souvent la femme en utilisant l’arsenal juridique en vigueur en République du Bénin. » Pour lui, il est nécessaire d’aider les futurs conjoints à comprendre les implications du mariage avant qu’ils ne s’y engagent. « Il faut amener les jeunes à prendre conscience de la question de responsabilité dans la vie conjugale. Que la société apprenne à veiller au respect de l’avis de la fille dans les choix à opérer pour son devenir », recommande-t-il.
*Cette enquête a été réalisée dans le cadre du Projet « Women for investigation », piloté par l’Ong Dg Partners avec l’appui financier de l’ambassade des États-Unis près le Bénin.