FIFF-Cotonou 2024. Les premières projections de films ont eu lieu mercredi 21 février à l’auditorium de l’Institut français du Bénin.
Elle est ”Tresseuse de mémoire”. C’est-à-dire ? Griot ! Une espèce rare en voie d’extinction. Dans le public compact, on s’étonne de découvrir que des femmes occupent cette fonction. «Je ne savais pas que le film a été tourné au Bénin. Je pensais que c’était au Mali ou au Sénégal.»
La femme-griot dont Laurette Yekpon, la réalisatrice, offre le portrait dans ”Tresseurs de mémoire”, raconte son parcours et surtout la discrimination qu’elle subit dans cette corporation de privilégiés à connotation très masculine.
«Le tam-tam c’est l’affaire des hommes. Donc c’est rare de voir des femmes» dans le rôle de griot, admet un notable. «Je suis de la catégorie ”Tchinga” d’origine nigérienne, eux ils utilisent le tambourin», décline la femme d’un certain âge. D’ailleurs, le film a été tourné à Parakou, au nord du pays d’où est originaire la réalisatrice qui témoigne y avoir fait de très belles découvertes. Là-bas, les similitudes socioculturelle et religieuse avec les pays frontaliers sont séduisantes.
Dans l’Afrique précoloniale où les royaumes constituent la forme d’organisation sociale, le griot fait montre « d’ingéniosité, de talents, de connaissances et savoir-faire qui sont utilisés par les rois pour assurer la gestion de la communication et la sauvegarde de faits majeurs dans les royaumes », explique le griot Seïdou Barassounon.
Un jour, se souvient l’actrice principale, on lui a rappelé sa condition de femme. On lui a dit qu’elle n’avait pas sa place au rendez-vous des griots-hommes. On a failli lui arracher son tam-tam. Mais sûre d’elle, sûre de son art dont les cinéphiles ont savouré l’adroite exhalaison, elle confond ses détracteurs. Entre démonstration de mémoire historique et déclamation de panégyriques à la sauce du tam-tam, la quinquagénaire emballe le public.
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Au-delà de la condition de la femme, l’oeuvre cinématographique de Laurette Yekpon questionne surtout la rémanence de l’art griotique dans les sociétés africaines modernes et surtout républicaines. D’autant que cette fonction jadis noble pourrait être assimilée aujourd’hui à de la mendicité. Perception négative que réfute énergiquement l’actrice : «Le griot n’est pas le mendiant. Le mendiant peut tenter de devenir griot mais il n’y arrivera pas», «Pas de mendicité. Un prince me loue mais le wassangari qui n’a pas l’argent, j’ai le devoir de le louer».
Partout où la société a érigé l’exclusion sur la base du sexe en norme, des femmes d’une audace bouleversante, reviennent toujours au galop et reprennent leur dû. «J’ai fait ce film non pas pour dénoncer quelque chose. Je voulais juste montrer quelque chose (…) J’ai ressenti de la fierté. On fait du cinéma d’abord pour sa propre satisfaction ; c’est ma conception du cinéma», s’exprime, émue, Laurette Yekpon à l’issue de la projection, encouragée par le public avec une longue acclamation.
Debout !
Place ensuite à ”Debout !” de la malgache Felana Carol Rajaonarivelo. Les lumières s’éteignent. Le public s’accroche au géant écran. Graduellement, la situation de 4 femmes répand tristesse et vive compassion dans l’auditorium. Elles ont en commun d’être en situation de handicap. Telle doit «Mettre sa prothèse, se mettre debout». Telle autre doit ”enfiler” son fauteuil roulant au quotidien dans un univers de supposés ”valides” parfois insensibles.
École, transport, marché… partout elles sont dans les fers sans jamais se laisser défaire.
«On pensait que mon handicap était contagieux. On me fuyait à l’école», «Il fallait faire un stage pour soutenir mon mémoire de fin d’études : aucune entreprise ne voulait me prendre à cause de mon handicap. Je me demandais à quoi servirait mes 13 années d’études si aucune entreprise ne voulait me prendre».
À cette différence physique, est donc attachée une souffrance physiologique et psychologique. Handicapées de naissance soit à cause de la poliomyélite ou d’erreur médicale (injection), ces femmes doivent se surpasser dans une société qui n’a pas prévu grand chose pour les enfants ”différents”.
Le public retrouve le sourire lorsque ces femmes montrent quand même de la résilience. Sans aucun défaitisme. L’une doit «se battre pour avoir une place comme tout le monde dans les bus, descendre comme tout le monde puis marcher et franchir 4 étages pour accéder à son lieu de travail». L’autre doit faire elle-même des courses. Et surtout tout transporter à la main.
À force de courage, chacune des 4 femmes est devenue une référence. Elles ont concrétisé leur rêve d’inclusion soit dans la restauration, le militantisme ou l’entrepreneuriat. Ainsi, leurs mots de fin deviennent même plus importants pour les personnes jugées normales qu’elles mêmes.
«Je ne peux pas courir mais je peux vivre de mes mains», «Le handicap n’est pas un handicap», «Je suis handicapée des pieds mais je peux utiliser mes mains, ma tête», «L’acceptation de son handicap est la clé pour faire vivre», ou encore «Le plus grand handicap c’est la peur».
Subtilement, la réalisatrice de ce film coproduit avec Canal + et sorti 2022, chute par une satire sociale et institutionnelle. En Afrique, seulement « 2% des personnes handicapées ont accès aux services sociaux de base», relève la voix off, citant l’Onu. Il est aussi exigé des normaux, de l’attention et de la solidarité envers cette couche extensible dans laquelle tout le monde peut se retrouver du jour au lendemain, par exemple du fait d’un accident de voie publique. Et donc, «Leur permettre d’être debout, c’est toi, c’est moi, ensemble». Près de trois minutes d’applaudissements sanctionne l’épilogue.
Diverses fortunes
À cette première soirée de projection de films dans le cadre du Fiff-Cotonou 2024, les cinéphiles semblent avoir élu ”Debout !”. La réalisatrice l’a bien noté mais reste modeste. «Il y a de très beaux films en compétition. Le fait d’être là [au Bénin] pour moi c’est déjà une victoire… Je raconte l’histoire de personnes qui m’inspirent. Ces femmes sont debout bien plus que nous les valides», réagit-elle.
Les trois autres films de cette soirée ont eux aussi en commun de révéler la femme, dans sa résilience psychosociologique et ses combats. Il en est ainsi dans ”Yadikoon le petit prince ” de la sénégalaise Aissata Kone. Histoire frémissante d’une mère célibataire, Yamousso, 35 ans, qui a à sa garde un fils de 19 ans atteint du trouble de autistique. Dans «La tâche», la camerounaise Tchiguia Tatiane y raconte l’histoire d’Amina, jeune fille de 10 ans envoyée en mariage précocement et ce…«avec le consentement de sa mère».
Le registre est un peu différent avec la franco-malienne Mariane N’Diaye. Dans ”Langue maternelles sorti seulement en 2023 sous la signature de Golgotha Productions, il est plutôt question d’identité, de collision entre deux monde. Alors que l’école invite les parents d’Abi à lui parler français, Sira, sa mère s’y oppose et n’interagit avec elle qu’exclusivement en Soninké. Enfin, la sud-africaine Sandulela Asanda casse les codes et normes en matière de sexualité. Avec ”Mirror mirror” : deux adolescentes dont l’une interagi lar visioconférence – apprennent par elle-même ce que signifie être une femme, la vie sexuelle.
Le rendez-vous du cinéma féminin avec le FIFF Cotonou se poursuit à Artisttik Africa.