Depuis l’entrée en vigueur, le 1er avril dernier, de l’obligation de reconnaissance de paternité, elle alimente des débats et suscitent beaucoup de questionnements. Désormais, et suivant l’une des dispositions de la loi n°2015-08 du 8 décembre 2015 portant Code de l’enfant en république du Bénin (article 148) « aucune mère ne peut attribuer à l’enfant nouveau-né, le nom d’un présumé géniteur que sur présentation d’un certificat de mariage ou d’une déclaration de reconnaissance de la grossesse établie par l’officier de l’état civil ». Dr Calixte Houèdey, sociologue de la sexualité humaine et enseignant à l’Université d’Abomey-Calavi, estime qu’à travers cette loi, l’Etat travaille non seulement à améliorer la qualité de l’état civil au Bénin mais il est aussi en train d’intégrer les questions de mœurs dans sa politique de développement.
Propos recueillis par Raymond FALADE
Bénin Intelligent : Bonjour Dr Calixte Houèdey. Quels peuvent être les impacts de cette disposition sur le plan sociologique et démographique ?
Dr. Calixte Houèdey : Avant de revenir à cette question, je dois dire d’abord que le monde a connu ce que j’appelle les dynamiques sociales. C’est-à-dire les transformations, les mutations, les choses qui bougent. C’est pour dire que les questions de répertoires qui puissent contenir la population d’une entité, d’une institution encore moins d’un pays avait une genèse. Et cette genèse pour nous qui étions dans le monde purement de l’oralité, n’avons pas une certaine maturité en la matière. Et à ce titre, la vie sexuelle était organisée de telle manière que, il n’y a pas cette errance sexuelle qui pouvait être enregistrée aujourd’hui. Donc, votre vie sexuelle a des étapes. Le mariage était cette affaire à caractère coutumier et cela réunissait deux familles. Voilà pour ce qui concerne le contexte de régulation des activités sexuelles d’une part, et de contrôle de la vie matrimoniale d’autre part. C’est ce qui était chez nous en Afrique et au Bénin avant notre rencontre avec l’Occident.
Et parlant de cette rencontre avec l’Occident, à leur niveau, cette question de la tenue d’un registre en termes de naissance, de décès ou de tout autre événement démographique était des questions qui ont connu leur genèse au niveau de l’Église catholique. En ce moment l’Église et le souverain étaient liés. Ainsi, le pouvoir politique détenu par le souverain était lié au pouvoir religieux. Ce qui faisait que les évêques étaient encore les bras droits du roi. Donc c’est à leur niveau qu’un registre portant sur des naissances étaient tenus à effet d’enregistrer les cas de baptême. Cela se passait au XIVe siècle. La France qui est notre pays de référence en termes de colonisation, en termes de tout ce que nous pouvons dire pour nous situer dans des compartiments précis. La tenue de ce registre en ce moment, une partie devrait être laissée au niveau de la greffe judiciaire du roi. C’est avec le temps que cela est devenu une obligation puisque cela se faisait sur des questions militaires. Mais pour l’Église à travers les paroisses, c’était aussi non seulement des questions de baptême, mais aussi pour empêcher certains mariages puisque l’Église catholique en 1215 était venue pour organiser la vie sexuelle en termes de sacrément, de mariages connu de tout le monde et les activités prénuptiales n’étaient pas permises. Si nous aujourd’hui, nous arrivons à parler d’un registre, ce n’est que la conséquence de la modernisation de notre État. L’avènement d’un registre d’état civil, c’est la conséquence de notre rencontre avec l’occident où quand l’occident est venu, il nous aidait à tenir ce registre qui nous permettait de nous enregistrer.
Aujourd’hui, ce qui se passe n’est pas sorti ex nihilo. C’est les conséquences d’un certain nombre de dysfonctionnements dont je me permets de rappeler quelques-uns. De 1960 à 1970, il n’y avait pas eu beaucoup de problèmes puisque la forte croissance démographique n’était pas encore connue. C’est au lendemain des années 80, que le Bénin a commencé par connaitre ce que j’appelle une forte poussée démographique. Mais l’État n’était pas présent dans toutes les entités territoriales. Les gens étaient nés et ne pouvaient pas venir se faire enregistrer. Au temps de la révolution, cela se faisait sans que personne ne sache ce qu’il en est véritablement. La plupart des états civils dans certaines contrées étaient des actes déclarés faux puisque l’État a réalisé ce que j’appelle les états généraux de l’état civil. A l’occasion, il y a eu tellement de choses qui ont montré le dysfonctionnement notoire. Les conséquences étaient qu’un certain nombre de générations venues après pour chercher des diplômes et autres étaient confrontées à des difficultés. L’autre conséquence était que les Béninois pouvaient disposer plus d’un acte d’état civil et d’autres pouvaient disposer plus d’une entité de carte d’identité nationale. Cela fait que les gens sont arrivés dans ce pays pour dire qu’est-ce qu’il faut faire quand il y avait des questions d’âge pour accéder à des bourses et autres. Ainsi, quand certains viennent en Terminal et après avoir échoué une fois ou deux fois, vont se faire établir un nouvel acte de naissance. Ce qui faisait que les dates de naissance et autres se différenciaient d’un diplôme à un autre. Et dans ce pays, on est venu à une réforme selon laquelle pour être candidat même si vous avez des conditions réunies en termes d’âge et de moyenne, vous devez présenter et votre attestation de Bepc et votre attestation du Bac. Donc c’était des choses qui sont arrivées pour corriger ce dysfonctionnement dont certains bénéficiaient pour accéder à des sous publics.
Il faut reconnaitre quand-même qu’aujourd’hui, on tend vers un assainissement de notre état civil. Ce qui est fait aujourd’hui pour améliorer les choses, c’est dans le postulat d’assainir. Et cet assainissement, je ne vois pas où se pose le problème pour la simple raison que cette question d’errance sexuelle qui est une réalité aujourd’hui, a conduit des gens à ne pas savoir qui est d’abord leur père, a conduit des gens à l’impossibilité de parler de l’histoire de leur père puisqu’ils n’ont jamais vu ce dernier. C’est des réalités qui portent sur la vie matrimoniale béninoise. Voilà les situations dont les enfants sont victimes parce que quand il y a grossesse, c’est la résultante d’activités sexuelles entre des personnes qui ont la fertilité en la matière. Mais la femme est la seule personne à l’instant T capable de savoir au moment de l’ovulation quel homme est auteur de la grossesse qu’elle porte. Je n’oublie pas aussi ces hommes qui ont ce vilain plaisir de nier la paternité. Or chez nous en Afrique, il n’est pas admis qu’un enfant puisse ne pas disposer d’un père. C’est la preuve que votre maman est de « mœurs légères ». C’est la preuve qu’elle n’a pas reçu d’éducation. Nous ne sommes pas des animaux où notre vie sexuelle est gérée par l’instinct sexuel ; où il faut attendre la période de la chaleur pour réaliser ce que j’appelle la ‘’copilation’’ non ! Nous avons la raison et le sexe dans nos sociétés africaines, c’est une vie organisée. Et le mariage pour moi en tant que sociologue, ce n’est pas que l’espace administratif. Avant que notre rencontre avec l’occident ne soit une réalité, la vie matrimoniale était gérée par nos familles et quand vous faites la dot et que vous avez respecté les prescriptions, on sait que votre enfant c’est votre enfant. La question de mariage à l’état civil, c’est encore la conséquence de notre rencontre avec l’occident. Et ceux qui y vont pour des questions de gestion de l’héritage, pour des questions du patrimoine, pour que la justice puisse les aider, c’est cela qui crée les enfants naturels, les enfants légitimes. Moi en tant que sociologue, j’appelle ça des termes à caractère de discrimination. Pour un homme sérieux, je pense qu’il ne doit pas avoir toutes ces situations.
Peut-on craindre une fausse attribution d’identité puisque seule la femme peut dire qui est l’auteur de sa grossesse ?
Quand vous faites une fausse attribution d’identité, vous êtes responsable dans la mesure où aujourd’hui, il y a les tests d’ADN. Et dans cette histoire, nous avons trop de problèmes. Vous pouvez imaginer que pour des questions de regroupement familial dans ce pays, il fut demandé à quelqu’un de prouver le lien de filiation que cet enfant est le sien. Mais les tests d’ADN ont révélé que cet enfant n’est pas le sien. Pour des enfants que j’entretiens depuis des années et qui ont atteint l’âge de la majorité et l’enfant découvre après que ce n’est pas son père, et que le père découvre que ce n’est pas sa fille ou son garçon, je ne parle pas des conséquences juridiques mais c’est une honte sociale. C’est une destruction de cette personne puisque comment cette dernière peut reconstituer encore son milieu familial. La mère c’est une réalité parce que c’est elle qui porte la grossesse. Mais la seule personne qualifiée de certifier l’auteur d’une grossesse, ce n’est que la maman. Quitte à elle dans sa gestion de sa libido de savoir se contrôler, de ne pas s’inscrire dans le postulat de l’errance sexuelle. Ce qui fait que nous en Afrique, quand l’enfant n’est pas pour vous, vous ne pouvez pas bénéficier d’un certain nombre de rituels. Il y a des signes qui déjà dans le contrôle social élargi, permettaient de savoir que telle femme dispose d’un enfant qui n’est pas le nôtre. Donc, tout était bien organisé pour contrôler la descendance puisque la descendance est une question de sang chez nous. Ce n’est pas que le nom. Le nom c’est la première des choses qu’on défend. Le nom c’est la question du sang qui est contrôlé. Il ne faut pas qu’un sang se mélange à un autre de cette manière. Donc aujourd’hui, un homme ne peut pas se permettre de dire « je ne veux pas reconnaitre cette grossesse parce que je ne veux pas assumer cet acte qui m’est demandé » parce que la question de l’état civil est une question de responsabilité publique. Et l’Etat veut bien assumer sa responsabilité ; extirper du rang ces actes qui n’honorent pas la qualité de notre état civil pour que soient inscrits des individus qui remplissent bien les critères démographiques en termes de filiation biologique. Donc, la grossesse ne peut pas venir ex nihilo. C’est des conséquences des activités sexuelles occasionnelles mais vous devez avoir l’honnêteté d’assumer cela.
En tant que sociologue, que retenir selon vous de cette disposition de la loi ?
Il faut dire qu’à travers cette disposition, l’Etat est en train d’intégrer les questions de mœurs dans sa politique de développement. Même s’il y a des libertés sexuelles, je peux encore choisir celle avec qui je peux faire l’amour. Mais à condition que je respecte les deux conditions préalables c’est-à-dire la condition de majorité sexuelle et la condition de consentement. Maintenant, quand vous faites cela et que la conséquence qui est immédiate et connue, qui est matérialisée à travers la grossesse que porte la femme survient, l’homme doit assumer la responsabilité. Toute fuite est susceptible d’être sanctionnée. C’est aussi une manière de discipliner les hommes. Maintenant, si je me suis déjà marié de façon légale avec une femme et que je me permets le luxe d’avoir des activités sexuelles extra conjugales non protégées, je dois assumer les conséquences parce que la loi a dit qu’une telle personne doit être inscrite sur le registre. Donc la question des enfants naturels et des enfants illégitimes sont pris aujourd’hui en compte par notre droit positif en matière d’existence et en matière de protection. Je pense que l’utilité de tout ce qui est fait là, c’est d’abord assainir notre démographie et de corriger la population en termes d’errance sexuelle.
S’il arrivait qu’un enfant porte le nom de sa mère puisque la loi le permet en l’absence de la reconnaissance de la paternité par le présumé père, quels regards la société peut-elle porter sur cet enfant ?
C’est un regard désapprobateur puisque je le dis, les mœurs sont des activités humaines les plus codifiées et pour lesquelles c’est votre personne qui est en jeu. Mais pour lesquelles le regard extérieur est trop désapprobateur. ‘’C’est l’enfant de telle personne qui s’est permis le luxe d’avoir une telle attitude’’. Si vous êtes une femme incapable de dire avec qui vous avez fait l’amour sans que ce dernier ne se protège, je pense que c’est un appel à des responsabilités, à une prise de conscience et que les filles, les femmes puissent prendre conscience de la valeur de leur corps.
Quel est le rôle de la famille pour éviter cette « honte sociale »
Il faudrait que la famille puisse procéder autrement à la socialisation de la sexualité. C’est-à-dire quoi ? Le comportement sexuel que recommande la société d’une part et la responsabilité de vos futurs garçons, de vos futurs hommes dans la gestion des conséquences de leurs activités sexuelles. C’est aussi l’occasion pour les femmes, pour les jeunes filles de savoir que leur corps est ainsi indexé. Indexé dans le sens de son usage. Indexé dans le sens d’assumer les responsabilités qui vont découler de leurs comportements sexuels. Pour certaines, c’est de la naïveté. On tombe nue à n’importe qui, dans la rue, dans l’espace public sans pour autant s’assurer de comment je peux gérer la conséquence.
Quel défi en termes de vulgarisation de cette loi ?
Aujourd’hui, c’est la responsabilité des communes puisque nous sommes dans le contexte de la décentralisation. Nous avons nos formations sanitaires. Nous avons les chefs d’arrondissement qui sont là. Ils doivent trouver la formule à travers laquelle, les jeunes filles de nos contrées soient sensibilisées et que les parents puissent prendre eux aussi leurs responsabilités et ne plus laisser leurs filles tombées enceinte à n’importe qui. La dépendance aussi des filles au niveau des hommes surtout quand il y a de petits besoins financiers, matériels pour lesquels les parents sont défaillants est aussi en cause. Je pense que cette interpellation couvre beaucoup de domaine. Le domaine de la responsabilité parentale dans l’entretien des enfants et le domaine de la responsabilité des filles à comprendre que leur corps n’est plus seulement un objet de désir sexuel, de l’errance sexuelle. Je pense que c’est une invitation à ce que chacun se prenne au sérieux pour bien gérer son corps parce que ce corps est si précieux que quand les conséquences viennent, il faut avoir tout l’arsenal requis pour gérer la maturité psychologique. Il faut qu’on travaille sur le mental des femmes.
Et j’en ai rencontrées dans cette maison (Uac). Je connais beaucoup de ces cas. Ces étudiants qui ont baisé, excusez-moi l’expression, et qui ont engrossé les filles et les ont abandonnées. Les filles sont sorties aujourd’hui de ce système et sont incapables de poursuivre les études parce que les parents n’ont pas les moyens. Voilà que tu vis avec une grossesse, voilà que tu dois nourrir le petit, venir suivre les cours. Voilà, comme j’ai l’habitude de le dire, « quand le sexe n’est pas bien compris et son mauvais usage intervient, c’est une source de nuisance d’une part, et c’est multiplicateur de pauvreté ». Ce multiplicateur qui est différent de zéro.
Doit-on craindre une hausse des enfants « bâtards » ?
On n’aura pas les enfants bâtards parce que c’est une responsabilité de la femme. Il faut que la femme ne se mette plus dans le postulat de vivre une activité sexuelle dans l’inconnu, dans l’anonymat. De montrer à papa et maman que voilà mon âge aujourd’hui, je sors avec telle personne, de l’indexer pour qu’on puisse dire c’est lui et qu’on puisse le laisser venir à la maison.
Ces papas aussi rigoureux qu’ils soient, quand la fille atteint l’âge qu’elle doit avoir, il faut que toutes ses fréquentations soient connues par la maison. Donc, il faut que, en amont, les filles puissent se prendre au sérieux. Mon corps, voilà les conséquences pour que demain je ne sois pas porteuse d’une grossesse dont l’homme ne va pas reconnaitre, il faut que je m’abstienne d’aller coucher avec Jérôme, hier je couche avec Pierre et après-demain, je vais dormir chez Alex. Si je dors partout et que je ne me protège pas, et chacun d’eux vient verser son liquide dans mon vagin, comment je peux dire demain qui est père qui n’est pas père de mon enfant. Donc c’est une invitation d’abord en termes de conséquence. C’est aussi une invitation aux filles de se prendre au sérieux dans la gestion de leur vie sexuelle. Deuxièmement, c’est de responsabiliser les hommes de ne plus prendre les filles comme des objets de désir ou de plaisir sexuel où on est dans un postulat d’errance sexuelle, de multiplication des conquêtes comme si on est meilleur.
Il faut que les parents continuent d’entretenir leur fille jusqu’à un niveau donné que de les laisser dépendre des petits garçons lesquels sont là pour s’inscrire dans une certaine marchandisation du corps de la fille à travers de petit appui financier et matériel d’une part. D’autre part aussi, c’est une manière d’inviter ces hommes déjà mariés à la maison et qui vont sortir avec des filles de 17 ans, 18 ans. Ces filles-là n’ont pas encore la maturité psychologique, démographique parce que c’est des filles qui n’ont pas encore la majorité sexuelle même si le Code des personnes dans son article 27 dispose qu’il faut une dispense de 16 ans pour la fille, la majorité sexuelle c’est de 18 ans. Il faut que les filles aient cette majorité psychologique et physiologique avant de garder une grossesse. Je pense que c’est une disposition pour que nous puissions améliorer d’une part, la qualité de notre état civil, pour améliorer notre démographie et pour améliorer la gestion de la vie sexuelle dans nos diverses contrées et par les acteurs et enfin inviter les gens à travailler pour être meilleur. Le sexe n’a rien de meilleur que si votre descendance est meilleure.
Un enfant sans père, quels dangers pour la société ?
Si l’enfant arrive à lire, il saura qu’il n’a pas de père. Est-ce que la maman à toute la chance, tous les mots qu’il faut pour expliquer à ce dernier pourquoi il n’a pas de père. Si la maman arrive à le faire très tôt, l’enfant pourra contenir cela. Mais l’enfant sera toujours gêné au plan horizontal quand il sera avec ses pairs d’une part. Quand il sera avec ses cousins, il sera gêné. Il aura ça comme une charge psychologique.
Merci.
