La situation au Niger préoccupe fortement la Cedeao et particulièrement le Bénin. Vendredi 4 août, le secrétaire général adjoint du gouvernement, porte-parole du gouvernement, Wilfried Léandre Houngbédji et le ministre des Affaires étrangères Olushegun Adjadi Bakari ont animé une conférence de presse à Cotonou pour mieux expliquer la position de la Cedeao et les raisons des déférentes décisions prises par l’organisation pour un retour à l’ordre constitutionnel au Niger.
Par Raymond FALADE
Depuis le « coup de force » au Niger, la Cedeao s’est montrée intransigeante jusqu’à annoncer même une éventuelle intervention militaire pour libérer le président « pris en otage ». Une décision forte que personne n’attendait de l’organisation longtemps traitée « d’impuissante » face aux coups d’État précédents notamment au Mali, Burkina Faso et en Guinée Conakry. Cette fois-ci, la Cedeao compte bel et bien affirmer son autorité dans la sous-région.
D’abord dans le cas du Niger, « nous sommes dans une situation qui est dangereuse pour toute la communauté », a lancé le ministre des Affaires étrangères Olushegun Adjadi Bakari aux journalistes venus du Bénin, Burkina Faso, Mali, Sénégal, Cameroun, Togo etc.
Il a expliqué que pour le Mali, le Burkina Faso et la Guinée Conakry, « ça été toujours la position de la Cedeao ; il y a eu condamnation, il y a des feuilles de route qui sont mises en place ; un suivi rapproché pour s’assurer qu’on ait un retour à l’ordre constitutionnel le plus rapidement possible ».
Mais dans le cas du Niger, c’est beaucoup plus aggravant. « C’est une prise d’otage. Et prendre en otage un président démocratiquement élu, si on le laisse passer c’est dangereux pour toute la communauté », a dénoncé le chef de la diplomatie béninoise.
Le coup d’État au Niger est le 5e perpétré dans l’espace Cedeao en moins de deux ans (Mali, Burkina Faso [2x], Guinée Conakry). La communauté n’a pu rétablir aucun des présidents déchus comme elle l’exige depuis le renversement du président Bazoum.
« A un moment donné, je pense qu’il est important de pouvoir s’assurer qu’il n’y ait pas une déflagration sous-régionale totale », insiste le ministre. « C’est ce qui fait que cette situation est une situation très critique pour toute la sous-région. Ce serait trop facile de dire qu’il y a eu trois coups d’État qui sont passés donc on peut laisser également passer celui-là », réfute Olushegun Adjadi Bakari.
Coup d’État constitutionnel
La Cedeao est souvent accusée d’être muette face à la question liée aux troisièmes mandats au sein des pays membres. Ce qui justifierait selon la population les coups d’État que dénonce l’organisation. Le secrétaire général adjoint du gouvernement, porte-parole du gouvernement Wilfried Léandre Houngbédji rejette cette accusation. Il a expliqué que « sur les trois coups d’État précédents, il y a un seul qui avait pour mobile les conséquences collatérales du troisième mandat : c’est la Guinée Conakry ».
Mais « au Mali et au Burkina Faso, il n’y avait pas le troisième mandat. On a évoqué comme raison, la dégradation de la situation sécuritaire ». Et puis au Niger, pour justifier la prise otage, on est venu dire aussi, dégradation de la situation sécuritaire » s’est-il désolé.
D’ailleurs, la Cedeao ne reste plus insensible à la question des troisièmes mandats dans la sous-région aujourd’hui. Wilfried Houngbédji a rappelé qu’« une décision a été prise pour agir sur les textes ». Lors d’une réunion à Abuja, « il a été évoqué la mise en place d’une force d’inter position, de la promotion de la démocratie ». Ainsi, « plus de tolérance pour les troisièmes mandats autant qu’il n’y aura pas de tolérance pour les coups d’État », soutient-il. Car, « un coup d’État est un coup d’État ».
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Et quand on parle de la dégradation de la situation sécuritaire au Niger, cet argument n’est pas solide, rejette Wilfried Léandre. Pour lui, « parmi les pays du Sahel, s’il y en a qui tient visiblement que d’autres jusqu’à nouvel ordre, c’était encore le Niger ». « Donc, il faut creuser pour voir quelles sont véritablement les raisons », propose-t-il.
Le porte-parole du gouvernement a démontré également que ceux qui ont « pris en otage » le président Mohamed Bazoum sont ceux qui sont en charge de sa sécurité mais aussi du pays. Alors, conclu-t-il, si la situation sécuritaire se dégradait, le responsable ne saurait être leur chef d’État mais plutôt les putschistes. En conséquence, le salut ne saurait venir des nouveaux hommes forts de Niamey.
Influence de la France
La France influence-t-elle les décisions que prend la Cedeao comme certains l’estiment ? Les conférenciers ont donné leur part de vérité sur la question lors de leur sortie. « La conférence des chefs d’État de la Cedeao est une conférence souveraine », a juré le ministre des Affaires étrangères.
Les chefs d’État se sont retrouvés à huis-clos et « ont pris leurs décisions sans aucune intervention extérieure ». « Vous allez remarquer que les prises de position et les communiqués diffusés sont portés par la Cedeao. Si demain le Niger devient une poche d’instabilité sous régionale, ceux qui seront impactés c’est d’abord nous. C’est notre responsabilité en tant que pays de la Cedeao de prendre la mesure de la situation et de pouvoir prendre notre position », a développé le ministre des Affaires étrangères. La France, les États-Unis, l’Union Européenne « n’ont rien à voir avec la position que prennent les chefs d’État », a-t-il insisté.
« Il n’y a pas que la France. Vous avez entendu les États-Unis, l’Onu, d’autres organisations internationales s’aligner sur la position de la Cedeao », a appuyé le secrétaire général adjoint du gouvernement. Wilfried Léandre Houngbédji trouve que « c’est dangereux pour nous et paradoxal que au 21e siècle, des Africains soient les seuls sur la terre à penser que leur bonheur dépend d’autrui, que leur bonheur ne dépend pas des efforts qu’ils font au quotidien pour améliorer leur sort ».
Globalement, l’opinion publique est très défavorable à un usage de la force au Niger. L’ultimatum d’une semaine fixée par la Cedeao aux putschistes a expiré dimanche. Tous les regards restent donc tournés vers elle pour voir si elle mettrait à exécution sa menace, dans un contexte où il ne s’agit plus seulement de putschistes à combattre mais aussi de tout un peuple qui leur témoigne son soutien.